Le premier tome de La Saga de Wotila a été sélectionné pour le 6ème Prix BD des Collégiens Poitou-Charentes 2012. Vous attendiez-vous à ce choix ?
Hervé Pauvert : Je suis à l’origine professeur de collèges. Et c’est vrai que ce n’est pas un album qui est vraiment fait pour les collégiens. Je pense qu’il est un peu trop compliqué pour eux.
Cécile Chicault : En même temps, ce choix peut se comprendre car il s’agit de l’histoire d’un jeune qui a une quinzaine d’années. Et souvent, les gens estiment qu’une histoire avec un ado pour héros est forcément destinée aux ados.
Pensez-vous que la jeunesse est encore intéressée par l’Histoire ?
H.P. : Oui, je pense. Il existe une tradition française de l’enseignement de l’Histoire qui est fortement basée sur des récits. Cela les ouvre à la matière et donc aussi à la bande dessinée historique même si ce genre de BD est lu un peu plus tard, quand ils prennent un peu d’âge.
C.C. : Je ne pense pas que le choix des ados se portera en premier lieu sur cet album. Même si j’ai essayé de faire des dessins assez expressifs, qui soient proches de certains personnages de manga.
Vous êtes tous deux crédités pour le scénario. Comment vous êtes-vous partagés les tâches ?
H.P. : J’ai eu l’idée de départ. Je soumettais à Cécile ma première idée, puis elle apportait une autre idée qui venait se greffait sur la première…etc… Les recherches historiques ont été faites à deux. Nous nous sommes rendus sur place, au musée de Toulouse.
C.C. : La recherche pure et dure dans les bouquins, c’est plutôt lui. Quant au côté iconographique, c’est plutôt moi. J’aime beaucoup travailler les personnages, comment ils évoluent, les histoires de destin, les choix de vie…
Dans l’imaginaire populaire, les Goths sont des envahisseurs et des êtres sanguinaires. Pourtant, dans la Saga de Wotila, ils sont avant tout présentés comme un peuple chassé, en quête d’un territoire et d’un havre de paix…
H.P. : Sans parler forcément des Goths, notre propos a été de faire tomber quelques clichés. Quand on pense aux Goths, on pense forcément à Astérix chez les Goths. Même si on n’est pas dupe de cette vision, ça reste encore dans l’imaginaire. Le cliché des Germains qui détruisent tout sur leur passage a la vie dure. Et puis, pendant cette période comprise entre le 3ème et le 5ème siècle, on parle souvent uniquement des Francs, si bien qu’on a l’impression qu’il n’y a eu qu’eux à cette époque. On souhaitait redonner cette place aux Goths qui est resté plus de cent ans dans la Gaule et qui a repris en quelque sorte le flambeau des romains.
C.C. : À l’époque, sur le territoire de l’actuelle France, ce fut le plus gros royaume qui a existé. Même le royaume des Francs, arrivé par la suite, n’était pas plus gros que celui-ci.
Les Romains, quant à eux, ne sont pas non plus les représentants de la Civilisation comme on a l’habitude de les présenter dans les manuels scolaires…
H.P. : L’Empire Romain s’est détruit de l’intérieur par la corruption, l’injustice fiscale, l’ambition des généraux… Une vraie gangrène intérieure.
C.C. : La société romaine était très patriarcale. Les femmes avaient beaucoup plus de place dans les sociétés celtiques et germaniques.
Que reste-t-il aujourd’hui du passage de cette civilisation dans la région du sud-ouest ?
H.P. : Pas grand-chose. Soit ils vivaient dans des chariots en bois dont il n’est rien resté, soit ils ont investi des villas gallo-romaines. J’ai lu dans un ouvrage spécialisé qu’en l’absence de textes pour attester leur présence, on n’aurait pas pu la deviner.
C.C. : Si on visite aujourd’hui des villas gallo-romaines au pied des Pyrénées, il reste quand même dans les tombes quelques vestiges… Il existe aussi des noms de villages qui rappellent les Goths… Nous avons fait des recherches sur place, au musée de Toulouse… Ce qui a été le plus difficile, c’est de retrouver des restes qui dataient vraiment du 5ème siècle. Nous avons récemment visité un grand musée gallo-romain et nous avons été étonnés par l’absence de dates, car ils hésitent beaucoup sur une datation précise.
H.P. : C’est une époque un peu coincée entre l’Antiquité et le Moyen-Age.
C.C : Les découvertes se font un peu au hasard. Dans le musée du textile, à Lyon, nous y avons trouvé des tuniques du 5ème siècle qui viennent d’Afrique du Nord.
H.P. : Et cela a confirmé les quelques hypothèses que l’on avait émises. Nous avons principalement puisé nos sources iconographiques dans les fresques. Nos suppositions étaient les bonnes !
C.C. : D’ailleurs, dans le tome deux, j’en profite. Ça commence à devenir un peu plus précis. (sourire)
L’histoire de Wotila est-elle purement imaginaire ?
C.C. : Oui, mais l’idée de base vient d’un personnage historique qui est en fait…
H.P. : Il ne faut pas le dire !
C.C. : C’est vrai qu’Hervé me fait les gros yeux chaque fois que je veux en parler. Je n’en dirai pas plus ! (rires)
De nombreux « Pauvert » sont remerciés en fin d’album. C’est un vrai travail familial ! (sourires)
H.P. : Toute la partie sur les rites du carnaval vient de mon frère…
C.C. : …qui a fait une thèse sur la façon dont les religions remontent de la période préhistorique à travers les fêtes traditionnelles.
H.P. : Les dimensions religieuses de nos carnavals sont très importantes et sont, à l’origine, des fêtes de la fertilité. Les esprits venaient masqués dans les villages pour revivifier la communauté humaine. Quant à mon père, qui est latiniste, il s’intéresse à l’origine des noms, ce qui nous aidés pour les noms de famille.
C.C. : Il y aura, dans le tome deux, une lettre en latin qu’il a traduite.
Pourquoi avoir abandonné la couleur directe dans cette série ?
C.C. : Je voulais vraiment me rapprocher du dessin. Dans mes albums jeunesse, il y a tellement de « poids » sur les couleurs, que je passais moins de temps sur les dessins qui ne d’amélioraient pas forcément au fil du temps. Pour Wotila, le challenge était d’avoir un dessin plus adulte, plus fouillé avec plus de mouvements. Je scanne directement mes planches crayonnées et j’ai appris à faire mes couleurs à l’ordinateur. En même temps, j’essaie de faire un rendu qui fasse un peu peinture ou fresque.
L’idée de la BO est intervenue à quel moment de la conception de l’album ?
H.P. : C’est une idée de départ. Je suis musicien et c’est donc venu assez naturellement. On est aussi passionnés de cinéma, et c’est donc un véritable clin d’œil. C’est une sorte d’ex-libris musical de l’album.
C.C. : Une extension de l’univers.
H.P. : Il y a des chansons sur les personnages.
C.C. : Il y a un thème musical qui est le leitmotiv du héros… Et ce sont nos voix ! (sourire)
H.P. : Et aussi celles de nos enfants.
C.C. : Encore un truc familial ! (sourire)
Pour quand est prévue la suite de la saga ?
C.C. : Le tome deux devrait être prêt pour le mois de juin. Par contre, l’éditeur souhaite le sortir en octobre 2012 ou en janvier 2013. Si tout va bien, le tome trois devrait suivre un an après. Je souhaite aller assez vite car j’ai plein d’autres idées. Cette série a débloqué chez moi beaucoup de choses, notamment grâce au changement de dessin qui m’ouvre de nouvelles perspectives.
Vous comptez donc rester dans la BD adulte plutôt que de replonger dans la BD jeunesse…
C.C. : Je ne sais pas encore… Il y a beaucoup de choses qui m’intéressent.
H.P. : Nous avons d’autres projets en rapport encore avec l’Histoire. Nous essayons de trouver une époque où il existe plus de documentation.
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