La couverture du premier tome de Steve & Angie, très vivante, incite à ouvrir l’album avec, déjà, l’esquisse d’un premier gag…
J’avais l’idée des deux personnages avançant tout doucement, en y ajoutant le dinosaure et l’ensemble du décor pour montrer où le récit se déroule, pour le dater... Montrer aussi qu’ils sont tout petits par rapport à l’histoire qu’ils vont vivre. Je voulais également faire sentir que l’album allait contenir de l’humour, même si le gag de la couverture n’est pas abouti.
Le ton humoristique est-il aussi marqué dans le deuxième tome ?
Il y a pas mal de différences entre ces deux tomes. J’ai plus centré l’histoire sur les deux personnages. Ce qui était surtout important dans le premier, c’était de les faire arriver chez les dinosaures, de créer une tension avec la disparition de Steve. Il y avait beaucoup d’action. J’ai ralenti le rythme dans le deuxième. Tout le passage où l’on voit Steve et Angie est plus calme. J’ai fait un peu l’inverse que ce que l’on pouvait imaginer, une ambiance « Jurassic Parc ». En fait, dans mon livre, c’est plutôt à notre époque que tout est difficile, tendu… Steve et Angie, eux, arrivent dans un monde qui n’est pas très peuplé, où il n’y a pas tant d’animaux que ça. Ils vont donc avoir le temps de se poser un peu.
Sur la couverture du deuxième tome, Angie a mis un soutien-gorge… (sourire)
Elle était en train de faire sécher ses vêtements et s’est aperçue qu’elle n’avait pas de soutien-gorge. Elle va donc en fabriquer un, en herbe tressée. Malgré la nudité d’Angie sur la couverture du premier tome, je voulais conserver beaucoup de pudeur. Ce qui m’intéressait surtout, c’était le rapport entre les deux personnages. Au début, ça va très vite. Du moins, Steve aimerait que ça aille très vite, mais Angie le repousse. Dans le tome 2, Steve ne va pas oser refaire des avances et reste en retrait. Cela permet de remettre les deux personnages sur un pied d’égalité. Dans une rencontre, il y a toujours beaucoup de pudeur et d’hésitation. Au départ, dans la société moderne, ils ont chacun leur métier et ont chacun leur rôle, dicté par leur activité professionnelle. Le fait d’être à l’époque des dinosaures va estomper tout ça. Ce nouveau tome est plus romantique, plus intimiste.
Cette crème anti-ridule, elle marche vraiment ?
(sourire) Je suis parti de quelque chose que j’avais lu. Le mucus des tanches est cicatrisant. Quand elles se frottent contre des herbes coupantes, elles cicatrisent quasiment instantanément.
C’est peut-être pour effacer les rides qui vont se former en gardant le sourire tout au long de l’album…
Quand j’écris un album et que je souris à mes propres gags, je me dis « c’est bon » et je sais que ça va marcher. Quand le matin j’arrive à l’atelier, je relis ce que j’ai écrit la veille et je regarde si ça me fait encore rire. Il faut que ça marche aussi en relecture. J’arrive d’ailleurs encore aujourd’hui à me faire attraper par mon propre album alors que je le connais par cœur. Les détails sont très importants… Changer un visage ou la position d’une main peut amener à déclencher un sourire.
Dans le premier tome, il y a de nombreuses scènes muettes qui succèdent à d’autres, plus bavardes, avec de nombreux plans fixes…
On retrouve également ça dans le deuxième… J’aime bien la bande dessinée muette. Mais la relation entre les deux personnages m’a contraint à y insérer beaucoup de dialogues. Stan Lee expliquait qu’après les séquences d’action, il insérait des dialogues. On peut voir par exemple Spiderman se battre tout en parlant, ce qui n’est pas forcément facile à faire. (sourire) Pour ma part, j’aime bien que les attitudes correspondent à la réalité, même si mon trait ne l’est pas. Je préfère donc que les moments où il y a beaucoup d’action soient muets. À l’inverse, je pose mes personnages pour qu’ils puissent se parler. La mise en pages se ressent, j’utilise alors un gaufrier classique, ce qui me permet de montrer le jeu des acteurs. On ne regarde plus la forme des cases, mais on s’attache à des détails, à la position des mains, des yeux…
Quand Steve récite, à la fin du premier tome, son poème, il cite également le nom de l’auteur, comme un enfant ayant appris sa récitation…
Le fait de dessiner mes personnages avec une grosse tête et un petit corps montre aussi l’enfant qu’on est toujours. Je voulais un album assez frais, naïf même s’il n’est pas toujours facile, dans la vie, de garder cette fraîcheur. Je me suis créé un monde dans lequel les personnages ont conservé une part d’enfance. D’ailleurs, la crème anti-ridule n’est pas un hasard… Il y a un côté antivieillissement.
Avez-vous vous-même expérimenté ce poème auprès de la gente féminine ? (sourire)
(rires) Non ! Mais par contre, j’aime depuis toujours la poésie. Ça me permettait aussi de montrer Steve sous un angle différent qu’un simple guide de pêche amateur de voitures. On possède tous plusieurs facettes. Alors, quand il récite un poème, forcément, on est surpris. J’ai refait de nombreuses fois cette séquence car je voulais qu’il paraisse crédible, même si l’ambiance aux temps des dinosaures ne s’y prête pas. Un monde sauvage peut aussi être calme. La campagne, ce n’est pas forcément un sanglier qui vous fonce dessus ou un chasseur qui vous attend derrière un arbre. On revient sur la volonté de faire tout à fait autre chose que Jurassic Park, qui joue beaucoup sur la peur. De même, il existait une vieille télé série de Tarzan, avec Weissmuller, qui était très violente, avec beaucoup de combats… Je voulais montrer l’autre côté… Être perdu au milieu de la nature et réfléchir à se recréer un petit monde.
Une scène de l’album rappelle fortement le film Délivrance…(NDLR : des autochtones belliqueux qui pourchassent l'étranger, au sens large du terme)
On m’a beaucoup parlé de ce film, mais je ne l’ai jamais vu. L’idée est venue de mon enfance que j’ai passée dans une campagne isolée. Couper des arbres, le métier de bûcheron, je connais. Ce qui est marrant, c’est que le fait de les caricaturer un peu, en leur mettant par exemple une cicatrice sur le front, permet d’imaginer que l’on va assister à Massacre à la tronçonneuse. Alors que pour moi, c’est juste un bûcheron qui a eu un accident de travail, comme ça arrive souvent.
Et l’idée de l’usine de jus de dinde ?
Je voulais parler de notre époque actuelle où l’on fait un peu n’importe quoi avec les animaux, notamment de l’élevage industriel. Par exemple, je pense que les chasseurs sont plus poètes que les groupes agro-alimentaires. Malheureusement, dans la bande dessinée, on montre souvent le chasseur comme le tueur d’animaux en oubliant qu’on a bien pire dans notre assiette. J’ai poussé le bouchon jusqu’aux esclaves qui travaillent à l’usine… Même si l’esclavagisme n’existe plus à notre époque, on ferme les yeux sur les conditions de vie de certaines personnes. On a découvert beaucoup de maladies du travail liées à cette activité.
Steve & Angie fait partie de la collection Poisson Pilote qui semble marquer le pas…
Cette collection contenait des projets que Dargaud veut éditer mais en ne sachant pas trop quoi en faire. L’idée originale était de pouvoir accueillir des gens qui n’avaient pas forcément la place dans ce que faisait Dargaud à cette époque. Aujourd’hui, il faut que les projets correspondent vraiment à la collection, ce qui est certainement plus difficile. Il faudrait peut-être modifier le format… ce qui est un autre débat. On est de plus en plus nombreux à se trouver un peu à l’étroit dans du 46 pages. Par exemple, j’ai besoin de deux tomes pour raconter l’histoire de Steve et Angie. Je verrais bien des nouveaux Poisson Pilote en noir et blanc d’une centaine de pages, ce qui permettrait de rester dans un prix raisonnable.
Vous avez multiplié les collaborations dans les magazines. Si vous deviez opposer les avantages et les inconvénients entre cet exercice et celui du solo dans la bande dessinée, quels seraient-ils ?
C’est cent fois mieux de faire des albums. Ce qui me plaît vraiment, c’est de pouvoir faire évoluer mes personnages. Avec cent pages, ils peuvent être différents entre le début et la fin de l’album. Dans les formats courts de presse, une fois le personnage présenté, celui-ci n’évolue pas beaucoup, on le reprend à chaque fois tel qu’il était lors de la précédente histoire. J’ai aussi pu faire des passages muets, ce qui est impossible dans le format court. La manière de composer les planches également… Quand on fait du court, on se limite souvent aux quatre bandes, en essayant d’avoir à chaque fois une bulle par case, pour raconter plus vite. Dans Steve & Angie, je pouvais à loisir utiliser une très grande case juste pour y mettre un décor.
Quels souvenirs avez-vous de votre participation au livre disque ABCD-rom de Dick Annegarn ? (1)
À l’époque où je faisais de la petite édition, il y avait une fois par mois, à la Flèche d’Or à Paris, un samedi consacré à la bande dessinée où tous les petits éditeurs et indépendants pouvaient se mettre sur les tables. Le soir, il y avait des concerts. C’est là que j’ai rencontré celui qui a monté le projet pour Dick Annegarn. Il a recruté des dessinateurs qui étaient présents. J’aimais bien ses chansons. On a discuté ensemble de ce qu’on allait dire dans le livre.
L’album Dégât Collatéral a-t-il déjà été édité ? (2)
La couverture étant sérigraphiée, on en avait fait un petit tirage. Les Requins Marteaux étaient intéressés mais il leur fallait un peu plus de pages. Si un éditeur a envie de rassembler mes histoires courtes… Il y aussi d’autres histoires courtes que j’avais écrites pour Psykopat. Une autre série également, Les enquêtes de Supérette, spécialiste des affaires spéciales, a été arrêtée. J’aurais bien aimé la terminer.
Sur votre site, passer d’un clip des "forgerons" canadiens d'ANVIL (NDLR : groupe de métal canadien) à un autre de PJ Harvey est un vrai grand écart !
(rires) Oui, et on voit un peu l’évolution du scénario. Au départ, je suis parti de clichés style série Z, puis j’ai voulu montrer l’humanité des personnages. Ceci-dit, PJ Harvey peut aussi être au sud des Etats-Unis, voisine de Massacre à la tronçonneuse. Elle est un peu dans cet univers tout en montrant une autre facette. Dans le fond, je suis très rural… C’est pour ça que cette région des Etats-Unis m’irait très bien, d’autant que la campagne française et américaine, c’est un peu la même chose. J’adore les premiers films de Russ Meyer, notamment Faster, Pussycat! Kill! Kill!, cette façon de montrer une facette des Etats-Unis qu’Hollywood ne montrait pas.
Sur quels projets travaillez-vous ?
J’ai deux autres projets mais il est encore un peu tôt pour en parler. Le premier sortira probablement chez Dargaud. L’un sera encore un duo plutôt humoristique, un peu dans la même veine que Steve & Angie. L’autre sera dessiné par Laurent Bourlaud et abordera un thème tout à fait différent, entre fiction et témoignage.
(1) Un livre BD (noir &blanc) format 21 x 21 cm , avec un cd rom comportant 1h30 de vidéo, 2 LP collectors, tous les textes des chansons, les partitions, les tablatures, les voyages, etc.
(2) Album tiré à 200 exemplaires : http://perrotbd.blogspot.fr/2010/04/degat-collateral.html