Comment est né Urban Comics ?
Dargaud est leader en Franco-Belge, très présent dans le domaine du manga, avec des séries comme Naruto. Il leur manquait une corde à leur arc, étonnamment absente de leur offre, le comics. Arrivés au terme de leur contrat au bout de cinq ans, DC a relancé un appel d’offres pour l’exploitation de son catalogue. Au-delà de l’argument financier qui a une importance primordiale, je pense que DC a vu chez Dargaud la possibilité d’installer DC en tant que patrimoine, créer une collection qui demeure pérenne dans le temps, que les pères peuvent transmettre à leurs enfants, une dimension de longévité qu’il n’y avait jamais vraiment eu chez DC. Le groupe Media Participation possédant son propre studio d’animations, garantissant ainsi la diffusion numérique, a également joué dans le choix de DC. Si le choix s’était fait uniquement sur un critère économique, je pense qu’ils auraient gardé Panini.
Le premier gros titre d’"Urban Comics" est Watchmen…
On a commencé en janvier avec Watchmen, que l’on souhaitait absolument revoir avec la traduction originale, la seule possible, celle de Jean-Patrick Manchette, qui n’a pas été réutilisée par Panini. Pour nous, c’est un message très fort pour montrer comment on va aborder les Comics : toujours rechercher la meilleure traduction possible, que le traducteur ne soit pas un simple ouvrier de la langue mais qu’il apporte aussi sa propre voix, sa propre connaissance du Comics, mais pas seulement… Jean-Patrick Manchette, au-delà de ses connaissances linguistiques, avait également de fortes compétences de romancier de polar qu’il a su utiliser pour traduire Moore, en prenant parfois quelques libertés, mais toujours avec la volonté d’apporter quelque chose en plus. L’éditeur est un passeur de contenus, mais le premier rôle en revient au traducteur. Si l’on commence à identifier un texte par rapport à son traducteur, une vraie démarche d’auteur aura été faite. Il y a une vraie discussion en amont avec les traducteurs pour savoir exactement le degré de liberté qu’ils peuvent prendre avec l’œuvre.
Concernant le format, il existe plusieurs éditions de Watchmen, dont celle appelée « Absolute », un véritable monstre, très difficile à manier. Même celle de Delcourt est assez imposante. On a choisi un format dit « de luxe », un format américain légèrement agrandi, 4 ou 5 centimètres de plus. C’est finalement un bon compromis qui met en valeur le dessin. La qualité du papier est également très importante pour nous. On utilise un papier offset et pas un papier brillant qui peut s’avérer gênant pour des colorisations un peu flashies.
Pour finir, le prix, 35€, qui sera la limite haute de nos ouvrages. On souhaite d’une part attirer de nouveaux lecteurs, mais également attirer les lecteurs de la version Panini et leur proposer, avec la traduction de Manchette, une toute autre histoire.
Quelle sera la suite des parutions ?
Le choix pour ce premier titre s’est justifié par la publication future de supers héros, par l’intermédiaire du catalogue DC. Avant d’aborder cette phase, il était important pour nous que les lecteurs connaissent Watchmen, l’œuvre qui a influencé depuis 1986 l’intégralité des auteurs de Comics. Ceux qui produisent aujourd’hui des Comics se réfèrent constamment au travail de Moore et Gibbons. Les supers héros ne sont plus des icônes intemporelles mais vieillissent, dépriment, ont des problèmes très humains. En février, un autre titre indispensable va sortir, dans l’optique de comprendre du mieux possible l’univers des super héros : DC Comics Anthologie. Il s’agit d’un recueil de 16 récits majeurs, complets et inédits. Ils retracent en gros 75 ans de production de DC et les âges successifs, or, argent et bronze. L’album ne fait « que » 288 pages. On veut vraiment que ce livre devienne le guide indispensable. Il y a également du rédactionnel où chaque histoire est recontextualisée. On a souhaité mettre en évidence l’évolution des thématiques, le lectorat visé, qui sera forcément différent suivant qu’on parle d’un "Batman 47" ou de la création de la Ligue de Justice. Il y a une évolution constante du dessin, mais aussi de la narration. Il y a également quelques articles sur les crises qui ont affecté DC, à peu près une tous les 10 ans, d’autres pour expliquer le concept des terres parallèles… L’univers DC est différent de celui de Marvel qui possède une vraie continuité, assez claire. Chez DC, en revanche, notamment dans les années 80, il existe de véritables trous. Il était donc important de choisir ces récits inédits qui se révèlent être de véritables pierres à l’édifice DC et sont très importants notamment pour la mythologie de certains personnages. Des pans entiers de la mythologie de Batman restent inédits en français, comme No Man's Land. L’objectif est de boucher un peu les trous, d’expliquer pourquoi tel auteur a développé telle thématique.
De nombreux lecteurs hésitent à franchir le pas vers les Comics, persuadés de la nécessité d’être un expert afin de saisir toutes les subtilités du genre…
Notre objectif est que chacun de nos livres soit compréhensible et autonome. C’est pour cela qu’au début de chaque album, il y a une timeline qui permet de situer le récit, et de donner au lecteur le minimum de connaissances pour pouvoir lire dans les meilleures conditions.
Vous avez un fond d’inédits à exploiter…
Oui, et c’est un peu notre chance, tout ce travail qui n’a pas été fait auparavant...
Quel sera le rythme de parution ?
Environ 9 titres par mois à compter de février 2012, qui se déclinent en cartonnés en librairie et en magazines souples en kiosque. On commence en février par « la sainte trinité » avec Superman, Batman et Wonderwoman, qui seront des récits réalisés en deux tomes, l’un pour février, l’autre pour avril. Pour le coup, on a un récit complet, inédit et accessible, ce qui devrait contenter tous les types de lecteurs.
En termes de volumes et de prix ?
On va à peu près de 112 pages à 176 pages. On oscille, en termes de prix, entre 14 € et 17,50 € en librairie. En kiosque, on sera à 5,60 €.
Quid du volet Vertigo ?
Vertigo, qui est tout sauf du super héros, devrait contenter un lectorat plutôt habitué au franco-belge. Il y a du polar (100 Bullets, Scalped), de la politique fiction (DMZ), de l’expérimentation sociologique (Y le dernier homme). Ce sont des thématiques plus pointues et plus matures que celles de DC. C’est également une collection qui devrait s’adresser plus particulièrement au lectorat féminin. On commence en février avec le titre le plus ancien de Vertigo, Hellblazer qui a eu une parution continue mais assez chaotique depuis la création du label en 1986. Là encore, en tant que lecteur, je n’avais jamais osé prendre un bouquin d’Hellblazer, étant persuadé que j’allais être complètement perdu. On a donc opté pour un récit complet, une sorte de one shot, qui résume assez bien les caractéristiques de John Constantine, dessiné par Sean Murphy, l’étoile montante du label Vertigo qu’on va retrouver sur d’autres albums comme American Vampire ou Joe The Barbarian. C’est un dessinateur que l’on va suivre de très près. Il y aura également Le Soldat Inconnu, héros créé par Joe Kubert. C’est un concept de personnage qui a voyagé à travers les époques, repris en 2006 par Joshua Dysart qui a transposé ce héros sans visage de la seconde guerre mondiale à notre époque, en 2002-2003 en Ouganda pendant la guerre civile. Ce soldat, Moïse, est d’origine ougandaise mais a fait toutes ses études de médecine aux Etats-Unis. Il revient dans son pays natal pour apporter toute l’aide dont il dispose. Empli d’idéaux pacifiques, il va rencontrer la réalité de la guerre. Laissé pour mort, il va se découvrir une violence et une force inconnues. C’est le principe de Vertigo : une base réelle avec ensuite une extrapolation. Cette nouvelle vision de ce personnage est expliquée en début d’album avec, là aussi, une démarche très pédagogique. La postface est signée Joshua Dysart qui donne sa propre vision de l’histoire, un recueil de ses éditos parus mensuellement chez Vertigo. Puis sortiront, des titres déjà bien installés comme 100 Bullets, Fables, Scalped et DMZ. Pour ces dernières séries, on va suivre un cycle de 4 mois en commençant dès le mois de mars. On aura alors une nouveauté de chacune de ces 4 séries (en mars la nouveauté de 100 Bullets, en avril la nouveauté de Fables, en mai la nouveauté de DMZ, en juin la nouveauté de Scalped, en juillet la nouveauté de 100 Bullets etc …). À la parution de chacune de ces nouveautés, on réédite deux tomes de la série en commençant par le début. On va garder le format souple avec rabats pour les nouveautés, comme Panini, de façon à ce que les anciens lecteurs ne se retrouvent pas avec une collection dépareillée. Nos rééditions seront par contre en cartonné avec un redécoupage, pour 100 Bullets, qui nous semble plus cohérent. Il y aura également quelques one shots, des récits de 200 ou 300 pages. Celui à venir, Daytripper, un roman graphique de Fabio Moon et Gabriel Ba paraîtra en avril. Il est, pour moi, le prochain grand prix d’Angoulême.
Vous donnez donc accès au lectorat à de nombreux bonus made in US restés jusque-là inédits…
Oui. Par exemple, le 26 février prochain sort Top Ten d’Alan Moore. Dans la VO du premier numéro de Top Ten, il y a un historique écrit par Moore de la ville de Neopolis, lieu du récit. On y apprend comment cette ville, peuplée de supers héros, est un projet né de l’après-guerre, créée par des savants nazis récupérés par les américains. Quand Moore crée une cité de supers héros, il y a forcément une origine. J’ai absolument tenu à le faire figurer dans la version d’Urban Comics.
Avec ce nouveau label, Dargaud risque assez rapidement de devenir le numéro 2 du Comics en France…
L’objectif est de devenir les premiers. On est vraiment là pour longtemps. Notre volonté est d’installer le catalogue DC, ce qui ne se fait pas en sortant 2 ou 3 bouquins par mois mais en proposant, outre le fond existant, des nouveautés de façon régulière.