Quel sentiment domine après avoir mis le point final à ce diptyque ? La satisfaction du (très bon) travail accompli ou la nostalgie de quitter un personnage, attachant, qui a fait un bout de chemin en votre compagnie ?
Plutôt la nostalgie. Je n’aime jamais les fins. C’est aussi pour ça que j’affectionne des formats un peu longs. Pour rester longtemps immergée dans un univers. Dumas fils raconte qu’un jour, il a trouvé son père en larmes dans son bureau. Quand il lui a demandé ce qu’il se passait, Dumas père aurait répondu qu’il était triste parce qu’il venait d’écrire la mort de Porthos à la fin du Vicomte de Bragelonne. Quand je dessine un personnage que j’aime pour la dernière fois, j’ai un pincement au cœur. Mais j’essaie de leur faire les adieux qu’ils méritent..
Qu’est-ce qui vous a intéressée dans le personnage de Milady de Winter ? L’archétype de la femme fatale, l’espionne de Richelieu… ?
La chair et l’humanité derrière la femme fatale, les blessures qui lui ont trempé le caractère. J’aime bien les histoires de destin et de malédiction et imaginer le quotidien qui leur est lié. Combiner l’icône et l’humain.
Milady de Winter est surtout présente, dans l’inconscient collectif, comme l’une des actrices principales dans le fameux épisode des ferrets de la Reine. Pourtant, ce passage éminemment connu est à peine effleuré dans le premier tome…L’essentiel est-il ailleurs ?
Oui, déjà, l’épisode des ferrets est tellement connu qu’il fait partie de l’inconscient collectif. Et puis, pour une espionne comme Milady, c’est seulement une mission. Ce qui m’intéressait était de savoir comment elle en était arrivée à travailler pour le cardinal et comment son destin dérapait. Et effectivement, ce que j’aime écrire, plus que les aventures elles-même, ce sont les liens entre les personnages, Milady et son fils, Constance et la reine, le beau-frère de Milady et son amour triste…
Plus que la force d’une femme, c’est aussi la faiblesse des hommes qui est mise en avant par Alexandre Dumas…
La faiblesse humaine en général. Milady doit être forte parce qu’elle est seule. A quatre, les mousquetaires peuvent se permettre d’être couillons. Mais c’est vrai que chez Dumas, les femmes sont souvent belles, fortes, courageuses et malgré cela sont souvent vaincues par les hommes.
D’après vous, que serait devenue Milady de Winter si elle n’avait pas été marquée au fer rouge ?
Pas de Milady de Winter sans marque d’infamie ! Si elle ne s’était pas enfuie de son couvent, elle serait morte vieille nonne et si elle s’était enfuie mais ne s’était pas fait rattraper, qui sait ? Elle serait peut-être restée avec le prêtre avec qui elle avait fui ou bien elle se serait mariée avec le comte de la Fère mais il ne l’aurait pas pendue, ou en tout cas pas pour ça. L’écriture d’une histoire est pleine de carrefours et il est difficile de savoir où le chemin qu’on n’a pas pris nous aurait menés.
Vos techniques de travail ont-elles évolué depuis vos premiers ouvrages chez Gallimard ?
Depuis que j’ai commencé à dessiner, je travaille à la plume. Ça n’a rien d’immuable, c’est surtout confortable pour moi, ça me permet de me concentrer sur d’autres choses. Par contre, j’ai alterné aquarelle, lavis, couleur ordinateur (ça, le moins possible, j’aime trop le papier et renverser de l’encre partout)
Pour quelles raisons, depuis Les Contes du Chat Perché, n’utilisez-vous plus la couleur dans vos albums ?
Les projets ne s’y prêtaient pas. Pour le petit traité de morphologie, il s’agissait de dessiner un monsieur aux cheveux blancs brandissant des os. La couleur n’aurait pas servi à grand-chose. Et pour Milady, c’est plus une question d’ambiance. Quelques essais de couleurs ont été faits par des copains, Singeon et Gabriel Schemoul. C’était magique mais ça ne collait pas à l’idée que j’avais du livre. Par contre, en ce moment, je me remets à la couleur. Encres acryliques au programme !
Pouvez-vous nous parler de votre collaboration avec Johan Sfar pour la production cinématographique du Chat du Rabbin ?
Cette incursion dans le dessin animé m’a permis de découvrir un autre monde. Il y avait sur cette production des dessinateurs impressionnants et c’était un plaisir de bosser avec eux, aussi bien avec ceux qui étaient issus du dessin animé que ceux de la BD. Le mixage des deux était intéressant. Et je ne connaissais pas le travail d’équipe avant cette expérience. Ça vaut le coup, et c’est quelque chose qui me manque parfois. Je me suis particulièrement amusée en bossant avec Grégory Elbaz.
Vos ouvrages ont tous été inspirés par un roman ou un auteur (Alexandre Dumas, J.-F Debord ou Marcel Aymé). N’avez-vous pas envie d’écrire votre propre scénario original… ou de travailler pour un scénariste ?
C’est vrai que l’adaptation est quelque chose qui revient, chez moi. J’aime qu’on me raconte des histoires et j’aime en raconter. Dessiner des histoires pour lesquelles je me suis passionnée est un vrai plaisir. Et sur le traité et Milady, il y avait un gros boulot d’écriture et beaucoup de place pour l’invention. Dans le futur, je n’exclus ni la création ni la collaboration. Il y a des gens avec qui j’aimerais beaucoup travailler mais pour l’instant, ça ne s’est pas fait.
Quels sont vos projets ?
Il y a pas mal de choses en suspens. Une histoire sur le chevalier d’Eon, des pirates avec un vieil ami, Alexis Argyroglo, un projet indéterminé avec Karen Guillorel, et quelque chose, peut-être, avec Olivier Milhaud. Mais tout est encore un peu flou.