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Zone Rouge : une série très ''spéciale'' !

Rencontre avec Philippe Pinard et Olivier Dauger

Propos recueillis par L. Gianati Interview 17/12/2011 à 15:16 6136 visiteurs
Quand les auteurs de Ciel en Ruine délaissent, pour un temps seulement, avions et autres combats aériens, c'est pour se consacrer à d'autres bolides, vrombissant cette fois sur l'asphalte. Des secrets industriels de la grande firme Citroën aux balbutiements de la mythique Porsche 356 Carrera, le premier tome de Zone Rouge démarre sur les chapeaux de roue ! C'est aussi l'occasion pour Philippe Pinard de lancer un appel à tous les Porschistes. Avis aux amateurs...

Après les avions de Ciel en Ruine, les bolides de courses. Est-ce le "moteur" de votre inspiration ?

Olivier Dauger : L’univers aéronautique m’a toujours intéressé. Buck Danny était, enfant, ma série préférée et encore aujourd’hui j’aime aller voir voler de vieux warbirds dans les meeting aériens. Mais ce que j’aime par-dessus tout c’est dessiner une époque que je n’ai pas connue. Reconstituer une scène qui se déroule dans les années 40 ou 50 en se documentant sur les costumes, les bâtiments, les véhicules etc…. Là est le vrai moteur de mon inspiration.

Philippe Pinard : C'est vrai qu'Olivier et moi-même sommes passionnés d'avions et de voitures vintage, notamment les véhicules des années 50/60, dont le design, les options techniques et, pour tout dire, la culture d'entreprise étaient radicalement différents d'un constructeur à l'autre. Aujourd'hui, les économies d'échelles, l'échange des compétences, la rationalisation des lignes de montages et les contraintes marketing conduisent à une uniformisation du parc automobile mondial qui paraît un peu tristounet face à certaines audaces stylistiques et mécaniques d'alors. Rappelez-vous seulement les formes improbables des Panhard ou la ligne futuriste des DS, pour rester dans les voitures populaires bien de chez nous.

Vous avez tous les deux une autre activité professionnelle que la bande dessinée. Quelle part consacrez-vous au 9ème Art ? Comment vous nourrissez-vous de votre quotidien pour écrire et dessiner vos histoires ?

OD : Je travaille comme illustrateur mais depuis quelques temps la bande dessinée m’occupe
quasiment à plein temps. Quant à mon quotidien, il n’a pas grand-chose à voir avec les histoires que je suis amené à dessiner.

PP : J'avoue avoir abordé la BD comme un agréable dérivatif, mais devant l'accueil plutôt chaleureux des lecteurs, je commence à prendre la chose au sérieux. Je compte même y consacrer plus de temps avec comme objectif d'apporter un regard neuf sur ce média. Je considère que toute œuvre, quel qu'en soit le support, n'a vraiment d'intérêt que si elle répond à une véritable nécessité. Je compte donc m'amuser... mais avec application ! Plus jeune, j'étais d'ailleurs un véritable BDvore. Je suppose que les passions de l'enfance finissent tôt ou tard par vous rattraper.

La période pendant laquelle se déroule cette nouvelle série (années 50) est-elle un choix personnel où était-ce imposé par le cahier des charges de la collection Calandre qui semble privilégier les aventures rétros ?

OD : Le choix de l’époque n’est pas dicté par Paquet. On est libre de proposer des histoires se déroulant aujourd’hui comme hier. Si la plupart se situent dans les années 50 c’est sans doute par goût pour l’esthétique de cette époque. Les voitures avaient des lignes plus variées qu’aujourd’hui et plus amusantes à dessiner. Je pense également qu’en dessinant ces vieux véhicules on retrouve le plaisir que l’on avait, enfant, à lire les albums de Franquin, Tillieux et autres grands de la bd franco belge.

PP : Il faut bien avouer que l'âge d'or de l'automobile se situe pendant les "trente glorieuses" juste avant le couperet de la crise pétrolière de 73 et des limitations sur routes et autoroutes qui allaient bientôt suivre. La notion de liberté, voire de modernité, associée à la voiture et à la vitesse appartient bel et bien au passé, et cela m'a amusé de faire revivre l'état d'esprit qui prévalait alors. La fameuse déclaration de Françoise Sagan "la vitesse est un élan du bonheur" ne pouvait être proférée que dans ces années là. Aujourd'hui, la circulation c'est l'affaire de la Sécurité routière, et il faudrait faire preuve d'un certain masochisme pour trouver du plaisir à décrire l'univers automobile contemporain. La prolifération des radars et du permis à points limite sérieusement la vitesse... et l'inspiration !

Quelles sont vos sources de documentation ?

OD : Internet est aujourd’hui la première source de documentation. On y trouve quasiment tout. Ensuite il y a les livres puis pour les voitures ou avions j’utilise des maquettes.

PP : Autant les année 60/70 foisonnent de documents et de souvenirs de pilotes, autant pour les années 50 c'est un peu le désert. Surtout dans la discipline où tente de s'illustrer Laurent Beaumont : le rallye. Il faut dire que le championnat du monde (ou plutôt d'Europe) venait tout juste de naître et qu'il n'existait pas encore de grande couverture médiatique, excepté pour le Monte Carlo. Mais bon, je n'avais pas trop le choix puisque je voulais à tout prix évoquer la Porsche 356 Carrera - la première d'une longue et brillante lignée - et qui, pour moi, reste la plus désirable. Et comme je tiens à rester aussi près que possible de la réalité, cette difficulté représente un challenge... intéressant. D'ailleurs, j'en profite pour lancer un appel auprès des Porschistes (et amateurs de BD) qui voudrait m'inviter à poser mes fesses dans leur baquet. On n'a encore rien inventé de mieux que le vécu pour retranscrire ses sensations littéraires ! D'autant que dans le second album, ça va pas mal bouger...

La technique automobile omniprésente ne risque-t-elle pas de ne destiner la série qu'aux seuls fans de voiture ?

OD : Il y a, certes, un peu de technique automobile mais au final pas tant que ça. Mais elle a son importance car elle contribue à rendre crédible l’histoire vécue par les personnages. Maintenant nous verrons bien…

PP : Un de vos confrère m'a fait la remarque inverse. Il a trouvé précisément que l'histoire n'était pas uniquement confiné à des réglages moteurs et des études de trajectoires, mais s'ouvrait sur d'autres aspects, politiques, culturels et sociaux, voire de mœurs... qui enrichissent l'album et le ne destine pas uniquement à une frange de spécialistes Porsche et Citroën !

Avez-vous néanmoins quelques lectrices qui viennent vous voir de temps en temps en séances de dédicaces ? (sourire)

OD : Mais oui !! Bon pas tant que çà c’est vrai mais avec la série Ciel en Ruine je suis habitué.

PP : Le printemps dernier, je suis allé faire un saut au parc fermé du rallye des Princesses, place Vendôme. J'ai pu constater qu'il y avait là un fort potentiel de futures lectrices !

Zone Rouge donne aussi l’occasion de mettre en avant les rivalités entre constructeurs, Citroën et Porsche en particulier. Ces rivalités sont-elles toujours aussi importantes aujourd’hui et portent-elles sur les mêmes éléments, à savoir la puissance du moteur ?

OD : J’avoue ne pas m’intéresser au sport automobile ! Et si j’aime détailler les lignes d’une voiture, ses performances m’indiffèrent. Philippe est sans doute mieux placer pour répondre.

PP : De nos jours, les rivalités entre constructeurs se jouent surtout à coups d'investissements financiers. Les budgets sur une saison sont devenus énormes, et c'est d'ailleurs la raison pour laquelle on y trouve de moins en moins de concurrents, ce qui à tendance à rendre les enjeux sportifs beaucoup moins palpitants. Ce n'est donc pas un hasard si les médias télévisés ont quasiment déserté ce segment du sport automobile, alors que nous disposons pourtant d'un champion du monde au palmarès exceptionnel.

Le héros doit beaucoup à Lefranc physiquement. Par contre son côté dragueur fou est aux antipodes du journaliste. Cela vient-il d'un besoin d'humaniser le personnage, de le rendre plus moderne ?

OD : Lefranc ? C’est bien involontaire (sourire) mais bon, ce n’est pas parce qu’on dessine une histoire se passant dans les années 50 que nos personnages doivent se comporter ou s’exprimer comme ceux que l’on trouvait dans les bds des années 50! Heureusement d’ailleurs.

PP : C'est sûr, nous sommes aux antipodes de Lefranc et de sa relation (que d'aucuns ont d'ailleurs jugé assez trouble) avec ce brave JeanJean. Laurent Beaumont, lui, n'est pas un héros, ni même un anti-héros, mais un personnage pétri d'humanité avec ses doutes et ses faiblesses. C'est un déclassé qui cherche à s'élever socialement. Dans les années 50, le sport automobile ne s'était pas professionnalisé comme aujourd'hui. Cela restait encore l'affaire de gentlemen drivers fortunés... ou de petit garagistes bricolant leur voiture la veille des épreuves. Il est donc suffisamment lucide pour convenir que le talent sans l'argent ne le mènera pas très loin. Je dois reconnaître qu'il use de son charme et de son pouvoir de séduction auprès de la gent féminine avec un certain cynisme pour parvenir à ses fins. C'est en quelque sorte une réplique, en plus désinvolte, du "Bel ami" de Maupassant. Mais dans sa conquête des cœurs et du pouvoir, ce cher Laurent ignore que sa Némésis s'est déjà attachée à ses pas.

Le dessin est très inspiré par la ligne claire. Quelles sont vos références en la matière ?

OD : On me parle souvent de la ligne claire en y associant souvent au passage une connotation « retro » qui parfois m’agace. Et si c’est ma façon la plus naturelle de dessiner je la dois sans doute à mon goût pour certains dessinateurs qui ont marqué mon parcours. Hergé, E.P Jacobs, Chaland, Serge Clerc…

Les couleurs ont été confiées cette fois à un coloriste, Laurent Carpentier. Pour quelles raisons ?

OD : Essentiellement pour gagner du temps et ainsi pouvoir consacrer plus de temps au dessin.

Combien de tomes sont prévus pour Zone Rouge, et à quel rythme ?

OD : Zone rouge est prévu en deux tomes. Si l’accueil est à la hauteur de nos espérances Nous ferons peut être vivre d’autres aventures à nos personnages...

PP : Oui, si ce titre connaît le même succès que Ciel en ruine, j'avoue que je me laisserais bien tenter par une suite. J'aimerais bien relater l'ambiance du Critérium des Alpes, un tracé hyper dangereux ou encore le Liège-Rome-Liège surnommé le "marathon de la route", un rallye dantesque de 5 000 km qui épuisait monture et équipage. Et puis j’ai fini par m’attacher au personnage de Laurent Beaumont (j'ai probablement, moi aussi, succombé au charme de ce cœur d'artichaut !). Mais surtout, mon rythme cardiaque s'affole dès que j’évoque l'ineffable Porsche 356, véritable objet du désir !

Après la collection Cockpit et Calandre, ne rêvez-vous pas de créer une collection Bikers au sein des éditions Paquet ? (sourire)

OD : Mais cette collection existe ! « Carénage » est son nom.

PP : Hé, hé... vous lisez en moi comme dans un livre ouvert. J'ai effectivement des projets dans ce sens, mais traités dans une veine humoristique, cette fois-ci. Il ne me reste plus qu'à croiser un dessinateur-biker et qu'il me fasse un signe... motard !
Propos recueillis par L. Gianati

Information sur l'album

Zone rouge
1. Carrera

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