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''C'est le reste que je suis allé chercher''

Entretien avec Jérémie Dres

Propos recueillis par F. Mayaud à Quai des Bulles à St Malo Interview 15/11/2011 à 09:39 3769 visiteurs
Jérémie Dres part sur les traces de sa famille d’origine juive, venue de Pologne. Contrairement à la majeure partie de ceux qui ont cette démarche, lui n’ira pas à Auschwitz. Sa volonté est autre : aller à la rencontre de la communauté juive de Pologne, rendre compte de ce qu’elle est aujourd’hui. C'est à l'occasion du festival de Saint Malo, au mois d'octobre 2011, que nous avons eu l'occasion de rencontrer Jérémie.

Nous n’irons pas voir Auschwitz, qui est concerné par le « nous » du titre de votre album ?

De façon très directe, mon frère et moi. Mais c’est aussi une affirmation qui peut impliquer plus de monde, par exemple les gens de ma génération, notamment par rapport à cette idée qui rattache inexorablement le judaïsme polonais à Auschwitz. Il y a peut-être dans ce « nous » une volonté de rassembler un peu plus de monde, puisque j’ai croisé des gens qui ressentaient la même chose. Après, il ne faut pas voir ça comme du négationnisme, ce n’est pas ma volonté, je pense qu’il y a forcément besoin d’un travail de mémoire, je comprends qu’il y ait un besoin d’aller voir Auschwitz, pour certains, mais ce n’est pas ma démarche dans ce livre. Ce que j’ai voulu dire, c’est qu’il n’y a pas que ça, qu’il n’y a pas qu’Auschwitz pour décrire l’univers du monde du judaïsme polonais.

Jean-Yves Potel (correspondant du mémorial de la Shoah pour la Pologne) évoque dans sa préface un phénomène de troisième génération. Comment pensez-vous que la génération à venir, vos enfants, va se positionner par rapport à ça ?

C’est intéressant, je n’y avais pas forcément pensé. La génération de mon père a été directement touchée, puisque ce sont ses parents qui venaient de Pologne. Lui et sa génération vivent encore pas mal avec ça : tous ces tabous, cette difficulté de tourner la page. Notre génération a un point de vue plus doux par rapport à ces questions-là, je pense qu’on a aussi envie d’avoir une identification à nos origines plus positive. Après, ce que ça donnera avec mes enfants ? Pour moi, il est hors de question d’oublier ce phénomène historique tragique qui reviendra forcément. Mais oui, je suppose que ce sera encore plus atténué chez eux.

Pourquoi ce choix de vous être placé au cœur du récit ?

Je suis convaincu que l’autofiction est une méthode très judicieuse pour présenter un contenu historique ou un phénomène passé. À la base, ça fait un certain nombre d’années que je pratique la bande dessinée, j’avais démarré en reprenant des gestes du quotidien. À côté de ça, j’ai commencé à m’intéresser, sans créer directement un lien, à la géopolitique, à certains conflits. Au début, j’ai fait une BD reportage où je rencontrais Patrick de Saint-Exupéry qui a écrit un bouquin sur le Rwanda qui s’appelle « Complices de l’inavouable – la France au Rwanda ». C’est à partir de là que j’ai commencé à créer un lien entre autofiction et géopolitique. Dans mon parcours, c’est comme ça que l’autofiction s’est imposée comme une évidence. C’est un super moyen pour pouvoir raconter un événement. En effet, quoi de mieux que raconter la découverte de l'information en se rendant sur place et en rencontrant les gens. Ainsi, le lecteur est guidé, il suit un personnage. Je trouve ça assez intéressant. Je me sentirais moins à l’aise d'effectuer une reconstitution.
Ce que je trouve très bien également, c’est cette possibilité qui est donnée de ne pas donner d’opinion tranchée. Je ne conclus pas sur « la Pologne, aujourd’hui c’est ça », c'est ce qui m’a permis de faire ce livre en l’assumant pleinement, c’est-à-dire qu’on ne peut pas me reprocher d’avoir donné une opinion ou une autre. L’ambition de ce livre, c’est de raconter notre voyage. Alors, est-ce qu’on est parfois tombé dans le panneau, peut-être, à la limite, je l’espère : ça permet au lecteur de se faire une idée par lui-même de la situation en la lui exposant. C’est ça que je trouve précis dans l’autofiction, ce qui me paraît plus compliqué à atteindre dans une reconstitution, qui nécessite plus d’imagination. C’est ce que j’aime beaucoup dans le travail de Lanzmann sur la shoah : on est forcé de naviguer à travers les témoignages de chacun pour se faire sa propre idée de ce qu’a pu être cet événement. Ce procédé me plait énormément, parce que je trouve qu’il est le plus proche d’une certaine objectivité, même si une part de subjectivité demeure. Dans une reconstitution, je trouve qu’il y a plus de risques de se tromper.

Quels sont vos influences en matière de bande dessinée ?

Pour ce qui est de l’autofiction, il y a Le combat ordinaire de Manu Larcenet. Cette sincérité m’a beaucoup plu, et elle m’a donné l’envie d’en mettre autant dans mes livres. Pour ce qui est du reportage, c’est forcément Joe Sacco. Pour moi, il le fait très bien. C’est vrai que ça ne donne pas des livres particulièrement drôles, mais il retranscrit vraiment très bien le contexte des situations. Moi, je connais essentiellement son travail sur la Bosnie, et justement, pour m’être intéressé à cet épisode historique, je trouve qu’il remet bien les choses dans leur contexte, de manière très précise.

Quelles ont été vos motivations pour transposer ce voyage en livre ?

J’avais mon idée avant de partir, j'avais vraiment préparé ce voyage. J’avais contacté un journaliste du Monde pour avoir des contacts sur place. Je savais qu’à la fin du voyage, il y aurait un festival de culture juive, ce qui tombait bien, parce que j’avais envie de le finir comme ça, sur une touche un peu enlevée, et donner à voir ce qu’était la culture juive en Pologne aujourd’hui. C’était donc préparé, mais je ne savais pas ce que ça allait donner, je ne savais pas si j’allais récupérer suffisamment de matière. Il y avait donc cette incertitude, même si je pressentais qu'il y aurait a priori quelque chose à faire de ce voyage. Mais avant de partir, il y avait quand même cette peur de revenir un peu bredouille. On a eu de la chance, parce qu’on a retrouvé la tombe des parents de ma grand-mère, ce que je ne pouvais absolument pas prévoir, ainsi que le fait de pouvoir se rendre à Żelechów, ce qui n’était pas si évident que ça, mais on a réussi, on l’a fait. Tout comme l’épisode qui se passe dans la mairie, qui est assez drôle, on n’avait pas choisi de le vivre ! C’est vrai que cette somme d’événements a fait qu’en rentrant, j’étais persuadé qu’il y avait matière à faire quelque chose, et là, d’un coup, j’étais très motivé.

Dans votre livre, il y a beaucoup d’humour, on y retrouve l’esprit de Rabbi Harvey, des dialogues à la Woody Allen ! Y-avait-il une volonté de votre part de mettre un peu de légèreté dans votre livre ?

Oui, clairement. Parler de ces sujets là, ça s’est toujours fait de manière assez lourde, très chargée, et je pense que sourire un peu n’altère en rien l’ampleur d’un événement. Et oui, en effet, j’ai vraiment vécu des moments très drôles lors de ce voyage. Je pense à ma rencontre avec ces deux personnes d’une soixantaine d’années de l’association TSKZ qui eux, étaient hyper drôles, et puis c’est vrai que vouloir parler de la communauté juive de Pologne, c’est aussi parler de cet humour Yiddish. Vous parliez de Rabbi Harvey, moi j’adore, c’est comme Isaac Bashevis Singer, c’est complètement ça. Si jamais je ne l’avais pas recontextualisé dans mon livre, ça aurait été une énorme perte.

Vous avez étudié à l’école des Arts Déco de Strasbourg, avez-vous côtoyé les auteurs de bande dessinée qui sont passés par cette école ?

Oui, je les connais un peu, Matthias Picard par exemple, qui était de la même promo que moi. Je connais ceux de cette génération, même si je n’ai jamais travaillé avec eux. Par contre, je ne connais pas ceux de la génération du dessus, c'est-à-dire les Satrapi, Sapin, même si j’ai rencontré ce dernier à France Culture lors d’une interview. En fait, après les Arts Déco, je me suis plutôt orienté vers l’art numérique, les installations interactives, les performances. Je suis toujours dedans d’ailleurs, mais je n’ai jamais lâché la bande dessinée. Ce projet m'a paru être le détonateur.

Cet album constitue-t-il pour vous juste un passage, ou avez-vous d’autres projets en bande dessinée ?

Non, ce n’est pas un passage, parce que j'ai eu beaucoup de plaisir à le réaliser, et puis ce principe de reportage autofiction me plaît énormément. Je compte bien l’exploiter de nouveau dans d’autres thématiques. Je sais que cette idée de faire des voyages, de me mettre en scène, est quelque chose qui me plaît beaucoup, et comme je suis vraiment passionné par certains sujets liés à la géopolitique… Là, l’avantage, c’est qu’il s’agissait d’un sujet vraiment intime, avec une part belle à l’autofiction, peut-être que pour les prochains il y aura plus de contenu géopolitique, j’ai clairement envie de continuer dans ce domaine, de l’approfondir, de trouver de nouvelles perspectives.

Comment votre livre a-t-il été accueilli par le public, la communauté juive ?

Plutôt bien ! J’ai reçu des courriers de lecteurs qui ont été assez sympas, qui m’ont surpris. Par exemple des gens, eux-mêmes originaires de Żelechów, le village d’où vient mon grand-père, m’ont contacté. J’ai eu des réactions essentiellement positives, des gens émus. Certains n'ont pas compris ma démarche de ne pas parler de la Shoah mais du reste, quelques signes de protestations à propos de blagues sur la religion, mais bon, les personnes dans mon récit s'expriment très librement ! Globalement très positif !
Propos recueillis par F. Mayaud à Quai des Bulles à St Malo

Information sur l'album

Nous n'irons pas voir Auschwitz

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