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Le syndicat des auteurs de BD

Interview de David Chauvel

BDGest Interview 29/10/2011 à 12:18 12396 visiteurs
C'est au festival Quai des bulles de Saint-Malo que le groupement des auteurs de bandes dessinées (GABD) du Syndicat National des auteurs compositeurs (SNAC) va présenter le contrat commenté, un document de près de 200 pages, agrémenté de dessins humoristiques, destiné à être "Un véritable mode d’emploi à l’usage des auteurs, dessinateurs, scénaristes et coloristes ». L'occasion de faire le point avec David Chauvel, membre fondateur.

Pourquoi et comment le syndicat a-t-il été créé ?

Le syndicat a pris naissance dans ma cuisine, en 2006 suite à "l'affaire Dupuis", c'est à dire la réaction des auteurs après le rachat de la maison d'édition belge par le groupe Media Participations. Il y avait là Kris, Michaël Le Galli, Cyril Pedrosa et votre serviteur.
Avant cela, il y avait eu la MDABD (Maison des auteurs de bandes dessinées), créée et basée à Angoulême, qui avait jeté des bases et fait vivre à certains d'entre nous une première expérience collective d'auteur.
Créer un syndicat, on en avait parlé avec Denis Bajram, puis avec des amis, comme Michaël, ou Cyril... Et c'est finalement ce dernier qui a donné l'impulsion. Une fois la décision prise, nous avons contacté, chacun de notre côté, des auteurs que nous pensions sensibles à cette démarche.

Cyril a fait un gros boulot de débroussaillage et examiné les différentes possibilités, depuis la création d'une entité indépendante au ralliement à divers syndicats existants. Il y a eu une réunion des combattants de la première heure, avec les représentants de ces diverses entités... Et parmi eux, c'est Emmanuel De Rengervé, le délégué général du Snac, qui a convaincu et séduit, notamment, si j'en crois les participants, parce qu'il s'est bien gardé de promettre quoi que ce soit, excepté de la sueur, du sang et des larmes. Et la suite des évènements lui a donné raison.
Voilà pour le "comment".

En ce qui concerne le "pourquoi", je vais faire plus court. Un syndicat, tout le monde en parlait, depuis toujours et personne ne le faisait. Le but, bien sûr, était d'assurer la représentation et la défense des auteurs, partout où elles étaient nécessaires. Après cette décision, nous avons continué à "recruter" en diffusant l'information autour de nous. Un groupe de "fondateurs" s'est créé, qui étaient prêts à faire un chèque pour la cagnote de départ de notre groupement. Puis nous avons organisé un comité de pilotage, composé de volontaires prêts à travailler, ponctuellement ou en continu, sur les différents chantiers qui nous attendaient.

Ça marche comment le SNAC-BD ? Quels sont les rôles du comité de pilotage et du conseil syndical ?

Le comité de pilotage du groupement bande dessinée, composé d'une dizaine de membres volontaire, gère les affaires courantes du groupement, monte les dossiers, répond aux demandes etc... Il travaille de façon très simple avec une mailing liste et chacun reçoit les messages et réponses des uns et des autres.
N'importe quel membre prêt à prendre un peu de son temps est le bienvenue à bord et il y a toujours des places à prendre car nous faisons "tourner" les membres du comité.
C’est, je crois, une de nos forces et ce qui désoriente les interlocuteurs « traditionnels »… Nous n’avons pas de « leaders charismatique », les décisions sont prises en commun, la communication ou la représentation du groupement, est faite tantôt par l’un, tantôt par l’autre… C’est une manière de faire qui nous est venue spontanément, qui répond sans doute à notre manière de travailler (par internet principalement) et qui permet aujourd’hui d’éviter qu’il puisse y avoir pression sur deux ou trois « décideurs » du syndicat.
Aujourd’hui, c’est moi qui vous réponds, mais à quelqu’un d’autre, demain, ce pourrait être Virginie Augustin, Sylvain Ricard ou Hubert… On peut d’ailleurs considérer que je réponds présentement au nom du comité de pilotage.

Le conseil syndical concerne le Snac dans son ensemble. Son fonctionnement général et les affaires importantes sont discutés en réunion, une fois tous les mois, avec le délégué général et les représentants des différents groupements. C'est là que les décisions importantes concernant la vie du syndicat lui-même, et ses actions, au niveau global ou au niveau de chacun des groupements sont prises, après discussions. Le choix de soutenir un auteur en justice, par exemple, après avoir été approuvé par le groupement, doit l’être par le conseil syndical.

Quand on regarde la liste des membres créateurs ou actifs on remarque que c'est surtout un mouvement de quadras. Où sont les grands anciens, les Giraud, les Tardi, les Loisel...

Maëster a rejoint la MDABD puis le GABD (Groupement des auteurs de bande dessinée) il y a deux ans. A part lui, en effet, nous n'avons quasiment que des auteurs entre 20 et 45 ans... Ce doit être une question de génération, je ne sais pas...
Ils ont démarré la bande dessinée à un autre moment de son histoire, dans un autre contexte, qui appelait peut-être moins au rassemblent. Pourtant, et Henri Fillipini s'est chargé de nous le rappeler sous la forme d'une chronique vacharde mais juste, il y a quelques mois, le statut de l'auteur de bande dessinée s'est considérablement dégradé en 30 ans.
Ce n'est pas une marche que nous avons descendue, c'est tout l'escalier...

Est-ce que vous vous inscrivez dans un rapport de lutte des classes comme de nombreux syndicats ou ce n’est pas du tout votre propos ?

Nous ne nous inscrivons dans aucun rapport de classe, c’est certain. Nous ne sommes pas salariés, en conséquence de quoi, notre rapport à nos "employeurs", c'est à dire les éditeurs, est très particulier. Ils sont à la fois nos partenaires pour publier des bandes dessinées créées par nous... Et nos adversaires lorsqu'il s'agit de négocier les meilleures conditions contractuelles. Il y a donc d'un côté une nécessité de s'entendre et de travailler ensemble. Et de l'autre une obligation de s'affronter et d'entrer, ponctuellement, dans un rapport de force. C'est d'ailleurs une dichotomie difficile à intégrer pour la plupart des jeunes (voire moins jeunes) auteurs, et c'est logique.
Notamment parce que le système tel qu’il est mis en place fait que l’auteur propose et l’éditeur dispose. Et que ce simple postulat de départ fait que la relation est d’entrée de jeu déséquilibrée, l’éditeur paraissant faire un « cadeau » à l’auteur en acceptant de le publier… Alors qu’en fait, c’est un cadeau mutuel, puisque l’auteur, lui aussi, accepte d’être publié par l’éditeur, et ce n’est pas rien.
A partir là, le syndicat s'inscrit dans ces deux rapports, celui du travail commun comme celui de l'affrontement. Nous avons ainsi porté des revendications collectives devant le groupement bande dessinée du SNE (Syndicat National de L'Edition), qui regroupe les plus gros éditeurs de bande dessinée. Mais aussi proposé de travailler avec eux sur plusieurs dossiers. C’est le sens de notre démarche globale.

Pensez-vous pouvoir atteindre une masse critique pour pouvoir peser collectivement sur les éditeurs ou chacun devra-t-il continuer à se débrouiller individuellement ?

A ce jour, nous avons près de 300 adhérents, sur environ 1500 professionnels de la bande dessinée aujourd'hui (dessinateurs, scénaristes, coloristes) vivant plus ou moins bien (souvent moins) de la bande dessinée. Ce qui représente un taux (record) de syndicalisation de près de 20% !! (la moyenne nationale est à 8%, un des taux les plus bas pour les pays industrialisés, ce qui explique bien des choses, mais ce n'est pas le sujet...).
Mais quand bien même nous serions le double, nous ne pèserions pas plus face aux choix que font nos partenaires éditeurs. Car nous n'avons pas de poids réel à partir du moment où nous n'avons aucune capacité de blocage.
La première arme du travailleur, pour reprendre un vocabulaire de "lutte des classes" est de pouvoir cesser le travail. Bloquer l'outil de production et ainsi obliger l'employeur à une discussion que, par principe, il refuse. La nature même de notre activité, et notre éparpillement géographique (nous sommes 1500 éparpillés sur tout le territoire, voire à l'étranger), empêchent tout regroupement et tout cessation de travail efficace.

Quels sont alors vos moyens de pression face aux éditeurs ? Peut-on imaginer un jour voir des auteurs descendre dans la rue pour manifester ? (sourire)

Comme je le disais plus haut, nous n'en avons pas. A partir du moment où il n’y a pas de blocage, il n’y a pas de moyen de pression, c’est aussi triste mais aussi simple que ça.

Prenons l'exemple de l'Appel du Numérique.
En mars 2010, nous avons lancé l'Appel du Numérique. A cette époque, tout le monde était obnubilé par le numérique, certains prophétisaient une irrésistible ascension, qui allait faire s'écrouler en deux temps trois mouvement les chiffres de vente du livre papier... Nous avons commencé à en discuter avec SNE et notamment en demandant à être associés à leurs réflexions sur le sujet. Il nous semblait essentiel que notre avenir commun, dans ce secteur si proche et si différent du livre papier, fasse l'objet d'une réflexion commune.

Les gens du SNE nous ont affectueusement et poliment tapoté la tête avant de nous reconduire à la sortie en nous expliquant qu'ils nous rappelleraient.
Ce qu'ils n'ont bien sûr jamais fait.
Et nous avons très vite compris que ce qu'ils préparaient, c'était une application des usages du livre papier au livre numérique, notamment sur le plan financier, c'est à dire nous imposer un taux de droits d'auteurs de base de l'ordre de 8 à 10%, selon les maisons d'édition. Le même que pour un livre physique, alors qu'il n'y avait plus de livre à fabriquer, plus de frais de fabrication, plus de frais de transport, plus de frais de stockage, etc...
Cette décision, forcément unilatérale, nous est apparue et nous apparaît toujours comme totalement scandaleuse.
Nous avons donc lancé un appel à l'ensemble des auteurs, leur demandant de signer le document par lequel ils s'engageaient à refuser l'exploitation
numérique de leurs oeuvres, tant que les éditeurs n'auraient pas accepté de s'asseoir à une table pour discuter avec nous d'une plus juste répartition des fruits de notre travail commun. Et je ne parle là que de la répartition des droits, sachant qu'il y a bien entendu de nombreux autres points à discuter autour du livre numérique. Mais c'était le point de blocage principal. Celui sur lequel nous voulions être entendus et celui sur lequel ils avaient de toute évidence l'intention de s'arc-bouter.
Il y a eu de nombreuses discussions, des polémiques, des échanges plus ou moins musclés, par voie de presse interposée, ou sur le net.
Il y a eu une rencontre avec les gens du SNE, au cours de laquelle ils se sont évertués à nous expliquer que si si si, le livre numérique coûtait autant si ce n'est plus que le livre papier. Mais que dans leur infinie générosité, ils nous proposaient de signer pour trois ans à ce taux, puis de nous revoir pour discuter d'un éventuel taux supérieur.
Pendant ce temps, ils appelaient les auteurs un à un pour les persuader de céder leurs droits numériques, signer des avenants de contrats qu'ils envoyaient par centaine, faisant pression de manière individuelle pour éviter tout blocage. Et bien entendu, ils ont très rapidement réussi.
Un grand nombre d'auteurs qui s'étaient engagés, en signant l'Appel du Numérique, à ne pas autoriser l'exploitation numérique de leur livre, se sont désavoués quelques semaines ou quelques mois plus tard.

Ce qui ne prouve pas qu'ils sont lâches ou inconséquents, ce qui prouve simplement que seuls et isolés, nous ne sommes pas de taille à lutter avec notre éditeur quand surviennent des désaccords fondamentaux de ce type.
Et même collectivement. Après l'Appel du numérique, il y a eu des négociations entre le SNE et l'ensemble des organismes représentant les auteurs (dont le Snac) qui ont abouti à une rupture des discussions, après que le SNE a refusé de faire la moindre concession aux demandes des auteurs.
C'est ce qu'on appelle les négociations à la française : tout refuser, en bloc, en disant que les auteurs ne sont "pas raisonnables" et que les éditeurs sont les mieux à même de gérer la situation.
Mais c'est également la manifestation évidente d'un rapport de force déséquilibré. Les éditeurs ont tout refusé, les auteurs n'ont rien obtenu, et le tout sans conflit. La raison de cet échec est assez simple : aujourd'hui, la très grande majorité des auteurs de bande dessinée, mais aussi probablement des auteurs tout court est composé de "travailleurs pauvres". Des gens qui ne gagnent pas le salaire minimal.
Leur seul moyen d'action serait de bloquer la chaîne du livre. Cesser de "produire", c' est à dire d'écrire, de dessiner, de mettre en couleur. Mais comment voulez-vous qu'ils fassent, sans argent ? En moins de deux mois, ils seraient à la rue, morts de faim ou les deux... Je caricature, mais le fait est qu'ils n'en ont pas les moyens. Or, à un moment, pour peser dans la balance, il faut entrer dans un rapport de force.
Il y avait la solution de bloquer les droits d'exploitation numérique, mais elle a fait long feu, de la manière que je viens d’expliquer.
Nous n'avons donc, aujourd'hui, sur ce point précis, plus aucun moyen de faire pression sur les éditeurs. Nous avons perdu cette « bataille du numérique ».
C’est la limite de l'action syndicale, telle qu'elle peut être envisagée aujourd'hui, sur des négociations "globales", comme celle-là.
La seule chose qu'on ne pourra pas nous reprocher ce sera de ne pas avoir essayé. Sans compter que nous sommes avant tout des auteurs comme les autres, pas des professionnels de la lutte syndicale et que nous apprenons, nous faisons des erreurs, etc.
Et ça ne veut pas évidemment pas dire que le syndicat ne sert à rien, loin de là.

Quand tu parles "des gens du SNE", on a l'impression qu'il ne s'agit plus des éditeurs de bandes dessinées qui travaillent à l'affectif mais d'industriels froids qui obéissent à une logique pragmatique et sans concessions.

Il s'agit de chefs d'entreprise ou de gens qui sont payés pour les gérer aux mieux des intérêts de leurs actionnaires. Leur but est donc d'avoir une activité la plus rentable possible, et de tenir leur place dans un marché extrêmement concurrentiel. C'est leur rôle, et je comprends, comme tout le monde au syndicat, comprend tout à fait la légitimité de leur action ou de leur réaction.

Ils sont regroupés au sein du Syndicat National de l'Edition pour défendre au mieux leurs intérêts. Et nous sommes regroupés au sein du GABD pour défendre aux mieux les intérêts des auteurs de bande dessinée. Il n'y a là aucun jugement sur les personnes, aucun jugement de valeur ou de morale. Chacun défend c'est intérêt et c'est logique. Et cette partie de nos activités respectives n'est pas celle dans laquelle on fait parler le coeur, l'affection ou les goûts esthétiques. Et ce, d'autant plus que les gens du groupe BD du SNE dont les directeurs généraux des maisons d'édition, pas les directeurs de collection donc à quelques exceptions près, pas les interlocuteurs habituels des auteurs.

De toute façon, nous sommes tous assez adultes pour séparer les choses. Nous pouvons avoir un conflit important avec les éditeurs, et le lendemain aller déjeuner avec eux et parler d'un projet avec un plaisir et un enthousiasme partagés. L'un n'empêche pas l'autre et vouloir voir les choses de façon plus binaire n'est pas faire la preuve d'une grande maturité.

Plus prosaïquement, quels sont les outils et services que vous mettez à la disposition des auteurs ?

Le premier, et sans doute le plus important, est le conseil juridique gratuit. N'importe quel adhérent peut contacter le délégué général du Snac pour lui poser une question relative à la question du droit d'auteur, de son statut ou de son contrat. Ou faire examiner son contrat, en cas de doute sur tel ou tel point. Ce qui est déjà énorme, quand on connaît le tarif horaire d'une consultation juridique spécialisée.

Le deuxième est le principe de la médiation, que nous offrons lorsqu'un conflit a lieu entre l'auteur et l'éditeur. Lorsque c’est possible, et c'est le cas dans la majorité des dossiers qu’on nous apporte, nous proposons qu'un ou deux membres du comité fassent une première médiation entre l'auteur et la maison d'édition. Car l'entrée en jeu du syndicat et des compétences juridiques du délégué général permettent bien souvent d'obtenir de la maison d'édition, les réponses qu'elle refusait à l'auteur.
Ou de faire comprendre à l’auteur, ça arrive également, qu’il n’est pas forcément dans son droit ou que ce qui lui semble abusif de la part de son éditeur était en fait bel et bien stipulé dans son contrat (ce qui est, hélas, un cas assez fréquent).
Nous choisissons autant que faire se peut un médiateur qui connaît bien la maison d’édition concernée, afin de parvenir sinon à un accord, au moins à un dialogue. Depuis la création du syndicat, nous avons mené au moins une centaine de médiations, dont la grande majorité a abouti, et permis de débloquer la situation. Des témoignages d'auteurs sont d'ailleurs à disposition sur notre site.
Et il est rare que les éditeurs nous le refusent.
Et ce, d'autant plus qu’ils savent que si nous avons un dossier solide et si nous sommes face à un refus de leur part de reconnaître le bien fondé des demandes de l’auteur, nous pouvons porter l'affaire en justice. Nous l'avons déjà fait. C'est un chemin long et difficile, surtout pour les auteurs qui en sont toujours très affectés, et c'est la raison pour laquelle nous tentons au maximum de régler les problèmes par des médiations, mais que nous pouvons emprunter si nous y sommes obligés.

Le comité de pilotage est également présent pour répondre aux questions des membres, pour diffuser de l'information, et, troisième point essentiel, pour mener un travail de fond. Ca a notamment été le cas pour un groupe de travail qui a sué sang et eau sur la rédaction d'un outil, qui, j'en suis sûr, va considérablement changer la vie des auteurs : le contrat commenté.
Un document de près de 200 pages qui va enfin permettre aux auteurs de décrypter les clauses de leurs contrats.
C’est le fruit du long labeur d’un groupe de travail du comité et ce, j’en suis sûr, un outil qui va vite devenir indispensable à tous.
Il est téléchargeable gratuitement, gratuit en version papier pour nos adhérentes et coûte 10 euros + port pour les non adhérents.
C’était un gros chantier, nous sommes tous très contents qu’il soit enfin terminé.

A ce propos, on a récemment parlé d'éditeurs qui proposaient des contrats obsolètes ou douteux. Qu'en est il ?

Légalement parlant, je ne peux pas me permettre de citer le moindre nom. Mais j’appelle, à cet égard, l’ensemble des auteurs à la plus grande prudence concernant la signature de contrats avec des maisons dont le siège est situé à l’étranger.

Par éditeurs étrangers tu entends notamment belges ou suisses ?

Tout à fait. En cas de conflit, il devient extrêmement difficile de les défendre, car non seulement nous devons trouver des juristes spécialisés dans le droit du pays en question, mais la législation en vigueur dans tel ou tel pays est souvent moins favorable aux auteurs qu’en France.
Nous avons vu passer récemment des cas douloureux, c’est pourquoi je me permets cette parenthèse et invite les auteurs, en cas de doute, à nous consulter avant signature.


Comme dans SNAC il y a National, votre domaine de compétence s'arrête au cadre juridique français ?

Oui et non. Nous défendons les auteurs français. Et nous pouvons tenter de les aider si ils sont publiés par un éditeur étranger. Mais à partir du moment où on entre dans ce cas de figure, tout devient plus difficile et plus compliqué...

Que peux faire le syndicat face aux avances sur droit qui fondent comme neige au soleil ?

Chacun sait que depuis bientôt deux ans, le marché progresse moins vite, voire se tasse, et du coup, la politique générale des éditeurs s'en ressent. Ils ont le pied sur le frein des dépenses et des projets signés. Concernant le deuxième point, tout le monde se plaignant d'une "surproduction", je pense que nombreux sont ceux qui s'en réjouiront (ce qui ne sera bien sûr par le cas des auteurs n'arrivant plus à signer et donc à travailler). Concernant le premier, il est vrai que les négociations sont devenues plus difficiles. Les budgets ont baissé. Certains albums qui pouvaient se faire sur une base de prix à la page passent systématiquement sur un forfais forcément moins rémunérateur pour les auteurs…
Les éditeurs ayant des coûts fixe (masse salariale, fabrication…), leur première variable ajustable sont les avances sur droits faites aux auteurs et c’est regrettable. Je l’ai déjà dit et je le redis, aujourd’hui, nous sommes persuadés qu’une grande partie si ce n’est la majorité des auteurs est composé de travailleurs pauvres, qui gagnent moins que le Smic.

Cette crispation est constatée dans les grandes maisons d’édition, comme dans les petites, qui payaient déjà leurs auteurs en deçà de ce qui se pratique dans les grandes maisons, et qui semblent en effet multiplier les propositions de "forfait global" qui ramènent le prix de page à des taux ridiculement et scandaleusement bas. Le problème est alors celui de l'acceptation... Mais qui peut blâmer un auteur de préférer être publié pour pas cher plutôt que pas publié du tout ? Certainement pas moi... Et lui faire porter le chapeau est une inversion des responsabilités que je trouve totalement malhonnête.
Le méchant, le traître, serait celui qui accepte l'offre indigne et non celui qui la fait. Vouloir faire croire le contraire est un tour de passe-passe assez nauséabond.
Maintenant, pour répondre à la question, non, bien sûr, le syndicat ne peut rien faire. Comment le pourrait-il ?
Nombreux sont ceux qui, depuis des années, souhaitent l'instauration d'un "prix minimum", mais c'est une proposition qui n'a aucun sens. Certains auteurs mettent une semaine ou deux à faire une planche. D'autres une heure ou deux. Les situations et les livres publiés sont beaucoup trop hétéroclites pour qu'on puisse espérer donner un prix de base.
La seule chose que nous pouvons faire, c'est répondre aux questions des auteurs qui viennent nous montrer leur contrat, nous demander ce qu'on en pense, si c'est courant, admissible, sur quelle échelle, comparée à ce que d'autres payent, etc...
Et je pense que ce que nous leur dirons, c'est que personne ne peut les empêcher de travailler à bas prix, mais que ce qui est purement inadmissible, c'est que certains éditeurs payent très peu, mais en revanche, font signer des contrats en tout point semblables aux contrats d'éditeurs qui, eux, donnent aux auteurs les moyens de vivre correctement pendant la réalisation de leur album. Et parfois même plus contraignants.
C'est inacceptable. On ne peut pas ne pas donner aux gens les moyens de survivre de leur travail et en même temps vouloir avoir les droits papiers pour la langue française, ces mêmes droits pour l’international, les droits dérivés, les droits numériques, les droits audiovisuels et que sais-je encore.
C’est purement scandaleux.
Quand on n’a pas les moyens de ses ambitions, on revoit ses ambitions à la baisse et on remet un peu d’équité dans la relation auteur/éditeur.

Votre utilité vient de la connaissance de votre existence par vos pairs. Quels sont vos moyens de communication ?

Nous avons beaucoup communiqué, pendant les deux premières années, pour nous faire connaître, à travers le net, la presse spécialisée, etc.
C’est vrai que nous le faisons moins, mais nous avons la sensation, peut-être fausse, que la très grande majorité des auteurs connaît aujourd’hui notre existence.

Quid de la pédagogie ? Intervenez-vous dans les écoles de bande dessinée ou des manifestations du type CFSL workshop, par exemple ?

Ca nous est arrivé. Nous le faisons à Angoulême depuis deux ans, au Musée de la Bande Dessinée qui a la gentillesse de nous accueillir.
Michaël a fait une présentation du groupement à Barcelone, qui a vivement intéressés nos camarades espagnols, ainsi qu’au festival de Lyon. Il y en a eu d’autres, ici et là…
Nous pouvons certainement faire mieux, mais les membres du comité n’ont pas le don d’ubiquité et à cet égard, les nouveaux venus sont toujours les bienvenus, pour paraphraser le très regretté Lucien Jeunesse.
Mais nous sommes ouverts à toute demande et il est assez rare que nous les satisfassions pas, donc n’hésitez pas à nous solliciter pour venir prêcher la bonne parole !!

Le syndicat existe depuis 2007, quel bilan portes-tu sur ces quatre années d’existence et quelles sont les perspectives ?

Attention, si le groupement bande dessinée existe depuis 2007, le SNAC, lui, existe depuis 1946.
Ceci étant dit, je porte un regard extrêmement positif sur ces quatre années. Disons les choses simplement : avant, quand un auteur était face à un conflit, avait des questions juridiques, des doutes sur un contrat... Il était seul ou presque face à son problème. Maintenant, il y a des gens compétents pour l’aider, le soutenir au besoin.
J'ajoute que même un auteur non adhérent peut nous contacter si il a un problème. La seule chose que nous demandons, en échange de l'intervention du juriste, c'est une adhésion en retour. Et c'est peu demander.
Nous comptons près de 300 adhérents, nous avons fait avancer un certain nombre de dossiers, nous répondons à des questions presque quotidiennement, nous avons mené à bien une centaine de médiations, nous avons accompagné et soutenu des auteurs jusqu'au tribunal, afin qu'ils fassent valoir leurs droits...
En quatre ans, c'est quand même pas si mal.
Pour l'instant, le solde négatif vient du problème du numérique. Mais au-delà de la bande dessinée, il concerne l'ensemble des auteurs qui se sont heurtés au mur du SNE. L'avenir, et l'arrivée de nouveaux concurrents comme Amazon, nous dira si leur intransigeance était ou non une bonne stratégie à long terme.
Ceci étant dit, il y a bien sûr énormément de travail devant nous, et je le redis, toutes les bonnes volontés sont les bienvenues à bord de notre fragile mais fier esquif !! ?


Une histoire de chasse, pour la route ?

Oui. L'histoire de Paf le chien de chasse.
Alors c'est l'histoire d'un chien de chasse qui traverse la route sans regarder, et Paf le chien!!
De chasse.

Propos recueillis par Stéphane Farinaud
Les dessins illustrant cet interview sont issus du contrat commenté et de L'année de la BD 1986-1987.



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