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Entretien avec Sylvain Ricard

Propos recueillis par L. Gianati Interview 16/08/2011 à 18:33 4603 visiteurs
Il y a sept ans, Clichés Beyrouth 1990 avait marqué les esprits par la justesse de son témoignage, la force de son propos et le talent naissant de son scénariste. Depuis, la bibliographie de Sylvain Ricard s’est enrichie de quelques perles comme …à la folie ou Dans la colonie pénitentiaire. À l’occasion de la sortie de son nouvel album, Stalingrad Khronika, l’auteur a accepté de répondre à quelques questions.


Après Clichés Beyrouth 1990 et Guerres civiles, Stalingrad Khronika montre une nouvelle fois une ville transformée en véritable champ de bataille. Est-ce simplement le fruit du hasard ou plutôt un thème que vous affectionnez particulièrement ?

C'est un peu des deux, mais ça n'est pas ma volonté. Clichés Beyrouth 1990 est un récit autobiographique et donc la ville s'est imposée d'elle-même. Pour Guerres Civiles, c'est Jean-David Morvan qui m'avait appelé pour co-écrire avec lui, et je m’étais glissé dans le canevas qu’il proposait. Enfin, pour Stalingrad Khronika, c’est Franck Bourgeron qui souhaitait un récit qui se passe durant cette bataille légendaire. Je n’ai fait que construire le récit au milieu de ces ruines, me servant du décor comme d’un acteur de cette histoire.

Comment vous est venue l’idée de cette histoire de propagande stalinienne ?

C’est parti, à la base, d’une discussion autour des photos truquées qui étaient monnaie courante en Union soviétique (et qui sont évoquées dans « le club des incorrigibles optimistes »), et bien pratique pour réécrire l’histoire, éliminer un gêneur des archives, punir un individu etc. De fil en aiguille, nous en sommes venus à évoquer les films de guerre, puis de propagande… L’idée à germé doucement pour finir par s’imposer à nous.

Si le procureur Vichinsky a réellement existé, qu’en est-il des autres personnages ?

Les personnages sont bien entendu tous fictifs, inventés pour les besoins de l’histoire, mais sont cités quelques grands hommes qui ont participé à la bataille de Stalingrad ou qui étaient en place à l’époque au plus haut niveau (Staline, Beria etc.) ainsi que de grands cinéastes (Vertov, Eseinstein). Le but de cette épopée n’était de toute façon pas de retracer de façon historique les faits de cette fin d’année 1942 mais de proposer une aventure plausible. Ceci dit, des équipes de tournage sont bel et bien venues à Stalingrad pour y filmer les combats.

Il n’y a pratiquement aucun récitatif, à peine quelques indications sur le lieu et l’époque. On a finalement l’impression d’assister à une incroyable pièce de théâtre jouée en plein cœur de ville…

S’il n’y a pas de récitatifs, c’est qu’ils n’étaient pas nécessaires, mais il n’y a aucune intention narrative cachée derrière cette constatation. La bataille de Stalingrad est assez célèbre pour se passer de commentaires superflus, et comme l’intention était d’inscrire une fiction dans un passé historique, nous avons préféré nous abstenir. Quant à l’impression qu’il s’agit d’une pièce de théâtre à ciel ouvert, c’est peut-être un sentiment qui se dégage, lié au fait que les personnages sont omniprésents du début à la fin, à la manière d’un huis clos, mais là encore, au contraire de ce que nous avions réalisé avec Maël pour Dans la colonie pénitentiaire, il n’y a aucune volonté de notre part visant à rendre cet effet palpable.

Malgré l’époque dans laquelle se déroule l’histoire, le thème reste très actuel, notamment dans la façon dont certains media traitent l’information en temps de guerre…

Il ne s’agissait pas pour les troupes soviétiques (ou allemandes) de rendre compte objectivement d’une situation mais bien de réaliser un film ayant pour but de galvaniser une population, ou de déstabiliser l’adversaire. Joseph Goebbels était ministre de la propagande, pas ministre de l’information. Les films tournés à cette époque visaient clairement à démontrer la suprématie d’une nation sur une autre, et du côté de Staline c’est bien un film de propagande qui était demandé. Je crois que, quel que soit le conflit (guerrier, économique, industriel etc.), ce sont des lobbys qui financent une grande partie de l’information et donc, par définition, qui sont partiaux. Je vois mal les grands média américains anéantir les efforts de guerre américains sous prétexte de « déontologie ». Les grands principes d’honnêteté intellectuelle et journalistique disparaissent de facto dès que les puissants ont des intérêts à défendre.

Comment avez-vous rencontré Franck Bourgeron ? Recherchiez-vous un style graphique particulier ?

J’ai rencontré Franck Bourgeron il y a 7 ans chez un ami commun, Christophe Gaultier. A l’époque, Franck réalisait son tout premier livre, Extrême Orient. Nous sommes devenus amis et au fil de nos discussions et de nos envies, l’idée de réaliser un livre qui se déroulerait durant la bataille de Stalingrad s’est imposée. Il ne s’agissait pas de faire coller un style graphique au récit mais plutôt d’écrire un récit qui colle au style graphique de Franck.

Le choix de la collection d’Aire Libre, qui a accueilli également Le Photographe, a-t-il été une évidence ?

Du point de vue des auteurs, il n’y a jamais d’évidence quant à l’éditeur et à la collection qui accueillera un livre. Les auteurs ne peuvent pas imposer à un éditeur d’éditer un livre s’ils ne le veulent pas. Bien entendu, nous pensions qu’Aire Libre serait idéal pour Stalingrad Khronika, et quand Dupuis nous a proposé de le faire dans cette collection, nous en avons été plus que satisfaits.

Pouvez-vous nous dire quelques mots des quatre albums à paraître présentés sur votre site ? (La Mort dans l’Âme, 20 ans ferme, Biribi et Motherfucker)

La Mort dans l’Âme est un récit à paraître en septembre 2011 aux éditions Futuropolis et raconte la fin d’une histoire d’amour entre un père et son fils, le père étant sur le point de mourir. Il s’agit d’un mois, du dernier mois de vie d’un amour filial et paternel, d’un questionnement sur la mort, la sienne ou celle de ses proches. C’est un livre qui j’espère chamboulera les lecteurs. Le dessinateur, Isaac Wens, a su rendre graphiquement des choses assez incroyables.
20 ans ferme est un ouvrage à paraître au début de 2012 aux éditions Futuropolis, avec Nicoby au pinceaux. Le livre retrace la vie carcérale d’un jeune homme condamné à 20 ans de prison ferme, son parcours pénitentiaire, la dureté, l’absurdité du régime carcéral français. Le récit est tiré d’une histoire vraie, celle du président de l’association Ban Public, Milko Paris, qui est devenu, au fil de nos rencontres, un ami.
Biribi sortira en juin 2012 dans une des collections thématiques dirigées par David Chauvel (aux éditions Delcourt). L’histoire retrace l’évasion de quatre bagnards d’un des nombreux bagnes militaires que les français avaient installé pour mater les fortes têtes en Afrique du nord, pour casser ceux qui résistaient aux traitement déjà très violents des bataillons d’Afrique, les fameux Bat’ d’Af’. C’est Olivier Thomas qui signe les dessins, Christophe Araldi pour les couleurs.
Motherfucker sera un diptyque dessiné par Guillaume Martinez (éditions Futuropolis) avec un premier tome qui sortira sans doute à la fin de l’été 2012. Il s’agit d’une tranche de vie d’un militant des Black Panters au début des années 70 dans la ville de Detroit (USA), de son combat idéologique pour une Amérique moins raciste et plus respectueuse des lois, mais aussi le symbole de la lutte des classes, les valeurs de la solidarité et tout ce que l’histoire à oublié de préciser quant aux combats menés par ce parti politique qu’on a trop souvent et trop facilement réduit aux actions violentes qu’ils ont eu à mener.

Avez-vous d’autres projets en cours ?

Oui, deux autres diptyques chez Dupuis, et quelques projets pas encore signés. Mais vous en saurez plus, j’espère, quand ils seront plus mûrs.

Quel regard portez-vous aujourd’hui sur votre voyage au Liban raconté dans Clichés Beyrouth 1990 ? 20 ans après, seriez-vous parti rejoindre votre tante dans une ville en pleine guerre ?

Vingt ans après, c’est à dire aujourd’hui, certainement pas. J’ai deux enfants et une conscience du danger plus aiguë.

On peut lire sur votre site : « Et comme il aime briller en société, il a choisi un métier qui lui permet de frimer (et qui fait la fierté de ses parents). Pendant presque 20 ans, il a cherché dans un laboratoire de génétique humaine. » Maintenant que vous avez rangé définitivement votre blouse blanche, la frime, ça marche aussi en bande dessinée ?

C’est variable selon la société dans laquelle on évolue, mais dans l’ensemble, la bande dessinée ne jouit pas d’une excellente réputation. Sans doute y a t-il de bonnes raisons à cela, mais au final je me moque un peu de tout ça. La phrase tirée de ma « bio » était là pour amuser la galerie, mais n’a pas vraiment de fondement. La frime, c’est bien, mais ça nourrit pas son homme…
Propos recueillis par L. Gianati

Information sur l'album

Stalingrad Khronika
1. Première partie

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