Ce titre peut sembler étrange et pourtant, selon l'auteur, il s'est imposé de lui-même et que sa symbolique était suffisamment forte. Je sais que ça fait un peu hermétique... Il faut lire l'histoire pour saisir je pense. un ami à moi ne connaissait pas le titre de la BD, l'a lue, et m'en parlait
toujours en disant" coelacanthes", si bien que je suis tombée des nues quand il a été surpris de voir son intuition confirmée. Je ne m'étendrai donc pas trop là dessus! Je crois que c'est Valéry qui disait qu'on n'expliquait pas la poésie?
Cependant , la curiosité nous pousse à nous demander quel parallèle Daphné Collignon a pu faire entre Noa, son personnage principale, et le coelacanthe? Un coelacanthe, rappelons-le, est ce que l'on appelle un fossile vivant, "le maillon manquant" car il est le lien entre ce que l'espèce humaine a été et ce qu'elle est devenue (d'un point de vue darwiniste bien entendu).
L'auteur nous explique, quant à elle, que sa particularité est qu'il est toujours en vie et qu'il n'a pas évolué... Il est une trace, un témoignage de ce que "nous" avons été. Il est aussi la mémoire d'un passé si lointain qu'il ne peut rien évoquer pour nous, sinon quelque chose de très primitif, d'onirique aussi, d'enfoui au fond d'une couche de mémoire si ancienne qu'on ne sait même plus qu'elle est là. Et pourtant elle doit l'être, pour qu'on reste fasciné par des bestioles comme celle là! C'est cette dimension symbolique qui m'intéressait.
L'investigation continue au fil des pages, entre rêve et réalité, un univers nébuleux s'offre à nous et Daphné Collignon nous propose un album très intime. Si G. Flaubert aimait à dire "Emma c'est moi!" on se demande si "Noa ce n'est pas elle"?
Ce à quoi l'auteur nous répond qu'en effet l'album est intime et bien qu'elle n'ait pas la prétention de se comparer au grand Gustave, elle imagine qu'il disait ça comme on parle d'un personnage
qu'on incarne et qui s'incarne en vous. Je ne serais pas la première à dire qu'on est une multitude de personnes en même temps, au fur et à mesure, et puis certaines restent, d'autres meurent, etc etc. Virginia Woolf a très bien écrit là-dessus!!! Noa est un reflet de certaines choses que j'ai été,
et eu besoin de traduire, peut-être parce qu'elles avaient envie de sortir de cette façon-là. Mais Noa reste une traduction, et une personne à part entière... En tous cas, c'est qu'elle a fini par devenir pour moi.
C'est certainement la raison pour laquelle, elle a décidé de scénariser cet album et D. Collignon en convient effectivement. J'ai pu me rendre compte en faisant Pétra que j'avais un besoin vital de narration; pour moi, le dessin est vraiment lié au sens, de la même manière que la ligne est une chose vitale pour Noa, d'ailleurs. En terminant Pétra, je me suis retrouvée avec une nécessité urgente de sortir des choses que j'avais contenues pendant (trop) longtemps, et elles se sont
assemblées au fur et à mesure. Ce qui m'intéresse, c'est de parvenir à toucher quelque qchose avec le dessin. En faisant Noa, au fur et à mesure que les dessins avançaient, j'avais l'impression de découvrir des gens, et un univers aussi, un peu comme quand on tombe amoureux, c'est ça qui est magique; de se laisser guider par ses personnages, qui vous montrent la route au fur et à mesure que l'univers prend vie. Et j'avais un vrai besoin de mettre à jour cet univers et ce langage, ça faisait longtemps qu'ils réclamaient leur droit à exister!
Dans cet album, Noa "souffre" lors du processus créatif, et Daphné, souffre t'elle de la même manière? Cette question est double et la réponse de l'auteur ne laisse aucun doute sur sa sensibilité.
Sans rentrer dans le mythe de l'artiste maudit... En fait, je pense que c'est l'inverse. C'est parce que je vis souvent les choses de façon trop sensible (et donc la plupart du temps, douloureuse) que j'ai besoin de m'exprimer, pour mettre en ordre les choses parce qu'elles me paraissent trop compliquées, trop chaotiques. En ce sens, ce n'est pas douloureux parce que ça donne du sens, justement. Mais ça devient asphyxiant quand ce processus est perdu, je pense même que l'effet protecteur se renverse. Enfin, moi, je le vis comme ça. J'ai un mal fou à me mettre devant ma table à dessin; on se met vraiment dans un état qui coupe complètement du monde. Ce qui me fait peur, c'est l'idée qu'on puisse rester enfermé dans une feuille de papier! Il y a toujours un échange un peu vampirique comme ça, à la fois c'est génial, et en même temps c'est assez angoissant de réaliser qu'on passe les trois quarts de sa journée dans un espace qui n'existe pas. C'est vraiment quand il se met à exister avec les autres que ça devient quelque chose de fantastique, je trouve. Le simple fait que vous parliez de Noa... Et bien, c'est à ça qu'on a envie d'accéder, et c'est ça qui donne du sens pour moi. Cela étant, ça me paraît très logique que certains artistes se soient arrêtés pendant des années de créer. C'est bizarre ce métier quand même, vous n'allez pas me dire?!!