Comment êtes-vous arrivé sur ce projet d'adaptation du roman de Tony Hillerman ?
J'ai réalisé des albums pour le label kstr des éditions Casterman, des polars, et le directeur de la collection Rivages, qui les appréciait, m'a proposé de signer une adaptation d'un roman de la collection. Je n'avais pas lu de Rivages récemment, je m'y suis remis. J'ai découvert certains romans de Tony Hillerman et j'ai aimé. Le premier que j'ai lu n'a pas fait « tilt », mais je suis parti sur le second. Il était plus court, environ 220 pages, il contenait quelques répétitions, ce qui rendait l'adaptation plus accessible. Ce qui m'a intéressé, c'est qu'il mettait en scène plusieurs personnages, une dizaine. Il n'y avait pas un héros unique, ce qui me permettait d'éviter les écueils de nombreux romans policiers américains.
C'est votre première adaptation...
Oui, ce n'était pas évident. C'est vrai qu'on s'arrache un peu les poils de la barbe pendant trois mois, car il faut faire des choix en permanence : une scène que l'on aime bien et qu'on ne peut pas garder, comment aller plus ou moins à l'essentiel pour ne pas perdre le lecteur, etc. Cela m'a appris à faire progresser le récit plus rapidement, à moins m'éparpiller, peut-être aussi à moins me faire plaisir sur le dessin pour privilégier l'essentiel.
Par rapport à vos précédents albums, vous changez de décor...
C'est vrai. Après les petites villes de Missing et les buildings de New York dans Bloody september, il y a les anciens territoires indiens, le désert. J'avais très envie de dessiner le Grand canyon. J'ai travaillé sur documentation, je suis allé sur les blogs, et après avoir vu l'album, on m'a dit que c'était vraiment ça.
En fait, quand j'étais gamin, j'allais beaucoup avec mes parents aux conférences « Connaissance du monde ». Ce que j'ai vu de l'Ouest américain, du Grand canyon, m'avait marqué, fasciné. D'une certaine manière, avec L'homme squelette, j'avais la possibilité de m'attaquer à une histoire dans les décors des cowboys et des indiens, cette fois sans les cowboys. C'était une motivation supplémentaire.
L'autre différence, c'est qu’auparavant on trouvait de nombreux dialogues, beaucoup de face à face, qui font place cette fois à des ellipses plus nombreuses. Le gaufrier et la succession de petites cases qui imprimait le rythme font place aux grandes, façon cinémascope.
C'est lié à l'exercice de l'adaptation : il faut lire et relire le roman, le décortiquer à mort, pour ne pas s'en éloigner. Ce n'est pas évident mais c'est passionnant. Dès le départ, j'ai voulu couper le roman en deux parties. La première est consacrée à la mise en place. La présentation de nouveaux personnages toutes les trois ou quatre pages nécessitait le recours aux ellipses. Je savais qu'il y aurait une rupture complète avec la deuxième partie, plus basée sur l'action, où l'on verrait les personnages en pied. Au début, il y a donc des cadrages serrés, moins de cases par pages mais qui nécessitent plus de détails. C'est aussi lié au fait qu'au départ, les scènes d'intérieur sont plus nombreuses, alors que pour la deuxième, elles laissent la place aux éléments qui se déchainent. J'aime bien quand le décor devient un personnage à part entière.
Les cassures que vous imposez dans la première partie pour introduire les personnages demandent une attention particulière du lecteur mais l'empêche de sortir du récit.
Il y a en effet pas mal de personnages et, moi-même, à sa découverte, je faisais des aller-retours dans le roman pour bien les maîtriser. Sans aller jusqu'à dire qu'il n'y a pas grand-chose en matière d'intrigue ou de dénouement, ce sont les personnages qui sont importants. Et c'est pour ça qu'il fallait réussir la première partie. C'est ce qui fait qu'on pourra peut-être avoir envie d'y revenir. Ce n'est pas Usual suspect, où, une fois qu'on a la clé, on n'est pas tenté de le relire. Avec une histoire comme l'Homme squelette, ça peut être différent.
Il y a un point commun dans la clôture de vos deux derniers albums, Bloody september et L'homme squelette : une accélération du cours de l'histoire.
Oui, c'est quelque chose que j'aime bien. Qu'on retrouvera dans le prochain, d'ailleurs. C'est quelque chose dont je ne me rend pas compte quand je le fais, mais vous avez raison.
Cette fois, le lecteur pourra trouver une forme de morale à la fin : c'est nouveau dans un album signé Will Argunas. Il y a des personnes qui s'en sortent mieux que d'autres, notamment celles qui ne font pas figure de « pièces rapportées » dans le décor.
Exact. La raison est simple : c'était dans le livre d'Hillerman et ça m'a plu. Souvent, l'indien a été maltraité et le fait qu'il soit réhabilité, que l'homme blanc qui s'est cru tout permis se « fasse avoir » m'a plu. C'est plus moral et surtout plus positif que ce que j'ai l'habitude de faire. Ce projet est aussi plus « grand public » et je n'ai pas l'intention de me répéter, de faire toujours des choses glauques. J'espère d'ailleurs que cet album pourra m'apporter un autre public, notamment parmi les lecteurs habituels des titres Rivages. Hillerman est un des poids lourds de la collection avec James Ellroy.
Justement, je vous aurais bien vu adapter un roman d'Ellroy.
Ah, mais depuis une précédente adaptation d'un de ses livres en BD (NDLR : Clandestin, publié chez EP Editions), Ellroy avait déclaré qu'il ne voulait plus en voir d'autres. Mais il se trouve qu'il est en train de changer d'avis en ce moment après avoir vu certains albums Rivages / Casterman / Noir. J'avais pensé à une époque à l'adaptation d'un recueil de nouvelles qu'il avait publiées.
Dans vos précédents albums, il y avait un espace réservé aux références, cinématographiques et musicales notamment, qui vous avaient accompagnées pendant leur création et qui pouvait créer une certaine complicité avec le lecteur. Un Rivages, ça se conçoit dans le silence, dans une ambiance monacale ? (rires)
Ce n'est pas ça. Ça n'a pas sa place dans cette collection. J'ai seulement mis une chanson d'un groupe qui s'appelle Tomahawk sur une bande-annonce réalisée pour l'album. Dans leur troisième CD, il y avait un côté un peu indien ; je l'ai écoutée pas mal en travaillant sur L'homme squelette. Quand j'insérais des listes de titres, c'est comme un bonus, quelque chose en plus, hors pagination. En fait, on ne m'en parle quasiment jamais.
Quelques mots sur un projet en cours ?
J'ai réalisé 111 pages sur 116 d'un album qui paraîtra en janvier 2012 chez kstr : Benoît XVI est mort et le premier pape d'origine africaine de l'Histoire lui a succédé. A Houston, dans une « mega church », un ancien stade reconverti, il est touché par une balle. Sur place, on arrête trois tireurs... C'est mon scénario le plus original, le ton est assez cynique aussi. Le final devrait retourner pas mal de monde, c'est assez machiavélique. Le dessin sera différent de L'homme squelette, les tons aussi : plus de grandes cases, très remplies, des scènes de foule, mais aussi des gaufriers de neuf cases, qui fonctionnent bien pour les scènes d'interrogatoire.