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Après Paul à Québec, avant Paul au parc, M Rabagliati à Angoulême

Rencontre avec Michel Rabagliati

Propos recueillis par F. Mayaud et T. Pinet Interview 07/03/2011 à 09:31 6209 visiteurs
Après avoir été présenté à la famille, Paul s’est tranquillement fait une place au Québec avant d’arriver sur le vieux continent, avec la consécration, l’an passé, en remportant le prix du public à Angoulême pour Paul à Québec. Son auteur, Michel Rabagliati, nous raconte cette évolution, et nous livre une des clés du potentiel de son personnage : une certaine neutralité qui le pose en passeur entre ce qui est raconté et le lecteur.


L’un des charmes de votre série, Paul, réside dans son côté désuet.

M. Rabagliati : C’est assez drôle, parce que j’ai un parcours plutôt inverse à celui qu’on qualifie de « classique » : souvent, on fait de la bande dessinée quand on est jeune, on se plante, ça ne marche pas, et on se dirige alors vers le graphisme. Moi, c’est le contraire, je suis parti du graphisme pour arriver à la bande dessinée. J’ai fait de la typographie, des logos, des catalogues, des illustrations pour des magazines et ça c’est finalement transformé en bande dessinée. Le style que j’utilisais pour les magazines ressemblait assez aux illustrations tchèques des années 60, celles de Miroslav Šašek par exemple, ou à celles du français Alain Grée qui faisait des illustrations pour enfants. Le noir et blanc et le ton gris donnent en effet un aspect un peu fadasse.

Comment travaillez-vous ?

M. Rabagliati : Je travaille dans un style très propre, pas très expérimental, très classique : premier crayonné, deuxième crayonné, encrage dans des cadres à peu près toujours pareils, 6 à 9 cases, de la calligraphie régulière. Graphiquement parlant, je ne suis pas quelqu’un qui expérimente beaucoup : je me contente d’un système graphique qui me sert bien dans la mise en scène, je n’ai pas nécessairement besoin d’explorer en profondeur le dessin.

On a le sentiment que Paul est parfois en décalage avec son époque. Et pourtant, les thèmes que vous abordez semblent assez universels.

M. Rabagliati : Oui, on voit que Paul est un peu rétro dans le domaine des avancées technologiques, ça le fait chier ! Quand il passe de la table à dessin à l’ordinateur, il se sent piégé par Macintosh, les produits qu’il a fallu acheter en plus. Je connaissais bien le thème ! J’essaie de toujours parler de ce que je connais. Je connais bien le tournant qu’à pris le domaine des arts graphiques au début des années 90. J’ai des amis qui ont perdu leur métier. Mon père était typographe, il a perdu son métier ; ma sœur a perdu son métier. Il y a eu de gros bouleversements : Macintosh a tout rasé. Maintenant, il n’y a plus personne qui va consulter un typographe professionnel, ça n’existe pour ainsi dire plus, tout le monde fait sa typo au Mac et c’est ainsi. Mon père a les cheveux qui se dressent sur sa tête quand il voit les typographies d’aujourd’hui, des erreurs d’espacement épouvantables, mais ça, le profane ne le voit pas. Aujourd’hui tout le monde s’en fout !

Quelle est la part de Michel Rabagliati dans Paul ?

M. Rabagliati : J’aime bien m’inspirer de ma vraie vie pour fabriquer mes histoires. Il y a bien sûr de la fiction dedans, mais c’est de la fiction plausible : Paul, il ne se mettra pas à faire des trucs de magie ! La part de fiction concerne essentiellement les liens, j’arrange la chronologie des scènes, j’invente des événements, je les amplifie, j’en enlève... Je m’occupe de mon lecteur, je veux qu’il passe un bon moment, ça ne m’intéresse pas de lui raconter mon déjeuner, mes états d’âme, je ne suis pas dans ce trip-là. Il y a un lecteur au bout, il paie pour un album, j’ai envie que ce soit « entertaining ». De tout ça, j’en tiens compte, ce n’est pas un journal que je tiens, ce n’est pas Fabrice Neaud.

Il parait que Paul marche du tonnerre à Québec.

M. Rabagliati : Oui. Si vous y parlez bande dessinée, c’est mon nom qui sort en premier. Avec ses sourcils, les gens reconnaissent Paul, il est devenu une sorte d’icône graphique. Les gens le connaissent, les jeunes le lisent dans les écoles dès le primaire, les profs de français l’utilisent beaucoup dans les lycées. Paul a un travail d’été qui aborde les camps de vacances, le scoutisme, est intéressant pour des jeunes de 16 ans, c’est une espèce de roman d’apprentissage. C’est effectivement devenu un « people », une sorte d’emblème de la bande dessinée.

Le premier album de Paul, en termes de tirage, ça s’élevait à combien ?

M. Rabagliati : Douze ! Douze exemplaires de Paul à la campagne que j’avais photocopié pour la famille et des amis. Ensuite, j’ai rencontré les gens de La Pastèque qui ont voulu publier ça. J’y ai rajouté une histoire d’une vingtaine de planches (Paul apprenti typographe) pour faire un album d’une quarantaine de pages. Ce premier tirage fut de 800 exemplaires. Sur 10 ans, ça a pas mal monté, je dois dire que les chiffres sont encourageants. Le Québec n’est pas un pays où l’on lit beaucoup de bandes dessinées, on en a lu beaucoup à l’époque de Tintin, du Journal de Spirou, de Pilote, mais maintenant qu’il n’y a plus ces magazines en kiosque, les gens ont un peu abandonné. Ceux qui ont vieilli se sont mis aux romans.

Mes lecteurs d’aujourd’hui sont souvent des femmes dans la cinquantaine qui me disent qu’elles n’ont pas lu de bandes dessinées depuis vingt ans, mais qu’avec Paul, elles ont recommencé. Alors moi, je leur dis, allez-donc lire Persepolis, Maus, Isaac le pirate ou encore Tamara Drewe, vous allez voir, la bande dessinée a bougé, vous allez aimer ça. Depuis Lucky Luke, ça continue d’évoluer, il y a des choses incroyables qui se font dans la bande dessinée adulte. Il y a actuellement des bandes dessinées qui sont aussi touchantes que des romans, on n’avait pas ça avant. Tu peux donner Tamara Drewe à un adulte, il revient, il te dit « My god, c’était bon, c’était dense, j’ai fais un beau voyage ». Persepolis, c’est remuant, instructif. Les livres de Guy Delisle, Pyongyang, Shenzhen, c’est fantastique. Tu donnes ça à des adultes de 50 ans, ils te disent « whaou, je ne savais même pas que ce genre de bande dessinée existait ». Pour eux, c’est encore Zig et puce, or ça a bougé. Il y a tout ça à conquérir, c’est assez excitant ! En plus, maintenant, les grosses maisons d’édition s’y mettent, Gallimard, Actes Sud, tout le monde en fait. Il y a de la place, mais il y a quand même le public qui n’est pas au fait à conquérir. Tous les ans, au Québec, c’est hallucinant, on conquiert de nouveaux lecteurs qui n’avaient pas idée de ce qui existait. Dans un sens, Paul a favorisé l’arrivée de livres comme Persepolis au Québec.

Quand avez-vous eu le sentiment que Paul avait percé en Europe ?

M. Rabagliati : C’est allé très lentement, quelque chose comme un millier d’exemplaires par année. C’est bien le Prix du public obtenu l’an passé à Angoulême pour Paul à Québec qui a changé la donne. L’autocollant sur le livre, tout ça, ça a un réel impact sur le gens, je l’ai bien senti lors de ma tournée en avril dernier. « Prix Femina », « Prix Goncourt », une étiquette sur le livre, c’est comme une sorte de caution, ça vend beaucoup mieux ! Les gens me disaient « ah, c’est vous le Prix du public, ben j’achète ». Ils sont prêts à essayer s’il y a l’étiquette ! Ça a bien aidé, parce que je suis de l’autre côté de l’Atlantique, et qu’il n’y a personne qui travaille pour moi ici. Il y a juste Harmonia Mundi qui distribue Paul, c’est présent dans son catalogue, mais c’est tout. Ce Prix du Public m’a bien aidé !

Justement, quel regard portez-vous sur la micro-polémique qui a secoué le microcosme l’an passé autour de ce prix ?

M. Rabagliati : J’ai rencontré 3 ou 4 membres de ce jury-là, ils ont été honnêtes, ils n’étaient pas au fait que ce tome-là n’était pas encore sur les rayons à l’époque. En même temps, le changement de distributeur a changé drastiquement la distribution : ça m’a placé dans une situation inconfortable, ça a placé l’organisation de ce Festival dans une situation inconfortable. Maintenant, les membres du jury m’ont dit qu’ils avaient lu les livres et avaient trouvé que c’était celui-là qui correspondait le plus à l’idée qu’ils se faisaient d’un Prix du public, que c’était celui-là qu’ils avaient préféré, et ils l’ont choisi à la majorité. Moi, ça m’a incroyablement aidé, même si le livre est effectivement sorti trois mois plus tard, les libraires me l’ont dit. Maintenant, les gens achètent les albums précédents, ils sont à la remorque de Paul à Québec. Les ventes ont concrètement augmenté cette année.

Depuis deux ans, j’arrive à vivre de mes droits d’auteur, comme quelqu’un qui a un travail normal. C’est une bénédiction, je me sens tellement gâté ! Je n’ai pas de grandes visées commerciales, je veux juste pouvoir en vivre, comme c’est le cas d’amis qui sont menuisiers, comptables... Je fais ça de mon mieux, avec mon cœur, je pense que je le mérite !

N’êtes-vous pas tenté de laisser Paul de côté afin d’explorer d’autres champs de la bande dessinée, tenter autre chose ?

M. Rabagliati : C’est vrai que ça peut devenir un peu empoisonnant, toujours le même personnage, mais je n’ai pas cette sensation avec Paul, c’est un personnage qui est assez neutre, assez vide, c’est un genre de Tintin. Dans Tintin, ce n’est pas Tintin qui est intéressant, ce sont les personnages autour. Paul, c’est un peu la même chose, je pense que n’importe quel lecteur peut se mettre dans les bottes de ce gars-là, et même n’importe quelle femme, parce que ce n’est pas un battant, un macho, il a un côté féminin assez marqué. Il avance avec l’histoire, en observateur, au même niveau que le lecteur. L’histoire se déroule devant lui. Il ne sait pas ce qui va lui arriver, le lecteur non plus : tout le monde avance en même temps. C’est un personnage facile à vivre, il n’est pas trop dissipé, il représente un peu monsieur tout le monde ! Sa neutralité me permet d’envisager de faire encore pas mal de choses avec lui.

Un nouveau Paul est donc en cours de réalisation ?

M. Rabagliati : Absolument, ça s’appelle Paul au parc, c’est un retour en arrière. Pour moi, il n’y a pas de numéro sur les albums, je considère ça comme des romans, on peut prendre n’importe lequel, on a une histoire complète. Effectivement, celui qui a lu toute la série connait mieux Paul, mais comme il est un peu soupe au lait, il est facile de s’attacher à lui.

Là, ça débute en 1965, chez les scouts. Il est question de mentorat : l’influence que les moniteurs scouts ont eu sur sa vie d’enfant. Il y rencontre une fille, c’est sa première copine. En arrière-plan, il y a le Front de Libération du Québec, un mouvement indépendantiste dur. Ça se passe pendant les évènements d’octobre 1970, ça bougeait beaucoup politiquement, c’est d’ailleurs à peu près le seul moment où ça ait chauffé au Québec. L’armée était dans la ville : du jamais vu à Montréal ! J’avais dix ans à l’époque, j’ai vu ça avec mes yeux d’enfant, entendu ça avec mes oreilles d’enfant. J’aime bien profiter de mes bandes dessinées pour parler de nous, du pays, de son histoire, mais aussi de ses paysages, de son architecture. C’est important pour moi. J’aime montrer des trucs qui ont existé, ainsi, je mets en image un zoo qui n’existe plus aujourd’hui. En 1983, il y avait encore des girafes, des éléphants, c’était rigolo !

Pouvez-vous nous parler de la bande dessinée au Québec ?

M. Rabagliati : Je ne pense pas que ce soit un pays qui verra à l’avenir un grand développement de la bande dessinée. Tu prends Maryse Dubuc et Marc Delafontaine qui font Les nombrils, chez nous, tout le monde pense qu’ils sont français, or pas du tout, ils sont bien de chez nous. Ils sont en pleine forêt, ils envoient leurs planches à Dupuis par internet, et le tour est joué. Même chose pour Régis Loisel, qui envoie par internet à Casterman, ou encore Jimmy Beaulieu ou Pascal Girard avec Delcourt... L’édition n’est donc pas appelée à se développer beaucoup à Montréal.

Paul, c’est spécial, c’est un peu la bande dessinée du terroir, moi, je ne ferai pas de compromis sur la langue, il n’en est pas question. Donc je préfère rester à Montréal, chez un éditeur montréalais, pour vraiment avoir les coudées franches. Et puis je dois dire que j’ai cette fierté d’avoir localement une bande dessinée qui marche bien, avec un éditeur local, avec ses particularismes locaux. Les gens semblent apprécier ça. Je suis content de travailler avec l’équipe de La pastèque, ce sont des gars qui bossent bien, qui ont envie de faire des choses. Si je pars, cette maison d’édition risque de s’effondrer, et ça, je ne le veux pas. Cette maison d’édition devient une espèce d’exemple à Montréal, on est en train de faire quelque chose d’intéressant, qui marche bien. Si moi je fous le camp en Europe, qu’est-ce qui va rester ? Moi, ce challenge me plaît bien, j’en tire une certaine fierté !

Je suis attaché à notre langue. On ne peut pas faire n’importe quoi avec, il faut vraiment avoir vécu au Québec pour que ça sonne juste. C’est pour cette raison que Jimmy (Beaulieu) reprend les textes de Magasin général. Si vous prenez Sous les vents de Neptune de Fred Vargas, elle a raté son coup : au Québec, les gens ont pouffé de rire, parce qu’elle est totalement à côté de la plaque. Ils disent « tabernacle » à tout bout de champ. Tabernacle, tu ne dis pas ça quand tu rencontres quelqu’un, c’est un juron dur. Il faut le dire au bon moment , quand tu es vraiment en rogne. Si je vais à Marseille, je ne vais pas me mettre à dire « peuchère » à tout bout de champ, ils vont rire de moi !

Une date pour la sortie de Paul au parc ?

M. Rabagliati : Octobre 2011. On va passer par un imprimeur en France qui va nous imprimer les quantités requises pour l’Europe. Le transport devient trop cher, trop long. La pastèque va passer à des tirages français maintenant.

Le site de l'auteur : http://www.michelrabagliati.com
Propos recueillis par F. Mayaud et T. Pinet

Information sur l'album

Paul
6. Paul à Québec

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