L’exposition à Angoulême rend honneur au travail effectué sur Petite histoire des colonies françaises. Comment est venue l’idée de monter cette exposition ?
Cela fait un petit moment déjà que j’accumule de la documentation (le premier album date de 2006) et je me disais que cela serait vachement rigolo de faire une exposition qui parodie l’exposition coloniale de 1931. L’idée est partie de là et j’en ai touché deux mots il y a quelques années à Benoit Mouchard, le directeur artistique du festival, sans que cela débouche vraiment. Cette année, il nous a relancés alors que le quatrième tome allait sortir.
Cette exposition permet une certaine mise en avant de votre travail, qui reste malheureusement encore trop peu connu : constitue-t-elle une sorte de reconnaissance ?
Oui. La série gagne en notoriété régulièrement. Des professeurs d’Histoire viennent régulièrement me dire qu’ils ont utilisé un des tomes pour leurs cours.
La recherche historique est importante, avez-vous une formation particulière dans le domaine ?
Non, je n’ai pas de formation dans le domaine. J’estime que cela fait partie de mon travail d’auteur de disposer d'un fond documentaire conséquent sur un sujet comme la colonisation, c’est la moindre des politesses. En revanche, je trouve que ce n’est pas ce que j’apporte de plus intéressant dans cette série. La documentation c’est une chose ; ensuite, il y a le regard et toute l’ironie qui est portée, ainsi que la manière de décoder l’histoire. Tout bon auteur qui s’intéresse à une époque, un romancier, un cinéaste, un auteur de BD, doit se "fader" sa documentation, en extraire les choses intéressantes et ensuite construire son histoire, son récit, son texte, son film, à partir ce cette documentation.
A tout récit historique, des amateurs "éclairés" ou des historiens opposent une autre vérité des faits ou soulignent des incohérences. Avez-vous des retours dans ce sens concernant vos albums ?
Non, pas du tout. Je me sers d’ouvrages très sérieux. Lorsque l’on traite un sujet comme la Françafrique, on n’a pas le droit à l’erreur. Nous sommes très contents qu’une émission comme La fabrique de l’histoire sur France Culture ait parlé du tome 3 l’année dernière dans le cadre des livres qu’ils présentent chaque mois. Ils étaient très enthousiastes, précisant que c’était une autre manière de revisiter l’histoire, d’une manière pointue avec une bibliographie à la fin de l’album, ça leur parlait vraiment. Parfois, il y a des petits points de détails sur lesquels on s’est trompé et des lecteurs pointilleux nous envoient des courriers en disant : "Hé, vous vous êtes trompés, la date de naissance de machin ce n’est pas 1763 mais 1762 !". Mais on corrige pour la réédition et voilà. C’est anecdotique. Ce qui nous intéresse, c’est de montrer comme il est facile de comprendre toutes ces périodes. En tant que citoyen lambda, on peut avoir le sentiment que l’Histoire ne nous appartient pas, que c’est le domaine des spécialistes, que même si la France a fait des choses à l’étranger, dans nos colonies, c’est compliqué et que l’on ne peut rien comprendre. En réalité, si les faits et le déroulement sont bien exposés, c’est très simple. C’est ce que l’on essaie d’expliquer dans nos livres. Cette histoire coloniale, elle n’est pas compliquée, il suffit juste de lire un peu, de s’y intéresser et on peut tout comprendre assez facilement.
Comment s’opère la symbiose si particulière entre texte et dessin qui fait beaucoup pour rendre cette vulgarisation très savoureuse ?
C’est en effet de la vulgarisation. J’écris les textes d’abord à partir de la documentation et Thomas (OTTO T.) se documente aussi, sur le visuel, sur les costumes notamment. Même si les personnages sont des patates, pour les détails, c’est important. Ensuite, je lui fournis les textes et lui les illustre comme il en a envie. En fait, je ne suis pas scénariste : je suis auteur de textes. Et il y a un échange comme cela, un ping-pong entre nous, mais ce n’est pas un travail d’auteur et de scénariste. Il est sans arrêt en train de creuser mes textes, de rebondir dessus, de détourner ce que je dis. Le texte est toujours énoncé par la voix du pouvoir. C’est De Gaulle, ce sont les puissants, qui sont sans arrêt en train de justifier l’Europe coloniale. Mais, en allant tellement loin, le lecteur se dit : "Mais attends, ce n’est pas possible ! C’est horrible ce qu’il est en train de me dire, je ne peux pas adhérer à cela !" C’est ça, la manière de faire poindre l’ironie, et le dessin creuse cela et va encore plus loin. il montre le côté trivial de ce qui est dit en réalité. C’est un aller-retour entre l’écrit, qui est la géographie de la colonisation, et le dessin qui en montre les dessous.
Ce ping-pong entre texte et dessin s’apparente à celui réalisé par Ibn Al Rabin sur Le meilleur de la bible. Avez-vous échangé avec lui sur cet aspect ?
Je suis assez d’accord sur l’analogie. Mais non, on le connait, mais nous n’en avons pas discuté. Moi, je me sens plus influencé par Cavanna et Hara-Kiri.
Le tome 3, qui aborde la délicate question de la décolonisation, traite certains évènements peu connus, peu médiatisés et peu glorieux de notre Histoire, principalement sur l’Afrique noire. Une volonté de faire la lumière sur notre passé caché ?
C’est tout à fait cela. Je suis content que vous me disiez cela car c’est exactement ce que nous avons voulu faire. Il y a des périodes coloniales qui ne sont absolument pas connues. La guerre d’Algérie et la guerre d’Indochine, c’est ce qu’il y a de plus médiatisé. Mais, en fait, il y a eu la guerre du Congo, la guerre du Cameroun, avec autant de morts. Il y a eu la guerre du Riff dans les années 20 où il y a eu plus de 200 000 morts et pourtant, c’est occulté de notre histoire coloniale. C’est le général Pétain, associé au Général espagnol Franco, qui a massacré les marocains et la résistance marocaine, et on ne le sait pas. Par contre, je peux vous dire que les marocains, eux, ils le savent. Les manuels d’histoires et les mémoires collectives ne sont pas les mêmes.
Le tome 4 traite de la Françafrique, sujet d’actualité depuis quelques mois. C’était prévu dès le début de la série de traiter ce thème, ou l’idée est venue plus récemment ?
C’était prévu. Cela coïncide avec un retour sur le devant de l’actualité. Le premier livre qui a dénoncé la Françafrique, c’est un livre de François-Xavier Verschave qui date de 1996. Il y a donc quelques années que c’est d’actualité et que les médias s’y intéressent. Mais c’est vrai que ce sont des livres de spécialistes. En bande dessinée, personne n’en parle. Et, pour le coup, ce que vous découvriez dans le tome 3 sur les guerres africaines n’est rien à côté de la Françafrique. Je pense que le grand public va tomber des nues. Par exemple, lorsque l’on parle des "stay behind", ces cellules dormantes américaines en Europe. Lorsque j’ai commencé à faire le livre, j’étais dans la même position que le lecteur qui va découvrir le livre. Je me suis dit : "C’est dingue, ce n’est pas possible ce qu’il nous raconte, c’est fou !" et j’allais de mal en pis. On ne sait rien ! On a instauré un type de relation avec le lecteur de la Petite histoire des colonies françaises : il a lu les trois premiers, il nous a cru, il n’y a pas de raison qu’il ne nous croit pas sur celui-ci puisque de toute façon, c’est le même processus. Dans cent ans, si des auteurs continuent cette histoire des colonies françaises, ce dont on parle aujourd’hui sur la Françafrique sera devenu de l’Histoire et à ce moment-là, tout le monde y croira. Aujourd'hui, on n’a pas la distance nécessaire, c’est pourquoi il est plus difficile d’y croire.
Dans les trois premiers albums, Charles De Gaulle est le rapporteur de l’histoire. Est-ce parce qu’il est le symbole attaché à la fin du colonialisme français ?
C’est exactement cela. Il personnifie la pire période de la colonisation, c’est pour cela que nous l’avons utilisé. Et pour le dernier album, c’est François Mitterrand qui présente et je trouve qu’il personnifie encore mieux la Françafrique.
Il y a une évolution entre le premier tome et le dernier : plus de textes et de dialogues accompagnant les dessins.
En effet, on en avait marre de faire toujours la même chose, on a décidé de changer. Si vous relisez les quatre tomes à la suite, vous pourrez noter une grande évolution dans notre style. On a progressé en tant qu’auteurs et je trouve ça important de ne pas le cacher au lecteur, de ne pas vouloir rester au niveau de 2006 et ne pas faire exactement la même chose pendant quatre albums. Certains auteurs entament une série et, cinq ans après, c’est exactement le même dessin, ils n’ont voulu toucher à rien. Nous, au contraire, nous avons vachement progressé dans ces livres, qui ont rencontré un succès important tout de même. De ce fait, on se doit de s’améliorer, d’ajouter une bibliographie à la fin, d’avoir des textes plus importants, … L’humour, également, est différent. Il était franchement raciste dans le premier tome, alors qu’après on se permet d’être plus ironique, plus mordant. Plus on avance, plus c’est profond. On s’améliore.
La Françafrique, est-ce le dernier tome ?
Pas forcément. Nous avons un cinquième album de prévu. Sûrement pas tout de suite mais dans quelques années : sur l’histoire des immigrés en France, ceux des pays arabes et africains qui vivent en France, dont on entend tout le temps parler. Pourtant, personne ne sait rien sur ces gens. Personne ne sait pourquoi ils sont là, qui les a fait venir, où ils travaillent et dans quelles conditions. Quelle est l’histoire de cette vague d’immigration ? C’est un sujet hyper important pour l’intégration, pour faire face au racisme montant de nos élites. C’est un sujet qui me trotte dans la tête depuis un petit moment et cela deviendra peut-être le cinquième tome de Petite histoire des colonies françaises.
Le Texas, Mars, les colonies, le nucléaire… Quelle est la prochaine destination ?
Le prochain projet va vous surprendre. Cela raconte notre rencontre avec un cinéaste pornographique engagé, qui fait des films, avec pénétration non simulée, qui sont des appels à la révolution. C’est un livre sur ce cinéaste avec des extraits de ses films que l’on redessine. C’est sur un type assez fou qui a un peu moins de quarante ans, dont les films à petit budget sont disponibles sur internet et sont extrêmement téléchargés. On l’a rencontré par hasard, il aimait bien nos BD et voilà, on a décidé de faire un bouquin sur lui. Il raconte l’histoire du porno qui l’a marqué, lui, depuis les premiers films du début du cinéma qui étaient diffusés dans les bordels. Il a une histoire dans sa tête vachement riche que l’on ne connait pas du tout. Ce sera comme un documentaire sur lui, cela devrait être vachement marrant, avec un dessin un peu plus réaliste et cela s’appellera Mondialisation, mon cul !. Sortie prévue au mois de mai 2011.
Au delà de vos créations, quels sont les projets des éditions FLBLB ?
La réédition d'œuvres de Tezuka tout d'abord, avec un album sort en mars et un deuxième à la rentrée prochaine et un troisième est prévu. Nous pubions également le deuxième volume des romans photos de Gébé sur la période des années 70, beaucoup plus mis en scène et léchés que les premiers. On a également un livre qui sort en juin autour de l’implication de l’armée française en Afghanistan. C’est également un sujet dont personne ne parle alors que cela fait dix ans que des troupes sont engagées là-bas. Des jeunes mecs dans nos âges sont en train de se bagarrer contre les afghans. J’ai demandé à six jeunes auteurs de bande dessinée qui ont l’âge de ces militaires de raconter d’une manière documentaire, ou pas, un aspect de l’armée française en Afghanistan. Le sujet étant l’armée française et pas la guerre dans ce pays. Ce sont des auteurs qui gravitent autour des éditions FLBLB, auxquels j'ai demandé de se mettre dans la peau d’un militaire. C’est un gros projet qui sort en juin.