BDGest' : Que voulez-vous raconter dans Mertownville ?
Michel Falardeau : c'est un peu simple, à la base c'est de raconter la vie de tous les jours, des petits moments banals mais qui peuvent être intéressants. J'ai ajouté des thèmes un peu fantastiques pour me mettre un défi.
BDG : en tant qu'auteur "mâle", est-il difficile de raconter le quotidien d'une jeune fille avec ses problèmes d'adolescente et d'étudiante ?
MF : c'est pas difficile du tout. Même aujourd'hui, on me demande souvent "comment tu fais pour raconter une histoire de fille qui soit crédible ?". J'essaie de rendre les personnages le plus réaliste possible. Je me base sur ce que j'ai vécu, c'est étrange mais on change quelques trucs pour une fille et ça marche ! Ma technique est de me baser sur mes expériences.
BDG : le tome 2 est plus condensé par rapport au premier, il y a beaucoup de voix off. Pourquoi cette technique ? Vous aviez trop de choses à raconter ?
MF : c'est beaucoup inspiré du cinéma. Je suis plus fan de cinéma que de bande dessinée, et j'adore les films qui racontent une histoire en voix-off ; je trouve ça plus touchant, c'est comme une confidence. J'ai voulu faire un peu la même chose.
Mais dans Mertownville il y a beaucoup de choses qu'il faut expliquer (surtout dans le 3e, ça va être incroyable toutes les explications à donner !) et 46 pages seulement avec des images ça ne suffit pas. Donc parfois au lieu de faire des scènes de 8 pages, 8 lignes de narration ça va permettre de passer à autre chose. Des fois même c'est plus efficace : des choses importantes on les met en images, d'autres qu'il faut expliquer mais qui sont moins importantes je les mets en narration.
BDG : vous parlez déjà du tome 3 qui, j'imagine, est déjà avancé... au final Mertownville est une histoire prévue en un certain nombre de tomes, ou est-ce une série sans fin vraiment planifiée ?
MF : j'aimerai prendre du temps, mais là c'est prévu pour 3 albums. Mais si ça a un sucès, ça va continuer... il y a quand même une conclusion dans le 3e, qui laisse une place pour la suite.
BDG : toujours sur la même héroïne ?
MF : oui, toujours. Le 3e tome terminera le premier semestre universitaire, donc j'aimerai bien faire les deux années (rires). C'est comme ça de nos jours dans la bande dessinée : on fais un test, on regarde la marché et après on voit. Mais c'est normal.
BDG : graphiquement aussi, il y a une évolution. Déjà la couverture du 1er tome a été refaite, pourquoi ?
MF : parce que sur toutes les critiques - c'était unanime - les retours sur la BD étaient bons... mais la couverture était à chier (rires). Donc, tant qu'à rééditer, autant refaire les couvertures et j'ai trouvé un coloriste pour la couverture. J'ai pas été capable de l'avoir pour l'album au complet, mais au moins là-dessus.
BDG : du coup, la nouvelle couverture du 1er tome est beaucoup plus classique, elle ne montre pas l'originalité du contenu...
MF : j'ai de la difficulté avec les couvertures. L'album est une grande introduction, il n'y a pas UN thème précis pour que je sois capable de faire une vraie bonne illustration, tandis que sur le deuxième j'en ai fait une et c'était la bonne. Là je l'ai réussie et j'en suis content.
BDG : on va évidement comparer le tome 1 et le second, qui sur le ton même sont différents. D'une histoire très marquée sur l'humour, très fantaisiste, on se retrouve dans quelque chose de plus réaliste, avec des séquences plus dures.
MF : Oui, c'est vrai. Je veux tout le temps de l'humour. Il y en a moins dans le deuxième parce qu'il faut que l'histoire avance. C'est difficile de mélanger des grosses scènes absurdes comme celles qu'on pouvait rencontrer dans le premier album avec Raymond Coppola. Parce que c'est drôle, c'est complètement éclaté, mais ça ne fait pas du tout avancer l'histoire.
Le deuxième est le plus sérieux selon moi. Le troisième, j'ai réussi à raconter une histoire et de la déconnade.
Mais je n'ai jamais vu Mertownville comme une BD humoristique. Dans ma tête c'est un mélange d'un peu de tout.
BDG : là où peut-être l'humour est moins présent, c'est dans le fait que le personnage se cherche et vit une sorte de désespoir.
MF : moi j'ai l'impression qu'elle est moins triste... à la fin du premier c'est quand même plus du désespoir : elle ne comprend rien. Alors que dans le second, elle comprend rien mais c'est devenu sa vie de tous les jours de ne rien comprendre (rires). Oui, il y a toujours une tristesse mais selon moi elle semble mieux la vivre. Du moins elle est plus combative... mais peut-être que je me trompe.
BDG : les voix-off sont quand même très dures ! Il n'y a pas UN gag dedans.
MF : c'est vrai, c'est surprenant... il n'y a pas de gag dans la voix-off... mais elle-même est plus dure quand elle raconte. Il faut dire que le thème principal est l'initiation, et elle a peur de ça. En déconnant avec ça, ça aurait un peu brisé sa fameuse peur. C'est vrai, il n'est pas drôle l'album, mais achetez-le quand même ! (rires)
BDG : comment vous positionnez vous dans la bande dessinée ? Considérez-vous que le public canadien est différent du public européen ?
MF : il est moins nombreux (rires) C'est vraiment pas la France, les gens n'achètent pas de bande dessinée. Je ne pense pas avoir un public au Québec.
BDG : vous vous positionnez vraiment par rapport à la bande dessinée européenne ?
MF : ah oui, oui. Au Québec j'ai fait dix fois plus de médias radio, télévision ou journaux. Mon public, même s'il est petit, est en France. Et je le vois en dédicace, je reconnais des gens que j'ai rencontré il y a six mois, c'est génial. De toute façon je vise la France plutôt que la francophonie, parce que je veux en vivre.
BDG : vous n'avez donc aucune approche par rapport aux comics ?
MF : non, non. C'est étrange, parce qu'au niveau du style il y a des gens qui disent "ça c'est du manga" ou "du comics américain". Ben non, c'est du Michel Falardeau (rires). J'ai grandi dans le franco-belge.
Le format cartonné : c'est ça, pour moi, la bande dessinée.