INTERVIEW
Le sujet est-il autobiographique ou est-ce une création ?
Le film raconte l'histoire d'un dessinateur de BD qui va, par l'intermédiaire de son art, se plonger dans l'histoire de son grand-père. Il se trouve que mon grand-père a survécu au génocide de 1915 et a laissé un témoignage manuscrit de son histoire. C'est à partir de ce manuscrit que j'ai écrit l'histoire racontée par le vieil homme dans le film. Ajoutez que je suis scénariste de BD et, effectivement, on peut penser qu'il y a une part d'autobiographie dans le film. Maintenant, elle est purement dans la sensibilité et la construction des personnages principaux. L'histoire en tant que telle est une pure fiction.
Qu'est ce qu'être Arménien a eu de structurant dans ta vie ?
Je suis 50% arménien (par mon père). Dans un premier temps cela n'a eu aucune incidence sur ma vie. Je ne m'y intéressais pas. Et puis, quand j'ai grandi, je me suis rendu compte qu'on ne peut pas occulter ses origines. Et surtout, il y eu le manuscrit de mon grand-père qui a été pour moi comme un véritable lien avec mes racines. Lorsque je suis arrivé en âge de réfléchir à tout ça, j'ai immédiatement ressenti le besoin d'explorer mon identité arménienne à travers ma passion et mon travail. C'est comme cela que le film Azad est né.
Cent ans après le génocide, quel regard portes-tu sur le droit à la douleur, à la rancœur et au pardon des jeunes générations ?
Je pense que les jeunes générations jouent un rôle fondamental dans ce processus. Nous avons à la fois un rôle de mémoire et de transmission à assumer comme cela a été le cas de nos parents et de nos grands parents, mais nous pouvons également tenter de faire avancer les choses par le dialogue. Notamment, je pense que les artistes ont un rôle essentiel à jouer pour que cette plaie encore à vif se cicatrise.
Cette cicatrisation semble plus longue à venir que pour le peuple Juif.
Il manque principalement et en premier lieu la reconnaissance du génocide arménien par l'État turc. Malheureusement, le négationnisme turque est un négationnisme d'État, c'est à dire qu'officiellement, les enfants turcs qui vont à l'école aujourd'hui apprennent que, non seulement le génocide n'a pas existé, mais que ce sont les arméniens qui ont massacré les turcs !!! La cicatrisation ne peut donc pas se faire puisque le médecin nie que la cicatrice existe ! C'est d'ailleurs une notion que nous autres, français ou européen, avons du mal à comprendre car nous avons reconnu le génocide et ça nous paraît "normal" de le faire. Ce n'est pas le cas de 80 millions de turcs. Pour te donner un exemple, avant même que le film soit tourné, avant même que je ne donne à la chaine le synopsis définitif du projet, il y avait eu une annonce pour Azad sur le site de France 2 le citant comme "projet en cours". Il n'a pas fallu une semaine avant que je me fasse insulter comme "salissant" le passé de la Turquie. Le dialogue est donc très très difficile aujourd'hui avec les turcs malgré qu'un nombre grandissant d'intellectuels reconnaissent le génocide. C'est un processus très long et pénible pour les arméniens.
Tu parlais de transmission. Tu as retrouvé le manuscrit lors d'un déménagement, ça veut dire qu'il était dans les oubliettes ?
Non, ça veut dire que je n'ai jamais vraiment osé me plonger dans cette histoire jusqu'alors. Le manuscrit de mon grand-père s'est transmis dans la famille depuis bien avant son décès mais fallait-il encore être prêt à le lire. Dans mon cas, je pressentais que ce témoignage aurait un énorme impact sur ma vie, qu'il m'amènerait à entreprendre une démarche profonde liée à mes racines. J'ai attendu d'avoir la trentaine pour le faire et, effectivement, cela a engagé chez moi un processus long dont Azad est l'aboutissement extérieur. Ma manière de faire perdurer la mémoire de mon grand-père, de ma famille et de mon peuple...
Tu as choisi Azad comme prénom, qui signifie Liberté. Pourquoi ce choix emblématique plutôt qu'un autre plus en prise avec la fiction que tu as réalisée ?
Azad est un prénom mais c'est surtout le titre de l'album réalisé par Mayak. La notion de liberté est au cœur du film dans le sens de liberté de penser, liberté de vivre en s'affranchissant du poids du passé. Non pas qu'il faut oublier mais simplement, s'affranchir des processus de haine pour ne pas faire de ce passé une sorte de malédiction. Azad est un film que je voulais résolument optimiste.
Tu es scénariste de bandes dessinées, qu'est-ce qui a motivé ton passage derrière la caméra plutôt que rester dans le 9e art ?
En fait la BD est pour moi une passion mais j'ai toujours écrit pour la télévision et le cinéma. Je n'ai donc pas changé de médium, j'ai simplement ouvert une nouvelle voie, celle de la réalisation. Ce qui a accéléré le processus c'est que le film Azad a remporté un appel à projet de France 2 et que, du jour au lendemain, Azad est passé du stade de projet à celui de film mis en production. Maintenant, il se trouve que j'ai pris beaucoup de plaisir à faire ce film et à échanger avec tous les intervenants qui ont travaillé dessus, je vais donc creuser ce sillon un peu plus profondément avec d'autres films je l'espère. Mais ce n'est pas pour autant que j'arrête mon travail dans la BD, bien au contraire : 2011 sera pour moi une grosse année BD avec plusieurs nouveaux projets dans des styles très différents.
Que t'a apporté ton savoir-faire de scénariste de bandes dessinées pour la réalisation de ce film ?
Il y a un pont absolument naturel entre la BD et le cinéma. Lorsqu'on a la chance de réaliser un film, on comprend à quel point l'art séquentiel est proche du cinéma. Après tout, être scénariste de BD c'est découper des milliers de plans, écrire et penser en images, en valeur de plan, en profondeur de champ. Sur un tournage ou tout est sans cesse en mouvement, il est très utile de pouvoir découper intégralement une séquence en quelques minutes car les aléas vous empêchent de réaliser votre vision première. La BD m'a donné beaucoup de souplesse. D'ailleurs, il faut noter qu'Azad a été entièrement storyboardé par mon ami Olivier Peru. Une aide précieuse lorsqu'on a peut de temps de tournage...
Comment intervient l'animation dans le film ?
Mettre en image le génocide de 1915 aurait demandé des moyens hors budget pour la télévision. L'animation sait, mieux que n'importe quel média, toucher le cœur des gens et leur sensibilité. Surtout lorsqu'il s'agit de raconter des événements aussi choquants que ceux qui sont liés au génocide arménien ! Ainsi, il y a 15 minutes d'animation dans le film qui retracent l'histoire du grand-père. C'est ce récit qui est tiré des mémoires de mon propre grand-père.
Dans la collection Histoires de vie (ex collection Identités)
le 25 juillet à 22h40 sur France 2
AZAD
Un unitaire de 70’ écrit et réalisé par Nicolas TACKIAN
partie animation co-réalisée par Jean-Jacques PRUNES
produit par K’IEN PRODUCTION / David KODSI
direction artistique Michel CATZ
Avec :
Jacques HERLIN, Virgile BRAMLY, Alexandra BIENVENU,
Jacky NERCESSIAN, Anne SUAREZ, Michaël ABITEBOUL, Laurence GORMEZANO
Hsitoire
Mayak évolue dans le milieu de la BD underground. Il se consacre à la préparation d'un roman graphique : Azad ("liberté" en arménien), projet qui retrace l'histoire de son grand-père alors qu’en 1915, il tentait de fuir la Turquie pour échapper au génocide arménien. Ce sera l'occasion pour Mayak de renouer avec ses racines et de se rapprocher de sa famille. Mais lorsque Mina, une jeune Kurde, rentre dans sa vie, il va se retrouver ébranlé dans ses convictions les plus intimes. En effet, Mayak se persuade qu'elle renie la mémoire du peuple arménien. Pourtant, sa nouvelle colocataire a elle aussi des comptes à régler avec le passé.
AZAD est un film qui mêle animation et prises de vues réelles par le biais des souvenirs du grand-père. Le récit des massacres planifiés par le gouvernement Jeunes-Turcs est inspiré par le témoignage manuscrit du grand-père du réalisateur (Nicolas Tackian) ayant vécu les faits.
Prix de la meilleure fiction de 2ème partie de soirée
Festival de la Fiction TV de La Rochelle 2009
Crédit photo Mayak Nercessian