BDGest' : Gueule de bois est une série qui touche beaucoup aux contes. Comment la définissez-vous ?
Philippe Foerster : c'est en quelque sorte un mélange d'influences de contes populaires célèbres et de films d'horreur. A la limite du gore parfois (rires). C'est de l'humour noir et du fantastique.
BDG : vos histoires se déroulent après la fin des contes... dans une suite qui est beaucoup moins heureuse.
Foerster : Parce que ces gens doivent continuer à vivre, et il n'y a pas de raison qu'ils soient toujours heureux. Ce qui est très gai, c'est de partir de personnages qui ont déjà une existence presque mythique dans l'esprit de tout le monde. Etant déjà très connus, ils ont un caractère et les gens ont une idée précise les concernant. Il y a comme un terreau, une création déjà faite, qu'on peut faire dévier vers autre chose. L'idée vient plutôt de là.
BDG : Pinocchio n'est jamais vraiment cité, on n'a jamais clairement son nom...
Foerster : ça c'est parce que je pense que c'est très gai pour les gens de se dire que c'est lui dès la seconde page, ou même la couverture. Mais si c'est moi qui le dit, ils n'ont pas l'impression de l'avoir compris par eux-même. Dans le deuxième il sera certainement nommé, ça n'a plus d'importance.
BDG : il s'agit donc d'une série, mais comment sera t-elle construite ? Par one-shots tournant autour d'un nouveau personnage, ou autour d'un héros récurrent ?
Foerster : les histoires sont à chaque fois plus ou moins complètes, mais le personnage principal sera toujours Pinocchio, qui figure le titre de la série. Ceux qui gravitent autour vont à mon avis varier selon le sujet de l'album.
BDG : on retrouvera donc l'étrange ligue des milliardaires aveugles ?
Foerster: oui vraisemblablement, puisque ce sont ses "commanditaires". Mais le personnage de Pinocchio sera toujours en porte à faux. Car ce qui est intéressant dans le fantastique ce sont les monstres. En général la sympathie va vers les monstres plutôt que ceux qui les pourchassent, c'est pour ça que je déteste la vision d'un film comme Van Helsing où c'est le contraire : on suit un chasseur de monstres un peu lobotomisé. Je pense qu'il faut partager les émotions du poursuivi plutôt que des poursuivants. Pinocchio sera toujours en porte-à-faux, il travaille pour ses commanditaires mais il mentalement il reste de l'autre côté. Comme Blueberry avec les indiens (rires)
BDG : les monstres restent un thème qui vous est cher, puisque vous racontez beaucoup d'histoires horribles. D'où cela vous vient-il ?
Foerster : je n'en sais rien du tout. A mon avis c'est une espèce de fixation sur le stade adolescent où tout le monde se sent un peu différent. A cet âge là, on a l'impression qu'on ne nous comprend pas, qu'on est à part, alors qu'on se ressemble tous. Mais il y a une période de la vie où on ressent ça très fort et je pense que j'ai du le sentir un peu trop et que ça m'est resté (rires). J'ai toujours besoin de l'exprimer.
BDG : vous aimez faire peur ou vous faire peur ?
Foerster : aucun des deux, ce n'est pas vraiment faire peur car il y a toujours un second degrés dans mes histoires. C'est quand même aussi de l'humour, avec un petit côté angoissant mais je ne me fais pas peur à moi-même (rires). Je ne pense pas que j'effraie le public non plus, quoiqu'il y a des gens qui me disent qu'ils lisaient mes histoires dans Fluide à l'âge de 10 -12 ans et qu'ils ont fait des cauchemars pendant quelques années. Mais ils me disent ça avec plaisir, plaisir pervers sans doute (rires)
BDG : un autre thème récurrent dans vos histoires, que l'on retrouve dans Gueule de Bois, c'est la métamorphose ; c'est très kafkaïen.
Foerster : ça fait partie des thèmes du fantastique, les mutations où les changements du corps. Dans les films de Cronenberg par exemple c'est très clair : il fait toujours des histoires soit sur la maladie, soit sur des corps mi-métal mi-chair. Je pense que c'est quelque chose qui appartient à l'inconscient collectif, la peur de se transformer. Elle est liée vraisemblablement à la peur de vieillir qui arrive à tout le monde, c'est une sorte de métaphore : on vieillit en quelques minutes en se transformant en monstre ou en autre chose.
C'est une sorte d'exorcisme de ce qu'est la réalité de la vie de chacun.