Venise, l'âge d'or. Plus prospère que jamais, la Sérénissime est dirigée de main de maître par les riches familles vénitiennes. C'est au sein de la plus puissante famille que Bianca, jeune femme effrontée et rebelle, va découvrir son lourd héritage : des générations de sorcières, une matriarche avide de pouvoir, et un terrible événement à venir qui pourrait enfin la rapprocher de sa soeur Carmine ou... la perdre à jamais !
Pourquoi avoir situé cette histoire dans la cité des Doges ? S’agit’ il d’un choix commun ?
Alexine : C’est un choix complètement personnel. Lorsque j’ai contacté You le scénario était déjà bouclé et réécrit en accord avec Dupuis. A la base, quand Lucien a eu l’idée de cette collection, il s’est adressé à Virginie Greiner et moi, puis à Bénédicte Gourdon, et nous avons monté ce projet tous les 4. A ce moment là nous avions pour seul impératif d’écrire 3 scénarios sur le sujet des sorcières et nous ne savions pas bien encore si on allait lier nos histoires par un fil rouge ou même que nous ne serions que des filles dans l’équipe ! On a donc écrit 3 récits, aussi divers que possible et éloignés de l’image habituelle qu’on a des sorcières, puis nous avons démarché les éditeurs avec ces 3 seuls scénarios. A ce moment là j’avais choisi Venise parmi d’autres projets que j’avais en tête sur ce thème parce que j’avais déjà écrit un scénario sur Venise, quelque chose de plus noir et de plus « Lovecraftien ». Mon histoire utilisait des caractéristiques propres à cette ville comme la montée des eaux, mais elle avait un aspect beaucoup plus sombre et fantastique. Entre temps le scénario a été réécrit pour coller un peu plus au thème et à la demande de l’éditeur, le carnaval de Venise et tout ce que ça peut apporter de faux semblants et de quiproquos a été renforcé.
You : C’est une question plus axée scénaristiquement … donc je n’interviendrai pas sur la réponse d’Alexine ^^
J’ajouterai simplement que son choix a été la raison de ma préférence pour cette histoire. Car en réalité, elle me proposait un récit de pirates ! Mais reprendre d’après les storyboards de Crisse pour un premier essai dans la BD, m’a aussi fait peur. Ce n’était pas évident de reprendre sur le travail d’un professionnel, j’étais trop impressionnée et puis Venise m’a vraiment fait rêvé.
Comment nait un personnage tel que Bianca ? Quelles ont été vos influences ?
Alexine : Bianca en elle-même n’est née d’aucune influence contrairement au personnage de Carmine qui a récupéré la douce et fausse candeur de Claudia d’Entretiens avec un Vampire, et pour certaines scènes la folie de Carrie du film du même nom. L’idée de la famille de femmes-sorcières est un petit clin d’œil à Anne Rice que Lucien et moi aimons beaucoup. Mais en dehors de cela et de quelques directives, j’ai laissé libre cours à l’imagination de You pour donner tout leur caractère aux personnages. Et je n’ai pas été déçue ! Elle a très vite su cerner la force et la détresse de chaque personnage et leur donner toute leur ampleur.
Bianca se voulait une jeune femme forte et rebelle, loin du cliché de l’héroïne à qui il arrive tous les malheurs de la terre. Quelqu’un d’indépendant aussi. Je pense qu’inconsciemment You a un peu donné d’elle-même dans ce personnage…
You : Oui Carmine a été une évidence, le personnage ambiguë et fascinant de Claudia dans Entretien avec un Vampire c’est imposé tout naturellement. J’avoue quand même que j’ai au début opté pour un style plus « poupée de cire ». Mais en faisant la recherche de personnage … elle est venue magiquement apparaître sous mon crayon, même qu’au final, on a choisi ce croquis pour la couverture carrément !
Par contre pour Bianca, l’approche n’a pas été si simple. La première tentative a été plus efficace pour son costume et sa coiffure mais ses airs et son regard n’étaient pas encore aboutis du premier coup. Il m’a fallu la retravailler ! La rendre moins « manga », lui faire des yeux moins grands tout simplement . Mais je la visionnais facilement. J’avais l’idée (Alexine l’avait si bien décrite), fallait juste que ça concorde bien avec mes traits ^^
Quelles sont les recherches que vous avez effectuées ?
Alexine : Nous avons toutes deux dû faire énormément de recherches historiques et architecturales sur Venise ! Certaines scènes proviennent de photos, d’autres de peintures, et parfois aussi de l’imagination de You. Nous ne situons pas de date exacte délibérément. D’abord cela n’avait pas d’intérêt pour une fiction telle que la nôtre, et ensuite cela nous a permis de rester au départ dans le flou au niveau de nos recherches et de balayer une assez grande période du médiéval à la renaissance.
Nous avons aussi fait énormément de recherches de costumes.
You : Ca a été un travail d’équipe ! Je ne ferai pas du radotage sur la réponse d’Alexine, en somme elle a répondu pour nous deux ^^ Merci de me ménager sur cette question ma chère XD
Bon ok, je vais faire un petit effort.
J’ai beaucoup cherché sur Internet, très peu dans les bibliothèques. Question de facilité et surtout de rapidité. J’ai même pris l’habitude de dessiner directement à écran interposé. Je ne prenais plus la peine d’imprimer sur papier ^^
Alexine m’a vraiment beaucoup aidé, car je ne savais pas par quoi commencer sur mes recherches. Elle m’envoyait des images qu’elle avait déjà en stock ou suite à une demande précise, s’exécutait avec dévouement !
On se parlait beaucoup aussi sur ce sujet, voir si mes trouvailles étaient en concordance avec ce qu’elle attendait. Il y a eu peu d’erreur, on était sur la même longueur d’onde.
Je m’inspirais parfois sur des références qui n’avaient rien à voir mais qui pouvaient pourtant convenir. Comme une taverne médiévale XD (perso, elle m’avait déjà envoyé plein d’exemples).
Pour ce qui est de Venise même, je prenais des photos de touristes (comme je n’ai jamais mis les pieds dans cette ville ^^) ou des sites documentaires. Pour éviter l’anachronisme par contre, trouvant peu sur cette époque, je ne reproduisais pas exactement les quartiers ! Je faisais carrément du patchwork de maisons et de bâtiments! Et puis j’inventais aussi !
Pour les attitudes, je me suis référée à des amis ou des photos sur le net. Par contre pour les expressions, je me suis plus fiée sur un livre d’étude datant des années 60 ! Ce qui m’a valu des remarques sur les visages qui étaient un peu trop « rétro ». Mais au fur et à mesure du travail, je m’en suis éloignée, me sentant plus téméraire et mieux à l’aise avec les contraintes qu’impose le format BD.
Dans un sens, c’était plus pour me rassurer que pour m’aider vraiment, car j’en étais capable mais n’osais pas au tout début me lancer sans « filet ».
Surtout que les émotions des personnages sont un de mes points forts ^^
Comment travaillez-vous avec Alexine/You ?
Alexine : Par chance, merveilleusement bien je dirais ! ^^
Notre « rencontre » virtuelle a été délicate car on me l’a présentée comme « une super bonne copine qui dessine trop bien mais n’a jamais fait de BD », ce qui n’était pas pour me rassurer ! Fort heureusement une merveilleuse complicité est très vite née entre nous deux ce qui nous a permis d’avancer très vite, ce qui n’était pas gagné quant on sait que ni l’une ni l’autre n’avions fait de BD avant ! On a très vite évalué déjà le temps que chacune avait à accorder au projet (You travaillant à mi-temps au palais de justice de Bruxelles, et encore, à temps plein au début !) et nous nous sommes partagé les tâches de manière à avancer en synchro. Je n’ai jamais pris beaucoup d’avance sur les pages de scénario ou de story-board pour toujours être « dans le bain » en même temps que You, garder l’ambiance dans laquelle elle était elle-même plongée. Par ailleurs, nous avons énormément interagi l’une avec l’autre, travaillant en permanence sur msn pour être toujours à l’écoute de ce que l’autre avait à dire. Nous avons été incroyablement complémentaires à tout moment. Si on devait « formater » notre travail, je dirais que je fournissais à You un scénario détaillé de chaque page et de chaque case avec ce qui s’y passait, les mouvements de caméra, les images ou photos dont je m’étais parfois inspirée et un story-board (qui n’aura pas cessé de la faire rire !) pour placer rapidement les personnages et les cases dans la page. A partir de là elle s’imprégnait de l’ambiance que je souhaitais et refaisait ses propres recherches, réorganisait des cases et on se concertait pour finaliser tout ça. Au final nous ne nous sommes vues qu’une seule fois durant toute la réalisation du livre, 2 heures en tout et pour tout, accompagnées de Lucien Rollin et de notre coloriste Elvire De Cock, et encore, uniquement à la fin du projet !
You : Comme si j’avais toujours travaillé avec elle …
On va dire que là, elle a répondu encore pour nous deux. Que voulez-vous, on est fusionnelles et ça se ressent même dans les interviews ^^
Je conclu par « Que du bonheur »
Le regard de Lucien Rollin vous semble –t’il différent sur votre travail parce qu’il est dessinateur ?
Alexine : J’ai eu assez peu affaire à Lucien en tant que Directeur de collection puisqu’il s’occupait de la partie dessin (notre directeur de collection chez Dupuis, Louis-Antoine Dujardin, s’occupait quant à lui de la partie scénario, me laissant une grande liberté une fois en accord sur l’histoire). Par contre son soutien m’a été indispensable en tant qu’ami et professionnel, parce que j’ai tout à apprendre dans ce métier. Je me suis beaucoup tournée vers lui pour mes premiers story-boards, le laissant parfois même tout remanier. Et puis très vite j’ai pris confiance et j’ai préféré ne lui donner les pages à viser qu’une fois qu’elles étaient terminées, car nous étions parfois trop de personnes à donner des avis trop différents. Il a su m’aider quand j’en avais besoin puis prendre du recul pour me laisser faire. Quoi qu’il en soit il m’a aussi conseillée à chaque fois que j’avais besoin de débloquer une situation mais il m’a laissée venir vers lui.
Je dirais donc pour ma part que le regard de Lucien Rollin sur mon travail m’a paru différent parce qu’il est mon ami ! Il n’est jamais facile de travailler avec quelqu’un que l’on connait depuis longtemps et qui prend subitement le rôle de directeur. Mais je dois admettre que cela s’est très bien passé. Nous avons juste dû chacun prendre nos marques pour ne pas piétiner l’espace de l’autre.
Vis-à-vis de You il m’a paru parfois assez critique mais toujours juste. Généralement c’est à moi qu’il faisait les premières critiques sur le dessin car nous nous connaissons bien et qu’il avait moins à prendre de gants avec moi. Il est évident qu’après avoir fait ce métier durant tant d’années (vu son grand âge avancé) il a un œil entrainé sur les proportions, l’anatomie des corps, et un recul que You et moi n’avions pas encore.
You : Oui bien sûr et puis c’est plus logique d’avoir un dessinateur comme directeur de collection pour le côté graphique, non ?
Mais c’est vrai que son œil était plus sévère. D’office dans sa position de dessinateur, il était plus aisé de détecter les erreurs dans mon dessin. De me prévenir aussi des codes de BD que j’ignorais, vu que je venais du monde des illustrations pour enfants. Comme les interférences et les ellipses ^^
Par contre au début, ça n’a pas été simple de se rendre compte que les heures que tu as passées sur une planche devaient être à repasser car il y avait des erreurs. Logique me direz-vous mais c’est dur de l’admettre moralement. Il me fallait au début, prendre le temps du recul et reprendre le dessin avec le sourire. Je crois que cette aventure m’a fait gagner en maturité. Je ne me posais plus la question si mes capacités étaient toujours valables (des remises en question typique des artistes ^^). Je recevais les remarques, je lisais, je rectifiais puis je renvoyais tout simplement.
Et puis il avait souvent raison. Donc ce n’était pas difficile au bout du compte de l’écouter et d’accepter.
Est-il interventionniste comme Directeur de Collection ou au contraire laisse-t-il une grande liberté à ses auteurs.
Alexine : Ha ben j’ai répondu à deux questions en même temps au dessus du coup ^^
You : Il était plus guide et conseilleur que vraiment directeur. Il faisait beaucoup confiance à Alexine. Et puis vu son grand âge, il devait s’imposer des moments de sieste ce qu’il empêchait d’intervenir régulièrement !
Pour ma part, je me suis rendue compte que tout au long du travail, il me faisait moins faire des corrections. Je crois que j’apprenais vite et bien ^^
Est-ce que le fait d’être une amatrice et lectrice éclairée de Bd vous a aidé dans l’élaboration du scenario/ le dessin des perso?
Alexine : Dois-je admettre que je suis pressée de savoir ce que You va répondre à ça ? ^^
Pour ma part oui, je dois avouer avoir été pas mal influencée par l’élaboration des pages de certaines BD que j’aime beaucoup comme Les passagers du vent de Bourgeon. Ce qui m’a valu d’ailleurs de me battre avec pas mal de monde (dont Lucien) moins fans que moi de l’incrustation de cases ! Mais je m’y suis tenue parce que c’est toute une ambiance que cela amène et que je ne voulais pas passer à coté de ça. Avec du recul peut être que mon personnage de Bianca a inconsciemment été inspirée d’Isa.
Après pour la partie technique je ne pouvais pas me permettre de juste m’inspirer d’autres BD, il y a trop de règles et de codes à savoir, dont certains que j’ai malheureusement transgressés d’ailleurs. J’ai appris le découpage et le story-board à la manière cinématographique avec Crisse, en faisant des pauses et en découpant des scènes de films connus. Je me suis beaucoup appuyée sur des ouvrages sur la BD et le story-board aussi. Et puis parfois, quand j’étais moins inspirée pour découper une scène, j’allais chercher çà et là dans mes BD préférées des scènes un peu similaires dans la nature de l’action pour en voir le traitement.
You : Question piège !!! XD
Personnellement j’ai été influencée par très peu de chose car tout bonnement la BD n’était pas un domaine qui m’était familier. J’étais plus axée sur le manga !
Au départ, je croyais que c’était une tare d’être novice mais on m’a rapidement rassurée en me disant qu’au moins je n’aurais pas d’influence trop perturbatrice.
Et de ce que j’ai pu « ressortir » du manga, c’est plus le côté émotionnel. Passer plus sur l’expression du visage que les stéréotypes qu’on en fait de ce genre de lecture. Je crois en avoir tiré du bon sur cette préférence ^^
Si vous deviez faire découvrir la bande dessinée à un ami, laquelle lui offririez-vous ? Pourquoi ?
Alexine : En premier lieu j’aurais tendance à répondre Jolies Ténèbres ou l’Art de la fessée mais quelque chose me dit que ce n’est pas ce qu’on attend de moi ^^
Ca dépendrait bien évidemment de l’ami, il est très difficile de juger à la place de quelqu’un d’une ambiance, d’un dessin, des couleurs aussi qui apportent tant à une œuvre. Un tout petit quelque chose peut facilement rebuter. Disons que si je devais absolument choisir et rester objectif face à un ami dont je ne connais aucun goût, je partirais sur une œuvre avant tout très bien menée, quelque chose de simple, sans connotation fantastique ou trop typée, mais auquel on se laisse malgré tout prendre très facilement. Quelque chose qui embarque. Probablement un Larcenet comme Le combat ordinaire.
You : Oh ce n’est pas que je fais du frotte-manche et c’est vraiment sincère mais j’ai été touchée par un livre tout particulièrement édité par Louis-Antoine Dujardin. « La vieille dame qui n'avait jamais joué au tennis » de Zidrou. Un pot-pourri de petites nouvelles qui sentent bon la tendresse humaine en toute simplicité.
Ce qui m’a procuré comme sourires aux lèvres, je voudrais le faire partager à mes proches pour leur faire autant de bien qu’il m’en a fait à sa lecture.