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Airborne 44 : l'après ? l'avant...

Rencontre avec Ph. Jarbinet

Propos recueillis par L Cirade et L Gianati Interview 26/02/2010 à 10:05 9700 visiteurs
Six mois ont passé depuis l'apparition d'Airborne 44 (Casterman) en librairie. Le moment est donc bien choisi pour revenir sur ce titre avec Philippe Jarbinet, également auteur de la série Mémoires de cendres (Glénat). L'occasion également d'évoquer sa prochaine création dont nous pourrions suivre l'avancement pas à pas sur BDGest prochainement. A suivre...

Airborne 44 est un titre faisant référence à une unité militaire alors que le contenu repose en premier lieu sur un triangle amoureux.

Au départ, Airborne était un titre de travail qui m’est resté à peu près jusqu’au milieu, pendant un an. Puis, j’ai eu en tête un autre titre officiel. Mais Casterman trouvait que c’était bien d’avoir un titre lapidaire qui pouvait être compris dans toutes les langues. Au départ, il me faisait un peu peur et j’ai demandé à ce qu’on rajoute « 44 » car ils voulaient vraiment que ce soit très ciblé sur la seconde guerre mondiale avec des couvertures qui ne soient, au contraire, pas très militaires. Le départ a été un peu difficile…

A la haine qui véhicule l'anti-sémitisme et l'extermination, vous opposez une histoire d'amour et une conclusion très positive.

Concernant la fin positive, c’est dans ma nature. On a assez d’ennuis dans la vie pour ne pas voir des personnages de bande dessinée échouer lamentablement. Le but est de franchir des obstacles tout au long du scénario, en donnant l’impression qu’ils ne vont jamais y arriver. C’est vrai que c’est un peu délicat ici, car on parle de l’Holocauste.

Pourquoi avoir choisi d'aborder une fois encore l’Holocauste ?

Depuis que j’ai commencé la bande dessinée, le principe de l’Holocauste, et du génocide en général, m’a toujours interpelé. Dans Mémoire de Cendres, j’avais déjà ça en toile de fond, même si c’était relatif aux Cathares et à la liberté de penser. Dans Sam Bracken également, car si j’avais pu terminer la série, on serait encore arrivé sur ce thème-là. Quand j’ai eu l’occasion de signer chez Casterman, je me suis dit que je voulais vraiment aller au bout de mon propos, comme aller jusqu'à une sorte de libération. Pourtant, je ne suis pas d’origine juive, mais ça m’interpelle énormément.

Les lieux sont ceux de votre région natale…

Dans mon village, j’ai vu revenir beaucoup de soldats américains qui ne correspondent pas du tout à l’image que l’on en a aujourd’hui. C’était des conscrits. Je les ai vus à l’âge de 10 ou 12 ans, ils en avaient donc à peu près 50. Je n’ai pas vu des guerriers, mais des hommes normaux qui avaient tué d’autres hommes normaux. Il fallait qu’ils vivent avec ça. Ce qui m’intéressait, c’était les mecs derrière l’uniforme. Je suis un peu fleur bleue. (rires) Quand vous enlevez l’uniforme à un militaire, vous avez un homme. Quand il est blessé ou malade, il perd son statut social, cette espèce de grandeur qu’on lui donne et redevient un mec tout à fait normal. Accepter de perdre la vie pour une cause dont vous ne connaîtrez pas l’issue, c’est intrigant quand même… Quand vous êtes blessé, mutilé, évacué… vous ne faites même plus partie du corps social qui faisait de vous quelqu’un d’un peu hors norme. Vous redevenez non seulement quelqu’un de normal mais aussi d’affaibli.

Vos personnages sont toujours déterminés, ils ont la volonté de s'opposer. Pourtant, le titre de la deuxième partie, Demain se fera sans nous, pourrait faire penser à une certaine forme de fatalité.

Quand vous avez 20 ans, que vous vous retrouvez sur une plage de Normandie en étant simplement un morceau de viande - car c’est votre fonction - et que vous êtes détruit, ça ne changera en rien le cours du monde. C’est quelque chose qui m’impressionne. Vous voyez, dès le lendemain de la guerre, des Allemands, des Français et des Américains qui ont fraternisé… Il y a un contraste entre ce que l’on vous a appris dans le civil en vous disant : « si vous tuez, on vous exécute », et pendant la guerre ou l’on vous demande d’oublier tout ça en vous faisant croire que plus vous tuez, mieux c’est.

D’autant plus quand vous êtes recruté par une entité qui n’est pas la vôtre…


Oui, cela a été tout le problème de ceux partis pour une armée qui n’était pas vraiment la leur, au sein de laquelle ils n’avaient pas d’identité. On leur a fait faire des choses absolument innommables. Après la guerre, ces gens-là n’ont pas eu droit à la parole car ils faisaient partie des vaincus, des Allemands. Il y a une sorte de suspicion vis-à-vis d’eux : « Qui vous a réquisitionné ? Pourquoi êtes-vous partis ? »… Quand vous discutez avec des enfants ou des petits enfants de « Malgré-nous », leur père ou grand-père n’en ont jamais parlé.

Vous remerciez dans la préface d’Airborne 44 Didier Comès. Comment est-il intervenu dans la conception de l’album ?

Tout d’abord, c’est lui que j’ai commencé à copier. (rires) J’ai eu beaucoup d’affection pour son travail car il illustrait la région d’où je viens et ce qu’il la montrait sous la neige, dans Silence par exemple, comme je la percevais. J’ai toujours été très pudique avec Didier. On se tournait autour depuis pas mal d’années et un jour il m’a appelé pour me parler de mes bouquins, et on est devenu forts amis. Pendant la réalisation d’Airborne 44, j’allais le trouver avec mes planches et c’est lui qui les lisait en premier. Je le vois encore enlever ses lunettes et les remettre… et dire : « C’est bien, c’est vraiment bien. » Il y a un côté affectif chez Comès, grand ami de Pratt. Il m’a vraiment soutenu quand c’était dur.

Vous êtes venu à la couleur directe pendant la série Sam Bracken

Dans Sam Bracken, les couleurs ont été faites en numérique pour les deux derniers. Mais il y avait surtout une lassitude du dessin habituel. Je me suis un peu retrouvé comme Emmanuel Lepage à me poser des questions du style : " Qu’est-ce que j’ai vraiment envie de faire ? ". Ça doit être la quarantaine… Je vais avoir 45 ans… La seule réponse que j’ai trouvé est de faire ce que j’ai envie de faire et de ne plus réaliser une seule planche en m’ennuyant.

C’est ce qui vous a poussé à prendre un virage très fort pour passer de Mémoire de Cendres, série historique et pilier de la collection Vécu, à une fiction contemporaine, Sam Bracken ?

Hormis la science-fiction dont je ne suis pas très fan, je veux bien essayer écrire sur toutes les époques. Ce qui m’intéresse, c’est d’avoir un sujet qui m’emporte. Celui de la seconde guerre mondiale par exemple, je l’avais depuis longtemps.

Vous n’avez pas eu envie de réaliser une série plus longue ?


Au départ, l’histoire devait se dérouler de début 1944 à 1945. Le projet a été refusé deux fois par Glénat. Quand j’ai décidé de le proposer chez Casterman, ils ne savaient pas trop quoi en faire, à quelle collection il pourrait appartenir. Je suis resté quand même sur mes deux albums, pour avoir un bloc. J’étais frustré de ne pas pouvoir réaliser la partie normande. Mais je vais maintenant pouvoir le faire dans un cycle 2. Les deux cycles ne seront pas parallèles mais le 2 sera une sorte de cross-over du premier, chaque bloc pouvant être lu séparément. Quand il sera réalisé, je serai allé tout au bout de ma démarche. Le débarquement en Normandie, graphiquement c’est incroyablement excitant. L’Histoire aussi est excitante.


Glénat a dit avoir refusé votre projet car ils ne voulaient pas faire d’histoires sur la seconde guerre mondiale. Depuis pourtant, sont sortis Malgré Nous, Il était une fois en France


C’est quelqu’un chez Glénat qui m’a dit : « La seconde guerre mondiale, ça ne m’intéresse pas. » Que voulez-vous que je lui réponde ? Il y a eu beaucoup de remaniements chez Glénat et les responsables éditoriaux ne sont plus les mêmes. Aujourd’hui, ce serait peut être passé comme une lettre à la Poste. Qui aurait pu dire que la série allait marcher ? Si j’ai appris une chose du public, c’est qu’ils veulent quelque chose d’honnête et un scénario avec un début, un milieu et une fin, quelque chose qu’on comprend, que l’ensemble soit cohérent.

Les deux parties du diptyque sont sorties presque simultanément. Était-ce pour faire face à l’impatience des lecteurs ?

Je mets un peu moins d’un an pour faire un album. Dans ce milieu, il faut toujours rester dans l'actualité pour ne pas être oublié. Soit vous travaillez à plusieurs sur un projet et vous arrivez à sortir les albums très rapidement. Ou alors, vous prenez sur votre ego et vous vous dites : « Cette année, je n’ai rien sorti, mais c'est pour sortir deux albums à la fois. » Quand vous travaillez tout seul, il n’y a pas d’autre choix.

Pensez-vous qu’il y a encore de la place pour des séries très longues comme Mémoire de cendres ?

Pour moi, non. Je crois à des séries qui peuvent être longues mais qui doivent se terminer. Mémoires de cendre se termine au dixième tome avec un personnage qui a 60 ans.

Le 9ème tome de Mémoire de Cendres, Leïla, était une histoire à part, bien que le récit continuait…

C’est un peu un passage de témoin. Je l’ai écrit au moment des attentats du 11 septembre, quand on a senti une vague anti musulmane et qu’on confondait un peu tout et n’importe quoi. Je me suis dit que l’Islam n’était pas que l’Islam d’aujourd’hui. Quand vous regardez l’Islam du temps des Croisades, c’est une religion très tolérante. Subitement, on tombe sur des intégristes qui font sauter des tours. J’avais la possibilité dans Mémoire de Cendres » d’exprimer un point de vue plus moderne. C’est ce que j’ai fait dans le tome 9. C’est une parenthèse mais ça nourrit la série. Je renoue avec l’idée de départ sur la religiosité, la liberté, le libre-arbitre. Ce n’est que de la bande dessinée… (sourire) Quand j’écris sur le Moyen Age, c’est quelqu’un de moderne qui écrit. On peut imaginer, mais on n’y est pas. Le Moyen Age le plus juste est peut-être celui d’Hermann.

Dans Mémoire de Cendres et Airborne 44, on a deux personnages féminins extrêmement forts…


J’ai du mal à concevoir une histoire sans femmes. D’ailleurs, dans mon prochain album, il y aura encore une femme avec un caractère fort, bien que différente. Le personnage masculin sera aussi très différent de Luther dans Airborne 44, plutôt intellectuel. Le travail des personnages est vraiment capital.

Parlez-nous de votre nouveau projet.

Il va se dérouler avant le diptyque précédent, soit entre 1938 et 1944. Les contraintes sont nombreuses tant sur le plan historique qu’à cause du scénario d’Airborne 44, que je dois prendre en compte. Mais la contrainte fait partie du plaisir de création. C’est un défi. Ce sera aussi en deux parties, chez Casterman, avec une sortie unique prévue pour septembre 2011. Ça permet aux lecteurs d’avoir une série terminée en deux albums, qu'on n'est pas obligé d'acheter simultanément, plutôt qu’un gros volume de 92 pages.

Le site de l'auteur : http://www.jarbi.net/
Propos recueillis par L Cirade et L Gianati

Information sur l'album

Airborne 44
1. Là où tombent les hommes

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