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Mutafukaz, l'interview

Jérôme Briot Interview 20/02/2010 à 02:07 9730 visiteurs
Mêlant allègrement super-héros, yakuzas, lutteurs mexicains et envahisseurs infiltrés, Mutafukaz, avec son rythme survolté et sa façon unique de zapper d'un style à l'autre, de passer d'une inspiration comics à une séquence manga, avec son histoire parano-mystique et déjantée, est une série parmi les plus remarquables du moment.

Et pourtant Run, son auteur, a essuyé dix ans de refus et d'obstructions diverses. Dix ans, pendant lesquels il lui a fallu faire preuve d'une patience obstinée, avant de rencontrer enfin un éditeur à la démesure de ce projet inclassable et génial. Rencontre avec celui que tout le monde présente comme une sorte de Quentin Tarantino de la bande dessinée !




Dans la préface de Mutafukaz, tu expliques que cela fait une dizaine d'années que tu travailles sur ce projet… Quelle est l’origine de la série ?
Run : C’est simple. Je bossais pour une boite multimédia, et j’avais ce projet en tête au moment d’y entrer. C’était une société en pointe des techniques flash, au tout début, à l’époque où les internautes se connectaient avec des modems 28k… Je bossais sur un jeu interactif, « Banja ». Et je faisais mûrir Mutafukaz en parallèle. D'ailleurs à l'époque il ne s'appelait pas encore comme ça, mais « Burning Head & Motherfucker ».



Entre l’idée initiale, et le livre, il y a eu de grandes fluctuations ?
On était dans un studio multimédia, j’avais des collègues qui faisaient de la 3D. Au bout d’un moment, je ne me sentais plus très à l’aise, parce que j’étais entré dans cette boite pour développer mon projet, et que ça ne les intéressait pas vraiment. J’avais demandé au boss cinq mois, pour faire un trailer animé de 7 minutes, en 2D/3D, un court métrage qu’on peut voir sur le site. Nous avons bossé à cinq sur ce trailer. J’espérais que ça aiderait le projet à se construire, dans une voie audiovisuelle, sous forme de série d’animation… Mais finalement, ça n’a été utilisé que comme plaquette commerciale, pour montrer le savoir-faire technique de la boite. Résultat, ça nous a juste amené à faire de la prestation de trucs à la con… J’ai fini par quitter la structure, en me disant que j’allais faire mon truc en solo, sous forme de bande dessinée. Seulement, ça n’a pas été si simple, car mes chers ex-employeurs avaient déposé les droits de mon projet ! J’ai donc dû patiemment attendre qu’ils… ferment. Ce qui n’a pas été trop long, le climat s’était dégradé, et au moment où je suis parti, les directeurs artistiques démissionnaient les uns après les autres.
Une fois mes droits récupérés, j’ai pu commencer à faire une tournée des maisons d’édition, qui m’ont tous refusé ! Entre 1998, date des tout premiers coups de crayon, et 2006, il y a eu tout ça : l’animation, le départ, l’attente, les refus… et voilà.


Tu es passé par une phase d’édition sur le web, pour avoir autant de fan arts dès la fin du premier tome ?
Le site http://www.mutafukaz.com a été créé en 1999, avec des études de personnages, l’animation, quelques dessins… Pas grand-chose, mais assez pour que le projet soit un peu connu quand même.

Quelles sont les circonstances de ta rencontre avec Ankama ?
J’ai un pote qui cherchait du boulot, à qui j’ai servi de chauffeur pour l’emmener à un entretien chez Ankama. Il se trouve que Tot [un des créateurs d’Ankama, NDLR] connaissait Mutafukaz, grâce au trailer animé. Quand je lui ai dit que je cherchais une maison d’édition, il m’a répondu que lui cherchait à faire une maison d’édition ! Je suis arrivé dans la structure au moment où Ankama éditions venait juste de sortir l’Art-Book Dofus, et le tout premier tome du manga. À cette époque, tout était en cours de construction, il n’y avait même pas encore de diffuseur… Ca ne m’intéressait pas forcément de lancer Mutafukaz chez un éditeur en lancement, j’avais très peur que ça reste à un niveau régional.
J’ai appelé Stan (de Stan et Vince), qui m’a conseillé de tenter le coup, en me disant que je n’avais rien à perdre : avec un jeune éditeur, il y avait des chances pour que mon titre soit soutenu, même si ce n’était pas un succès immédiat. Ca m’a donné à réfléchir… et puis le contact avec Tot était vraiment excellent. C’est quelqu’un qui a, pour Ankama éditions, une ambition esthétique avant tout, avant même de se préoccuper de rentabilité économique.

Concernant Mutafukaz, qualité artistique et potentiel économique ne semblent pas incompatibles...
Euh ! Maintenant que ça marche, c’est facile à dire. Mais on m’a longtemps regardé comme un extraterrestre, qui proposait un projet invendable.

C’est la nouveauté, qui faisait peur ?
C’est surtout le genre de projet qui coûte cher à réaliser. Le premier tome de Mutafukaz n’a pas été conçu dans une recherche de rentabilité, Tot cherchait avant tout à réinvestir les revenus du jeu Dofus dans des projets qui contribuent à l’image d’Ankama. Nous devons être la seule maison d’édition française qui se permet de faire des livres avec un seuil de rentabilité aussi haut. Tot m’a confié les rennes d’Ankama édition assez rapidement, c’est un métier que je découvre au fur et à mesure, surtout dans ses aspects fabrication… J’ai fait quelques bourdes.

Par exemple ?
Comme j’étais concentré sur différentes choses que je maîtrisais mal, j’ai envoyé le mauvais fichier à l’éditeur pour It came from the moon [Mutafukaz, tome 0]. Résultat, on a été obligés de mettre au pilon tout le premier tirage : c’était blindé de fautes d’orthographe, ce n’étaient même pas les bonnes images…

Comment décrirais-tu Mutafukaz ?
Mutafukaz, c’est deux ados un peu losers, confrontés à une situation qui les dépasse. Viennent se greffer des anecdotes et des personnages secondaires. Mes deux références sont une nouvelle de Stephen King, L’invasion de Los Angeles, où un personnage est capable de voir des extra-terrestres, à cause de son cancer de la gorge, et Les envahisseurs. Mutafukaz, c’est un peu ce genre d’histoire, avec une trame un peu ringarde et parano, où le pouvoir a été infiltré par des extra-terrestres à forme humaine, et une société secrète d’initiés, qui forment un contrepouvoir quand il faut défendre l’humanité en péril : les luchadores de la Lucha Ultima.
Mais à la limite, l’histoire est secondaire, c’est plus un scénario prétexte que véritablement une histoire par laquelle je suis porté. Ce qui m’intéresse, c’est de créer la surprise visuellement, avec des ruptures graphiques fortes dans le style de dessin, dans l’encrage et la colorisation. Cette composition en chapitres faisait partie de mon concept de base.


Avez-vous envisagé de bosser avec les auteurs de la série Lucha Libre, sur un cross-over Lucha Ultima contre les Luchadores Five, à la manière de ce qui se fait dans les comics américains ?
Quand nous avons eu vent d’un projet similaire porté par les Humanos, au moment de la sortie de Mutafukaz, c’était la panique. Ankama éditions démarrait tout juste, on s’est dit qu’on était foutus. Tot a contacté Jerry Frissen pour lui proposer de mettre des passerelles entre les univers Mutafukaz et Lucha Libre, ou au moins de glisser des clins d’œil ou des pubs croisées, pour amener les lecteurs de Mutafukaz vers Lucha Libre et vice-versa. Mais finalement ça ne s'est pas fait, et il n'est pas certain qu'une rencontre entre les deux univers narratifs, qui ne sont rattachés que par une référence commune à la lucha libre, ait un sens.


Qu'est-ce qui te plait tant dans le catch mexicain ?
C'est un sport très acrobatique, super speed. Ça se passe en trois rounds. Il faut deux rounds vainqueurs ou une humiliation totale de l'adversaire, qui consiste soit à le démasquer soit à lui tondre les cheveux s'il n'a pas de masque. Le côté masqué, qui est à présent devenu du folklore, vient au départ des guerriers aztèques et mayas, les guerriers Aigle et Jaguar. Je trouve dommage qu'en ce moment les gens s'enflamment sur la lucha libre et que ça devienne une esthétique à la mode, qui fasse de beaux habillages pour des émissions de TV, sans réellement s'intéresser à ce que c'est.

C'est ce regret qui vous a incité à éditer Los Trigres del Ring ?
Ce livre essaie de remettre les choses en place. Il parle un peu de la lucha libre aujourd'hui, mais également des origines de cette discipline, dans les années 30 jusqu'à l'explosion dans les années 70, avec les bandes dessinées etc. C'est également pourquoi dans It came from the moon, je me suis attaché à décrire le match de catch de façon très détaillée, avec des prises authentiques et le vrai nom des coups. Je l’ai préparé avec des catcheurs pour que ça fasse encore plus vrai. J’ai fait mon découpage, et je suis allé voir les gars en leur demandant ce qui était crédible ou non. Ensuite les catcheurs ont reproduit sur le ring le combat qu'il y a dans la BD.

Honnêtement, ce travail scrupuleux de documentation passe un peu inaperçu… Peut-être à cause du côté foisonnant et des nombreux changements de style qu'on trouve dans tes albums.
Ah, mais aucune scène n'est faite à la légère. Quand je bascule en style manga, je respecte les codes des films de samouraï. Il y a des petits détails qui n'intéressent que moi, mais j'ai besoin d'avoir cette précision. Sans ce travail de documentation et cette intégrité dans mes planches, si je vendais la lucha libre sans savoir ce que c’est, j’aurais l’impression d’être un imposteur.

Une autre composante forte de la saga tient au sentiment mystique qu'on y trouve. Pour cela aussi, tu t’es beaucoup documenté ?
Je suis athée ; ou plutôt agnostique. Le rapport à la religion est quelque chose qui me hante depuis toujours, que je distille au compte-gouttes dans Mutafukaz car je n'ai pas envie d'arriver avec de gros sabots, avec un message sur le bien et le mal. Beaucoup d'histoires tournent de toute façon autour de la Bible, ou s’en inspirent. D'une certaine manière, Jésus est un des premiers super héros de l'histoire des hommes.

Au départ du projet, Mutafukaz a été conçu pour être une série animée. Ankama à acheté la chaîne de télévision No Life. Ta série commence à prendre de l'ampleur. Ankama dispose de certaines réserves financières pour investir… Y a-t-il un projet d'animation dans les cartons ?
Ce n'est pas inenvisageable, mais je préfère me concentrer sur ce que je fais plutôt que d'exploiter le filon. Si Mutafukaz doit devenir un jour une série d'animations il faudra que je m'en occupe pour que ça conserve une vision d’auteur. Pour l'instant j'ai déjà du mal à assurer de front la maison d'édition et ma BD, je ne vais pas me lancer dans une troisième aventure simultanée.

De quoi t’occupes-tu exactement en tant que directeur éditorial ?
Des auteurs et des livres d’Ankama éditions, hormis tout ce qui concerne l'univers Dofus directement géré par Tot. J'ai aussi aidé Tot à lancer le projet Wakfu, en aidant au script, au story-board et à la création des personnages. Ça m'intéressait d’y participer, mais ça signifiait un trou de six mois dans ma propre production du tome 3. Comme je ne concevais pas de faire attendre les gens pendant deux ans, et que j'avais un pote qui était disponible et qui a un style bien rétro, j'ai décidé de lancer le tome 0. C’est une préquelle qui était depuis longtemps en gestation dans mon esprit. Je pensais la proposer quand Mutafukaz serait terminé. Mais la fin du second tome était un bon moment pour commencer à dévoiler des trucs, sans trop en dire. Les personnages peuvent commencer à revêtir certains aspects qu'ils n'avaient pas à la lecture des tomes 1 et 2. L'album devait faire 70 pages au départ, il en fait finalement 168. J'y ai participé, car le combat de catch me tenait particulièrement à cœur. Ce combat marque l'opposition entre deux styles de lutte, comme il est l'opposition entre deux idéologies.

Quelle est la place de Métamuta dans la saga ?
Ce projet vient du coup de foudre que j'ai eu pour un auteur qui m'a présenté un projet qui n'était pas éditable. Comme je sentais son potentiel, je lui ai proposé de s'approprier l'univers de Mutafukaz. Jérémie Labsolu m'a proposé une réinterprétation introspective de l'histoire, en allant chercher dans la profondeur psychologique des personnages. C'est tout à fait complémentaire à mon travail, puisque de mon côté je me suis concentré sur le côté fun, l'action et les personnages. J'aime beaucoup la bande dessinée d'auteur et ce côté psychologique, mais je n'ai pas la maturité pour en faire. Plutôt qu'une simple réinterprétation de l'histoire, je lui ai raconté le passé d’Angelino. Métamuta est une histoire qui mélange réalité, fantasmes, désirs et souvenirs. C'est très « Lynchien » et aussi très risqué. Si le tome zéro a un peu dérouté les lecteurs, Métamuta a carrément dû les paumer.
Je sais qu'une partie des lecteurs est peu intéressée par l'histoire que je raconte, mais très attachée au style graphique et à sa dynamique. On n'a pas ça du tout dans Métamuta, qui est un album à la fois violent et poétique.

N'est-ce pas un risque, pour une série aussi jeune, de confier les personnages à d'autres auteurs ?
La série est jeune, mais j'y pense depuis 10 ans. Je connais mes personnages par cœur, je sais ce que j'ai raconté. Je sais aussi tout ce que je ne raconte pas. Quand je vois qu'il y a des auteurs qui sont capables de mieux raconter que moi certains aspects de l'histoire, je saisis l'occasion. À la base je ne suis pas un dessinateur de bandes dessinées. Quand je vois la facilité qu'ont certains dessinateurs comme Raf-chan ou Florent Maudoux, je me demande même si je suis vraiment un dessinateur, parce que je fais ça plutôt dans la douleur. Bref, quand des gens peuvent raconter certaines choses mieux que moi, je leur laisse volontiers la barre. Je reste quand même présent pour assurer une cohérence à la série.




Quelques mots sur le tome trois ?
C'est le tome des révélations. La pièce maîtresse de la série. On y découvre tout.





Jérôme Briot

Information sur l'album

Mutafukaz
3. Révélations

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  • RUN
  • RUN
  • 02/2010 (Parution le 11/02/2010)
  • Ankama Éditions
  • Label 619
  • 9782359100105
  • 135