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Portés par le vent

Rencontre avec Julia Wauters et Glen Chapron

Propos recueillis par Fabrice Mayaud et Thierry Pinet Interview 08/11/2009 à 16:09 3099 visiteurs
La naissance d’un premier album n’a rien d’anodin pour ses auteurs ; Julia Wauters et Glen Chapron ne dérogent pas à la règle, très émus au moment de rencontrer leurs premiers lecteurs à l’occasion du festival de St Malo. Et il y a de quoi, Vents dominants est l’aboutissement de trois années de travail pendant lesquelles le projet n’a eu de cesse d’évoluer. Jugez plutôt !

Julia, pouvez-vous nous raconter la genèse de ce récit ?
Julia Wauters : Ça vient de loin. L’album que vous tenez entre les mains n’a plus grand chose à voir avec le projet initial qui était, à la base, un exercice de scénario pour un court métrage aux Art déco à Strasbourg. De là, il y a eu des « envies d’histoire ». La première version plaisait à Glen, et du coup on l’a retravaillée ensemble pour le fanzine Ecarquillettes (lancé il y a quatre ans avec des gens de nos promos à Strasbourg et ouvert à tout le monde depuis). L’enjeu était donc une publication par épisodes - tous les quatre mois environ - qui devaient donc fonctionner indépendamment, sachant que cette histoire, je l’avais déjà remaniée. C’est ainsi que l’idée a évolué. Et puis c’est à Angoulême - nous étions sur un stand dans l’espace alternatif avec le collectif Troglodyte et Ecarquillettes - que nous avons rencontré Gwen de Bonneval de Sarbacane. Ce dernier a été séduit par les planches de Glen et c’est à partir de cet instant que nous avons commencé à réfléchir en termes d’album. Dès lors, même si les intentions de départ sont restées les mêmes, l’ensemble a complètement changé ; je crois qu’il reste une scène commune.
Glen Chapron : Oui, le tout début : quand ils arrivent en voiture et qu’il claque la porte. Juste la mise en route du récit !

C’est Gwen de Bonneval qui vous a aiguillés ?
JW : Il a vu très clairement ce que l’on voulait dire, et cela dès les premières planches dans Ecarquillettes. On en a discuté, et il nous a fait faire un exercice très instructif de résumé de la BD. Au final, nous en sommes arrivés à deux phrases. S’il est resté très respectueux des intentions, son regard était particulièrement intéressant, notamment parce qu’il savait où l’on voulait en venir. Du coup, il nous a surtout donné des conseils pour pousser plus loin certaines scènes. Ce fut vraiment un dialogue, nous lui avons envoyé plusieurs versions…
GC :
Il parvenait à trouver ces petites choses qui manquaient.
JW : Il y avait des intentions qui étaient claires pour moi, mais au bout d’un moment, on ne sait plus très bien si elles sont visibles pour quelqu’un d’autre, ou encore si l’on devient lourdingue en insistant sur tel ou tel point, avec la volonté de guider le lecteur, excès dans lequel je ne voulais pas tomber. En même temps, il ne fallait pas non plus que je sois systématiquement dans des non-dits.

Qu’il vous relance régulièrement, ça vous a permis de progresser ?
JW : Oui, certainement. C’est d’ailleurs pour ça que nous avions à cœur de faire ce livre avec Sarbacane, et donc, avec lui. Ses suggestions étaient bien souvent complètement pertinentes, mais sans qu’il n’y ait quoi que ce soit d’imposé ; nous avons choisi ce que l’on voulait faire, ça restait un dialogue. J’ai beaucoup apprécié d’avoir son regard pendant l’écriture du scénario, mais aussi pendant la réalisation des planches, où, là aussi, ça a pris une autre ampleur.

Alors justement, pour ce qui est de la réalisation des planches, comment avez-vous travaillé ensemble ?
JW : Au début, j’avais découpé par planche, mais au final, tout a volé en éclats !
GC : Comme je me sentais plus à l’aise que Julia pour faire un découpage, je me suis penché dessus. Elle m’a donné les dialogues, puis on l’a fait.
JW : Oui, on l’a fait ensemble. J’intervenais surtout pour l’aiguiller selon ma vision des choses. Le scénario a un peu évolué en fonction du découpage qui s’est fait, du rythme qui s’est imposé. Rien n’était vraiment figé. Nous étions partis sur un nombre de pages approximatif ; entre 80 et 100 de notre propre évaluation.
GC : J’avais un petit carnet avec tous les roughs. Cela nous permettait de travailler les dialogues avec un visuel qui situait la scène. Julia ne m’a pas imposé trop de contraintes, ce qui m’a donné une grande liberté dans l’agencement des planches, la durée des scènes.

Glen, quelles sont vos influences graphiques ? Davodeau ?
GC : Il y en a beaucoup... Davodeau ? Un copain m’a parlé de ça : la manière d’amener les choses, le dessin, le sujet « tranche de vie ». En fait, je n’en ai jamais lu.

Comment vous est venu ce titre, quel est son sens caché ?
JW : Il est venu assez rapidement puisqu’on l’avait déjà pour Ecarquillettes. L’idée vient essentiellement du paysage, assez présent dans ce contexte de week-end à la mer, avec notamment la scène que nous avions aussi depuis le début, dans laquelle le vent évacue un peu les tensions. Dans le même temps, ce titre évoque le jeu de rôles, de pouvoirs qui peut s’instaurer sans que personne ne l’ait réellement décidé. Ça évoquait bien ce que l’on voulait dire.

Quel a été le travail préparatoire sur les personnages ?
JW : Au moment de l’écriture du premier jet du scénario, j’avais surtout les deux frères en tête. Puis, quand nous avons réellement commencé à le retravailler en épisodes, je me suis constituée un petit carnet dans lequel j’avais fait pour Glen un descriptif des personnages, de leurs vêtements. J’avais même inséré des photos ! Ça me paraissait important. Par exemple, et même si ce n’est pas flagrant, le personnage de Vanessa se distingue dans sa manière de s’habiller, dans l’assurance qui est la sienne par rapport à Hélène. C’est peut-être un peu scolaire, mais c’était ma méthode pour définir clairement chacun. Ils ont tous un passé, un métier, qui constituaient autant de petites anecdotes et de scènes qui ont été, pour majeure partie, coupées au final. Il y a aussi le personnage juste évoqué, sans qu’elle soit là, de la petite sœur qui, en étant la dernière, a donc, de fait, un rôle particulier dans la famille.
GC : Elle était déjà présente dans les deux premiers numéros d’Ecarquillettes, on voyait la grand-mère qui l’avait au téléphone… On avait un copain qui voulait absolument la voir, et nous, on savait bien qu’elle serait là, mais qu’on ne la verrait pas. Ensuite, sur la représentation graphique, j’ai usé de petits riens pour marquer les caractères respectifs. Par exemple, pour François, il a toujours un sourcil froncé qui lui donne un visage assez dur et souligne son naturel grognon. Tout est venu assez naturellement, très simplement. Ça fait longtemps qu’on a cette histoire-là en tête, ça crée des rapports un peu particuliers aux personnages. Enfin, pour ce qui est du lieu où se déroule l’action, je l’ai visualisé dès le début, à la lecture du scénario : sans trop savoir pourquoi, la maison de mes grands-parents dans le Morbihan s’est imposée, ce qui m’a facilité la mise en scène.

La situation décrite dans ce livre, vous l’avez vécue partiellement ?
JW : Aucun des personnages n’est concrètement un proche, je pense avoir évoqué des choses communes à toutes les familles en insistant sur les incidences, pour chacun, de la place dans les fratries. Etant l’aînée, je me sens peut-être plus proche de François, mais je n’ai pas pour autant les problèmes qu’il se pose, je n’ai pas le complexe du chevalier blanc. Mais je pense qu’il y a de petites choses qui sont communes, sans tomber dans les clichés. Peut-être est-ce le propre du poids que peut véhiculer l’inquiétude d’une première arrivée dans une famille. Ce sont des sentiments diffus, mais qui ne sont pas valables pour tout le monde, Glen ne fait pas partie des aînés qui correspondent à cette image !
GC : En effet… J’ai par contre insisté pour insérer la partie de pêche à l’écrevisse, les épées en bois, ce sont des moments que j’ai réellement vécus avec mon grand-père. C’est un peu ma touche.

Parlez-nous des séquences de rêves.
JW : Ces séquences étaient initialement davantage reliées au quotidien, c'est-à-dire que c’était beaucoup plus didactique, ça fait d’ailleurs partie des interventions de Gwen qui les a tirées dans l’autre sens, ce en quoi il a eu complètement raison. De toutes les façons, nous les aurions retravaillées, sachant que j’avais très peur de faire de la psychologie de comptoir. L’idée de départ était assez simple, je voulais y exprimer la violence qui est contenue dans des choses quotidiennes, banales, et qui s’évacue de manière totalement incohérente, puisque rien n’est logique dans cette partie là, volontairement outrée pour contraster avec François qui est tout coincé et qui ne lâche rien.

La première séquence de rêve est-elle un retour en arrière, le petit garçon qui reprend sa place dans le cadre de sa famille ?
JW : Ces rêves tendent à montrer un processus qui a tendance à se répéter. François, par ses inquiétudes, va faire peser sur les épaules de son petit garçon autant de poids qu’il a lui-même pu en avoir. C’est aussi pourquoi nous avons mis son fils en parallèle avec son cousin ; pour montrer un peu comment les choses se répètent à l’insu des personnages.

Alors, que laisse présager la réaction finale de François ?
JW : Du mieux !

Du mieux sur un coup de tête du moment, comme quand il va au supermarché, ou est-ce davantage quelque chose qui s’inscrit dans le long terme ?
JW : La réaction du supermarché n’est pas très saine, parce que c’est de l’esbroufe. C’est à la fois pour se faire pardonner, et à la fois pour se prouver qu’il n’a pas de problème d’argent selon le principe « moi aussi, je peux faire plaisir ». Mais la dernière réaction témoigne d’une petite prise de conscience. Pendant toute l’histoire, il n’entend pas ce que son père, ce que les autres veulent lui dire, et à la fin, il a quand même entendu quelque chose. Après, dans l’idée que j’ai de François, c’est aussi qu’il est très différent en famille restreinte, avec sa femme et son fils, que quand il est avec ses parents, son frère. Maintenant, je vous concède que ce coup de tête peut être représentatif de pleins d’autres, mais j’aurais tendance à être plus optimiste, car même si on peut supposer que ça ne va pas être évident, il repart quand même avec des intentions. Pour moi, c’est positif !

Comment avez-vous fait pour exprimer avec justesse les sentiments de cet homme plus âgé que vous ?
JW : C’est une histoire qui nous tenait à cœur, où tout a été une question de dosage : éviter de trop en dire, respecter les temps de silence. Dans le même temps, nous avons craint que cette BD soit reçue comme une BD où il ne se passe rien du tout. Après, je conviens qu’il faut être sensible à ce type de récit. Mais je pense aussi que ces sentiments ne sont pas nécessairement le propre d’un certain âge. En d’autres termes, les sentiments qu’il y a dans cette BD ne me sont pas inconnus, ce sont des choses que l’on ressent assez tôt.

Vous avez d’autres projets en cours ?
GC : Peut-être, j’ai rencontré un scénariste qui aimerait bien faire quelque chose avec moi. Après, on aimerait bien refaire un truc ensemble.
JW : J’ai un projet personnel en jeunesse, mon activité principale restant l’illustration. Maintenant, ce travail m’a beaucoup plu, c’est passionnant et il est certain que j’aimerais bien y revenir avec Glen qui est un interlocuteur réactif, attentif, et avec lequel on s’est réellement laissé le temps.
J’aimerais aussi évoquer le travail de deux amis du collectif - Thomas Vieille et Benjamin Adam - avec lesquels nous avons eu des échanges longs et constructifs lors de soirées « lecture de scénario ». Thomas va sortir une BD qui se passe à l’époque de Calamity Jane chez Bayou (début 2010). Benjamin a écrit une histoire qui se passe dans les années 70, dans le Nord, et qui devrait sortir plus tard chez La pastèque. J’ai de chouettes souvenirs avec eux, il y a eu à l’époque un réel travail de « pingpong ». Cette période coïncide aussi avec le moment où nous avons réalisé, avec Glen, que « Vents dominants » allait vraiment devenir un album, un moment où je commençais à travailler dans l’illustration. Ces séances m’ont procuré de précieux moments de respiration.

Qu’avez-vous ressenti quand vous avez vu cet album pour la première fois ?
JW : Ça a été une petite prise de conscience - ah oui, ça va donc être lu… - ce qui a provoqué un petit vertige. Au final, je suis très contente : c’est ce que je voulais faire, c’est notre premier travail en commun et je me sens de le défendre.
GC : Quand nous avons reçu l’album, c’était vraiment le bébé, l’aboutissement d’un travail de trois ans.

Pour conclure, quels souvenirs remportez-vous de ce festival de Saint Malo ?
JW : C’est un festival qu'on aime particulièrement, on y vient depuis longtemps en tant que spectateurs - très longtemps dans le cas de Glen - ou en tant que micro-éditeurs. Nous étions donc très heureux d'en être et n’avons guère bougé du stand Sarbacane pendant le week-end ! D'abord parce que Marine (qui s'occupe de la partie commerciale, des partenariats) et Anaïs (salons, animation, presse) font une super équipe d'accueil. Ensuite parce que nous n’étions pas peu fiers d'avoir l'occasion de côtoyer Hervé Tanquerelle qui dédicaçait à coté de nous. Et enfin, et surtout, parce qu'il y a eu du monde sans discontinuer et que nous avons même dédicacé jusqu'au dernier exemplaire ! C'était très agréable de parler BD et famille avec les visiteurs, mais aussi de constater les âges très variés de ceux qui repartaient avec la bd, chose qui tient plus au coté familial du festival qu'à la BD en elle-même, mais qui reste très appréciable ! En fait, nous sommes un peu frustrés de ne pas pouvoir recueillir toutes les réactions après lecture de ceux qui sont passés par le stand, parce que chaque lecteur apporte un éclairage vraiment différent sur l'histoire et les personnages. On pouvait s'y attendre en prenant la famille pour sujet, mais on est surpris et ravis !
Propos recueillis par Fabrice Mayaud et Thierry Pinet

Information sur l'album

Vents Dominants

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