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Fabien Vehlmann, sombre et brillant scénariste de Jolies Ténèbres

Propos recueillis par Alexandra S. Choux Interview 24/06/2009 à 23:20 7108 visiteurs
Une jeune fille, allongée dans la forêt. Morte. En train de se décomposer. Et toute une ribambelle de petits esprits et animaux autour d'elle, qui sont comme des survivants issus de cette fillette-véhicule, accidentée là. Ils vont devoir trouver leurs marques, s'organiser. Des amitiés se lient, des rivalités s'échaffaudent. Et explosent. Avec un rare déferlement de violence et de cruauté, renforcée par l'absence d'empathie de ceux qui les commettent.

Dans cette histoire, dessinée dans un trait naïf et ravissant par les Kerascoët, quelque chose évoque irrésistiblement Sa majesté des mouches de William Golding. Le thème, bien sûr, et cette façon d'opposer les paroles enfantines des personnages, et des actes qui n'ont rien de mignon. C'est un récit qui prend aux tripes, avec ce qu'il faut de mystère pour qu'on y replonge, passée la première lecture, assimilé le premier choc.

Jérôme Briot




La couverture est très paradoxale par rapport à l’histoire. Vous n’avez pas craint que l’on range votre album parmi les contes de fées ?

Fabien Vehlmann : Mais d’une certaine manière, c’est un conte de fée, et en cela la couverture est cohérente. Mais c’est un conte de fée pour adultes. Nous avons espéré que le titre un peu « sombre », et un rapide feuilletage de l’album permettrait d’informer le lectorat… Mais nous ne sommes pas à l’abri d’éventuels dérapages. Il est arrivé que des parents l’achètent pour leurs enfants… et que les gamins leur rendent la BD avec un petit air dépité : « Euh, elle est bizarre, la BD, papa… »



L’album lui-même est une longue suite de paradoxes ! Rien que le titre…

C’est vrai. En même temps, le titre n’est pas si paradoxal que ça, si on n’y réfléchit un peu : ce n’est un oxymore dans l’esprit de la plupart des lecteurs que parce que nous n’avons pas l’habitude d’associer la beauté et les ténèbres. Mais pourquoi ne le ferait-on pas ? Après tout, le noir, la nuit, l’ombre, tout cela peut être magnifique ! Et de même, la Nature peut rester belle, alors même qu’un corps est en train de pourrir sous les arbres... Il n’y a que pour l’être humain que cette situation semble paradoxale. C’est ce genre d’interrogations qui nous ont précisément intéressé, en faisant l’album.



Comment parvenez vous à créer le malaise malgré les couleurs lumineuses et le trait si vivant ?

Je crois que l’album crée le malaise précisément grâce au contraste entre la « joliesse » du dessin, ses couleurs vives, et la cruauté du propos. Là encore, c’est comme dans la vraie vie : une période dépressive ou un deuil sont souvent plus durs à supporter quant tout est beau et coloré autour de soi… Alors qu’à la limite, quand il pleut, on est raccord avec le monde !




Selon vous, aime t-on avoir peur, ou avons-nous peur d’aimer ce genre de contes ?

Je crois qu’on adore se faire peur, mais qu’on aime beaucoup moins être dégoûtés ou dérangés : ce ne sont pas tout à fait les même types de sentiment. Et sans doute que « Jolies Ténèbres » est plus dérangeant que terrifiant. D’où le rejet de certains lecteurs. Par contre, pour peu qu’on soit prêt à une expérience de lecture un peu déstabilisante, on peut adorer le livre, ce que nous ont prouvé d’autres lecteurs enthousiastes !




Si vous deviez faire découvrir la bande dessinée à un ami, laquelle lui offririez-vous ? Pourquoi ?

En ce moment, j’offrirais « Alpha... Directions » de Jens Harder, parce que c’est à la fois très beau, très intelligent et très facile d’accès : ça parle de la naissance de l’univers et de la création de la Terre et des premiers organismes vivants ! Un sujet qui peut toucher tout le monde, même en dehors des fans de BD. A mon avis, un chef d’œuvre, qui devrait logiquement être récompensé à Angoulême en 2010.


» lire aussi la Chronique de Jolies Ténèbres

Propos recueillis par Alexandra S. Choux