En fouillant son histoire, L'enfant maudit va fouiller des épisodes obscurs de l'Histoire de France. Et d'ailleurs, en même temps que Gabriel, le pays entier se remet en question. Car ce moment, c'est mai 68…
Arno Monin et Laurent Galandon, les auteurs de L’Envolée sauvage reviennent pour nous sur la création de leur nouveau récit.
Pourquoi vous attacher à cette période de l'après-guerre ?
Laurent Galandon : Je ne suis pas plus attaché à cette période qu’à une autre. Je suis par contre curieux de cicatrices mal refermées de notre Histoire contemporaine, de tous ces petits « moments » longtemps tus parce qu’honteux, d’où le titre de ce premier volet : Les tondues, en référence aux femmes rasées à la Libération parce qu’accusées de « collaboration horizontale », expression cynique pour dire qu’elles avaient eu des relations avec des soldats allemands.
Arno Monin : L’enfant maudit recouvre une large palette d’évènements du fait de sa « double narration ». Le présent de l’histoire est en 68, et les flashbacks s’étalent de l’occupation allemande durant la seconde guerre mondiale à 19=68. En illustrant ce projet j’étais certain de ne pas me lasser d’un contexte, si on ajoute à ça le grand nombre de personnages secondaires, conserver la fluidité et la clarté pour le lecteur c’était un peu un défi sur cette histoire me semble-t-il. Cela dit je n’ai d’affinité particulière avec aucun de ces thèmes, c’est d avantage la manière dont ces événements sont liés, la façon dont le thème est mené, c’est l’histoire personnelle de Gabriel qui me fascine, et m’a incité me lancer dans cette aventure. Je n’ai pas vraiment de thème de prédilection.
Vous évoquez souvent l’enfance blessée…
LG: Certes… Peut-être parce qu’à cette période de la vie, les difficultés sont-elles appréhendées de façon différente. Les questions et les blessures cachées n’apparaissent que plus tard. Et c’est quand on refuse de chercher des réponses où des explications que les difficultés naissent et s’ exacerbent, à l’instar de Gabriel, le héro de « L’Enfant Maudit ».
Comment travaillez-vous ensemble ?
LG: De manière assez classique. Alors qu’Arno dessinait le second volet de « L’envolée sauvage », j’avais commencé à lui parler de la trame de « L’enfant maudit ». Il a de suite émis un vif intérêt. Le scénario achevé je lui ai proposé. Et nous voilà reparti pour un nouveau diptyque. Il y a comme un « cousinage » entre ses deux séries. Sans être une suite « L’enfant Maudit » est néanmoins dans la continuité de « L’envolée sauvage », continuité temporelle, graphique (évidemment), de ton…
Ensuite je propose un découpage dialogué de l’album, une proposition de mise en scène qu’Arno s’approprie et « modèle » à sa guise. Il est vrai qu’avec presque 4 ans de collaboration, les choses sont assez simples aujourd’hui. A la seule lecture de ce document, Arno saisit mes intentions et parvient à les traduire avec fidélité et beaucoup de sensibilité. Après nous échangeons par mails et discussions téléphoniques, mais plus souvent pour affiner un détail ou simplement pour le plaisir de se parler que réellement pour soulever des problèmes !
A.M : Laurent m’envoie un découpage planche par planche, qui décrit pour chaque page une proposition de rythme, le nombre de cases, je lui demande plutôt d’y préciser toutes les infos qui lui semble utiles quitte à trier. Ça m’aide à sentir ses intentions. Pour chaque scène, chaque page, il y a une organisation à trouver pour mettre en valeur un temps plus fort que les autres, ou simplement plus important pour l’histoire… mettre en valeur un mot dans un dialogue par le rythme des plans et les cadrages. C’est une piste de travail.
L’écriture de Laurent à l’avantage d’être très claire et sobre. Il y a assez peu de dialogues finalement, l’image est en avant dans son écriture.
Est-ce une histoire vraie ?
LG: Absolument pas. L’histoire est totalement imaginée. Outre les références à Mai 68, certaines situations sont probablement inspirées de faits réels glanés au cours de mes recherches.
A partir de quoi vous êtes vous basés pour vos recherches ?
LG: Je démarre souvent une histoire à partir d’une « anecdote » entendue à la radio ou découvert au fil de mes lectures. Pour l’Enfant Maudit, même si cet aspect n’apparaît pas dans ce premier tome, il s’agit d’un livre (et d’un documentaire tourné à partir de cet ouvrage) abordant les exactions de certains Gi’s américains arrivés en Europe pendant la seconde guerre mondiale (La face cachée des Gi’s / J. Robert Lilly / Ed. Payot). Une première lecture va m’entraîner vers une autre et nourrir ma narration.
A.M : Je trouve toujours passionnant les moments d’immersion dans une époque. On se met a collectionner toutes sortes d’images, photos, films, … la musique même, pourquoi pas. Laurent me fait bien sûr parvenir ses sources, je note les références de livres qui l’ont inspiré, je ne les lis pas toujours (!!), pas mal de photos, je regarde les documentaires (« la face caché des GI’s ») et fais également mes propres recherches via Internet en très grande partie. Parmi les films qui m’ont été utiles je peux citer « the dreamers » de Bertolucci, bien que datant de 2003 il recrée parfaitement l’ambiance de ces années avec un bon nombre de détails à puiser à chaque plan. « Blow up » également d’Antonioni, sorti en 1966. Les années 60 sont riches et séduisantes visuellement, et si toutefois elles ne transparaissent pas suffisamment dans mon travail, c’est que j’ai beaucoup à apprendre sur le métier !
Si vous deviez offrir une BD à quelqu’un ?
LG: Il y en aurait probablement plusieurs ! Cependant dernièrement je ferais volontiers partager, « Lulu, une femme nue » d’Etienne Davodeau, album somptueux, plein de finesse, d’intelligence et d’une rare justesse de ton. J’en serais presque envieux ! :o)
A.M : Là tout de suite aujourd’hui ce serait un roman : « l'arpenteur » de Johann Charvel, parce que c’était vraiment un plaisir! Sans trop en dévoiler, c’est une histoire poétique, décalée et très réaliste à la fois. Ce roman ouvre une porte sur un univers parallèle au notre qui est celui des toits… Une sorte de désert du haut duquel on peut profiter d’une solitude tout en observant l’humanité. Une BD ? J’ai eu le plaisir de découvrir (il était temps, c'est sorti en 1992 je crois) « La nuit du chat » épisode de Broussaille dessiné par Frank Pé. Un livre simple et surréaliste qui peut sembler ne parler que de peu de choses et à la fois être prenant … voilà j’ai aimé.