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Ed Gein, le boucher de Plainfield

Entretien avec Dobbs

Propos recueillis par L. Cirade Interview 26/04/2009 à 20:14 5526 visiteurs
Dobbs et Alessandro Nespolino viennent de publier Ed Gein chez Soleil. Rencontre avec le scénariste.

Dans la section Remerciements, vous parlez d'une "thèse avortée" à propos d'Ed Gein : vous aviez un projet autre qu'un album de BD dans vos cartons ? On peut en déduire qu'il ne s'agit pas là d'une "commande" et que vous n'avez pas tiré ce personnage à la courte-paille. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Pour préciser mon « attrait » pour les tueurs en série, je remonterai à mes vertes années de fac où j’ai cumulé cursus en psychologie, sociologie et sciences criminelles pour réfléchir sur l’imaginaire généré par de tels « monstres »… Jean-Luc Istin, suite à un premier contact, m’a proposé de faire un test de découpage avec voix off pour sa collection Serial Killer et hop ! l’après midi même je commençais à réfléchir sur des biographies à réaliser… dont celle de Ed Gein. Quant aux autres projets non-bd sur le sujet, c’est vrai qu’un livre sur les tueurs au cinéma me permettrait de réutiliser pas mal de « matière » de ma défunte thèse…

Qu'est-ce qui vous a attiré dans ce personnage ? Le fait qu'il ait inspiré d'autres auteurs, notamment au cinéma, n'était-il pas une source de pression ?
Je tiens à dire que ce n’est pas une fascination morbide pour le sujet qui m’a conduit à ces ouvrages, juste un intérêt pour les époques, les contextes, les personnalités et les méthodes policières d’investigation. Ed Gein n’est pas le supercriminel que l’on voit dans trop de films sur les tueurs en série : intelligence très modeste, éducation et ambition limitées, nombre de victimes très peu élevées (au regard des autres…)… Les œuvres qu’il a pu susciter indirectement comme vous dîtes sont très éloignées de la biographie de l’homme : il s’agit plus de pistes de départ qui ont généré des films/livres radicaux, hors norme, très fantasmés (comme Psychose de Bloch). Donc pas de pression puisque mon but était la biographie en immersion. Il existe aussi quelques films purement biographiques sur Ed Gein et des documentaires plus ou moins argumentés, mais pas mal de libertés ont été prises sur le personnage. Je les ai analysés et j’ai écarté le superflu.

Avez-vous lu les trois autres titres de la collection Dossier Serial Killer ? Si oui, ont-ils eu une influence dans la façon de construire le vôtre ?
Tout à fait, lus et analysés aussi. Je ne voulais pas d’un travail avec plusieurs dessinateurs qui fragmenterait trop le récit, car pour moi le challenge c’était d’unir deux époques avec deux colorisations différentes mais surtout avec un même dessin. Donc gros remerciement à Elodie Jacquemoire qui a parfaitement géré cette attente de ma part. Un travail subtil qui permet de passer assez facilement de la jeunesse du journaliste (qui a connu Ed Gein lorsqu’il était petit) à une narration plus contemporaine avec le suivi d’un des derniers procès du « boucher de Plainfield ». Donc pour répondre à la question, ils ont eu une influence certaine car je voulais m’en détacher…

Comment avez-vous été amené à travailler avec Alessandro Nespolino ?
En fait il s’agit d’un mariage arrangé entre le directeur de collection, Jean Luc Istin, et l’agent d’Alessandro, Camilla Patruno. Finalement le courant est très bien passé, on a pu travailler en remarquable intelligence : il voyait très bien mes découpages cinématographiques et je matérialisais les planches rapidement avec son style volontairement old school. On a si bien collaboré que l’on a mis en place une série à nous dans la collection « Secrets du Vatican » chez Soleil.

Votre récit s'appuie manifestement sur une documentation rigoureuse : jusqu'où êtes-vous allés dans les indications que vous lui avez transmises ?
Pour moi la documentation est essentielle. On se doit d’avoir une crédibilité totale sur ce genre de narration, ce qui m’a poussé à me replonger dans mes notes, mes bouquins, ma banque de données iconographiques et les photos d’époques. Tout ceci pour travailler sur les décors, les personnages types, les vêtements. L’échange par mail a fonctionné pas mal et les pièces jointes ont été nombreuses. J’ai d’ailleurs mis au point une méthodologie sur ce scénario que j’ai reproduit ensuite sur les autres projets en écriture : je rajoute automatiquement un cahier iconographique après le mot de la « fin », ça aide tout le monde à la compréhension de l’histoire : pistes en colorimétrie, essais de cadrage, références réelles et filmiques… Pour ce qui est de la colorisation de l’album, j’ai pas mal échangé avec Elodie au moment où elle a commencé afin de mettre en place une charte par époque, pour aider à la lisibilité globale. Le lettrage final a permis aussi de donner une dernière touche de lisibilité entre voix off, commentaires et textes in.

Planche 30 case 4, le détail de la mouche qui souligne le calme inouï du tueur,
votre idée ou celle d'Alessandro ?

Je réponds par un petit montage pour que les lecteurs comprennent notre fonctionnement en binôme, avec Alessandro, sur ce type de découpage.

On aperçoit à plusieurs reprise le pulp d'EC Comics Crime SuspenStorie : le titre qu'offre Gein au gamin qu'il recroisera des années plus tard dans votre histoire est-il l'un des 27 qui ont été publiés ou l'une de vos créations ? Selon vos informations, Gein était lecteur de ce titre ou s'agit-il d'un clin d'œil qui établit une "transition" avec le style retenu par Alessandro Nespolino ?

Pour les puristes, il s’agit du fac-similé du numéro 22 en fait… Gein lisait des comics du style horror comics EC, ainsi que d’autres bouquins encore moins recommandables (sur les camps de la mort etc)… Alessandro aime aussi beaucoup les Horror comics, ça nous faisait un lien avec les personnages, et surtout ça permettait d’intégrer cette « culture populaire dérangeante » qui allait faire l’objet d’une censure importante aux USA (le Comics Code). Et moi la transgression, j’aime bien ça…

Il semblerait que Mary Hogan, comme Bernice Worden, ait été tuée d'une balle dans la tête. Dans l'album, l'impact semble se situer au niveau du thorax. Un mot pour votre défense ? (rires). N'est-ce pas un choix paradoxal pour quelqu'un qui cherche à conserver les têtes de ses victimes ?
Les têtes retrouvées chez lui viennent surtout de cadavres déterrés à plus ou moins long terme dans les cimetières du comté. Pas mal d’évolutions et de versions circulent sur la mise à mort des deux : avec fusil, revolver, dans la tête… Si j’avais travaillé spécifiquement au niveau psychanalytique/profilage/réel, il aurait certainement visé la tête et de face (vis-à-vis du visage de sa propre mère)… On a choisi une autre piste, mea culpa, mea maxima culpa. héhéhé

Vous vous concentrez sur les meurtres de ces deux femmes, solides figures de la femme de la campagne à une certaine époque et qui rappelle bien évidemment le profil de la mère adorée/haïe. Ce sont d'ailleurs les deux meurtres qui valurent à Gein d'être inculpés. Pourtant, outre les faits qu'il a commis sur des cadavres, on le suspecte d'autres meurtres, commis sur des femmes plus jeunes et sur des hommes aussi. Quarante-six pages, c'était trop peu ?
Beaucoup et peu en même temps : je ne voulais pas avoir un "+ de 50 pages" pour ne pas « lasser » les lecteurs, et il fallait aussi mettre un certain nombre d’informations factuelles pour la compréhension de l’histoire et du contexte. Le reste est en sous-texte dans le corps de l’album, ceux qui voudront approfondir auront les bases nécessaires je pense pour poursuivre leurs « investigations » sur ce sujet et les hypothèses annexes.

Après Ed Gein, Ted Bundy ! Vous visez le titre de Ze specialist of serial killers
?

Pas du tout ! Déjà à la fac, on me regardait de travers. Alors je ne vais pas « remettre le couvert » dans le domaine de la BD et me retrouver bombardé spécialiste du genre (j’ai commencé au Journal de Mickey tout de même hahahaha !).

Où en êtes-vous dans ce projet ?
Le projet Ted Bundy avance pas mal avec Alessandro Vitti qui avait déjà travaillé sur le Vampire de Sacramento, et qui a un autre style de dessin, plus agressif, plus anguleux. Il fera partie des prochaines sorties BD sur lesquelles je travaille en ce moment pour Soleil.

Quelques mots à propos de Welcome to Paradise (publié chez Carabas) ?
Il s’agit d’un polar prévu en plusieurs tomes que je scénarise et qui est dessiné par Simone Guglielmini. Une série dont le 1er tome vient aussi de sortir en avril… Un travail sur du thriller campagnard US à la limite de la frontière canadienne, et qui joue sur les stéréotypes que les connaisseurs reconnaitront surtout pour les aficionados de Red Rock West, U-Turn etc…
Un zoologiste un peu hors norme débarque dans ce bled perdu qu’est Paradise, une ville où tout le monde cache quelque chose et craint le maire maffieux. Une jeune femme flic débarque en même temps afin d’élucider plusieurs disparitions qui n’ont apparemment aucun lien les unes avec les autres…
Un cluedo mode redneck nord-étasunien… à peu de choses près.


Propos recueillis par L. Cirade