Ciro Tota : Mon intention première était de décompresser un peu en ne me consacrant qu’au dessin. Le scénario est tellement prenant qu’on y pense tout le temps. On vit avec, même en dormant. Aujourd’hui, je regrette un peu d’avoir laissé tomber l’écriture. D’abord parce que je n’ai pas l’impression de m’être reposé plus que ça. Ensuite c’est dur de s’y remettre, je ne suis plus sûr d’en être encore capable et surtout, ce ne serait pas très honnête vis à vis des Conquérants. Mais écrire un scénario et réaliser le dessin c’est prenant et passionnant.
Ce deuxième tome est une sorte de transfuge entre la SF et la fantasy, comment parvenez-vous à manier et mélanger les genres ?
En tant que dessinateur, je ne m’occupe principalement que du visuel : personnages, costumes, et décors. Pour les personnages je ne fais pas de différence dans la manière de les traiter ainsi que pour les costumes. La différence se porte sur le design des objets et des décors. En SF on pense fer, béton et verre et en fantasy on pense bois, terre et pierre. La difficulté pour les deux genres, qui ont des diversités de formes illimitées, est de garder pour chacune d’elles une unité visuelle. J’avoue que ce sont les décors qui me procurent le plus de difficultés. Parfois le résultat est différent de ce que j'avais imaginé au départ : je me dis : « Ciro, t’es vraiment nul… mais comme d’habitude, tu vas tirer quelque chose de ta nullité. »
Est-il difficile de s’approprier un univers qui existe déjà et a fortiori d’en créer la genèse ?
« S’approprier » n’est pas le terme exact. Je dirai plutôt « s’en servir ». Dans l’exemple des Conquérants je n’avais que la configuration de la ville d’Eckmül à prendre en compte et des trolls à rendre un peu plus primitifs. Pour le reste on fait confiance à ma… nullité.
Pourquoi cette couverture ?
C’est toute une histoire. Aussi bizarre que cela puisse paraître c’est le seul dessin dont je suis maître mais c’est aussi le seul dessin qui va m’échapper. La couverture est l’élément premier qui va attirer l’œil du lecteur ou du badaud qui passe. Elle ne doit pas seulement avoir un visuel artistique mais aussi commercial.Pour la couverture du tome 2 je m’étais donné un thème unique : « la belle et la bête » : Page Blanche et le Troll. J’ai proposé quatre roughs (brouillons) différents dont un a été retenu. J’évite d’avoir une préférence c’est le meilleur moyen d’être déçu. Arleston, l’éditeur et plein d’autres personnes donnent leur avis ; c’est là que le dessin m’échappe parce que je ne suis plus le seul à décider et parce que je comprends souvent leur choix… J’ai donc réalisé la couverture choisie par Soleil et l’histoire devrait s’arrêter là. Mais voilà que je réalise un de mes quatre roughs pour l’édition Belge et voilà que Soleil trouve la couverture belge meilleure. Donc la couverture belge devient la couverture française… Vous me suivez ? Au final, j’ai réalisé une troisième couverture avec le troisième rough pour l’édition spéciale Album pour la France et voilà que l’éditeur belge la trouve meilleure que la belge. Bon, je sais que vous êtes perdus, mais il ne fallait pas me poser la question. Au final le rough restant, j’en ai fait une belle affiche « Page blanche et les 7 trolls » et c’est mon illustration préférée .
Avez-vous des « tics » en dessin ? Des détails qui reviennent ?
Je pense en avoir pas mal. Mais j’essaie de varier un maximum la narration, les cadrages, l’expression des personnages et le traité de l’encrage. J’avoue qu’il y a une limite à mes capacités naturelles de dessinateur. Je n’ai honte d’aucun de mes dessins. Dans un album de 46 pages et de plus de 500 cases il y a tout au plus 5, 6 ou 7 cases dont je suis moyennement satisfait mais je ne pouvais pas faire mieux au moment où je les ai dessinées.
En BD, le dessinateur est souvent à la fois acteur et metteur en scène du scénario. D'où son rôle prépondérant dans la création. Comment se passe le processus de création ? Comment s’approprie-t-on le travail d’un autre ? Vous avez les images en tête et vous vous adaptez au texte ou est ce l’inverse ?
Difficile de répondre pour le processus de création. Ma volonté première est de respecter l’idée que veut faire passer le scénariste. Ses mots couchés sur une feuille de papier font naître des images encore floues dans ma tête. Elles commencent à prendre forme sous un rough rapide. Elle se matérialisent ensuite dans le storyboard auquel j’ajoute la narration visuelle et enfin je finalise tout ça par le crayonné et puis l’encrage. Tout au long du processus je soumets mes étapes au scénariste. Je tiens compte de ses remarques et il tient compte de mes propositions visuelles. En temps que dessinateur je ne considère pas un album comme un travail personnel . C’est le travail d’une équipe de trois personnes : le scénariste, le dessinateur et le coloriste qu’on oublie un peu trop souvent : Arleston apporte l’histoire que je transforme en images noir et blanc et Lamirand ajoute la couleur.
Si vous deviez faire découvrir la bande dessinée à un ami, laquelle lui offririez-vous ?
Un Astérix pour un ami à qui je veux du bien.