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Introduction à la casologie

Jérôme Briot Casologie 21/03/2009 à 13:15 3311 visiteurs
En février 1984, dans le numéro 56 des Cahiers de la bande dessinée (premier numéro dont la rédaction en chef fut confiée à Thierry Groensteen), une rubrique de Pierre Sterckx intitulée «Cases mémorables» se proposait de lister et de commenter quelques vignettes particulières, propices à hanter la mémoire du lecteur. C’est un peu cette démarche, que nous nous apprêtons, vingt-cing ans après, à reproduire, dans une nouvelle rubrique.

Baptisée casologie, elle consistera, comme son nom l’indique, à proposer un discours sur la bande dessinée. Ce discours pourra être élaboré ou futile, sérieux ou dérisoire, nous verrons ! Etudes de composition, pinaillages à la manière de Nicolas Pothier dans BoDoï, divagations, critiques, commentaires savants ou potaches, clins d’œil… tout est possible, à condition de partir d'une case (occasionnellement d'un strip ou d'une planche). Mais commençons par quelques exemples, pour mieux préciser l’intention.

L’archétype de la vignette qui force l’admiration, c’est la scène de fuite des berbères dans Le crabe aux pinces d’or. La vignette a été abondamment commentée par Pierre Assouline dans sa biographie d’Hergé, et Hergé ne dissimulait pas sa satisfaction en évoquant cette composition. Rappelons le contexte : des brigands berbères mettent en péril Tintin et le Capitaine. Alors que leur situation est quasi désespérée, Haddock, à moitié ivre et rendu furieux par un tireur ennemi qui s’en était pris à ses bouteilles, s'élance à l'assaut des pillards en vociférant une bordée de ces jurons qui font sa signature. En apparence, cela effraie les Berbères qui prennent la fuite devant cet assaut téméraire.


Extrait du Crabe aux pinces d'or - © Hergé / Moulinsart



Ladite fuite est montrée en une seule et unique case, grâce à la juxtaposition de différents personnages, qui semblent décomposer un même mouvement : un premier Berbère est encore couché à terre, le second accroupi commence à se relever, le troisième s'apprête à s'enfuir, les autres courent déjà. La débandade est ainsi évoquée de façon particulièrement économique et avec la plus grande fluidité puisque le mouvement est organisé dans le sens de lecture (de gauche à droite chez nous autres occidentaux). Un dessinateur moins versé dans l’art de l’ellipse aurait peut-être consacré un strip entier à cette scène, ce qui aurait pu nuire au rythme et, partant, à l’humour de la scène. Nous sommes ici en présence d’une case mémorable, au sens de Sterckx, c'est-à-dire admirable.


A l'inverse, certaines vignettes frappent la mémoire ou l'imagination par leur caractère fâcheux. Au lieu d'ouvrir ou de magnifier le récit, elles tendent à l'appauvrir, par le détail-qui-tue qu'elles contiennent. On parlera, à leur sujet, de cases critiques.

Ainsi, l'heureux lecteur qui découvre La marque jaune pour la première fois, trouve un des plus beaux thrillers du 9e Art. A la veille de Noël, Londres est troublé par de mystérieux incidents qui laissent Scotland Yard en pleine déroute. Le suspense, hélas, est quelque peu gâché par Jacobs lui-même, à cause d'une grimace.


La marque Jaune - © Blake & Mortimer


Dans cette vignette, en totale contradiction graphique avec son style habituel réaliste et légèrement guindé (so British), Jacobs donne à Septimus (légitimement bouleversé en apprenant la disparition de son ami) une bouche de fou furieux, absurde et caricaturale. Quelle erreur ! A cause de cette vignette, le lecteur nourrit les plus vifs soupçons envers ce personnage dès la page 13. La gêne disparaît lors des relectures (puisque tout suspense est alors évaporé), mais le rictus de Septimus reste toujours déplorable et contrariant.


Il existe toutes sortes de cases qui méritent un arrêt sur image, pour leur puissance évocatrice, pour leur efficacité narrative...

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contact : jerome.briot[at]bdgest.com


Jérôme Briot