Est-ce enivrant ou effrayant d’être seul aux commandes d’un album ?
Karim Friha : Enivrant ! Enfin ... Disons que c'est une joyeuse panique ! Avec "le Réveil du Zelphire", c'est un rêve d'enfance qui se réalise. Je lis et dessine des BDs depuis mon plus jeune âge, et j'ai toujours voulu créer mes personnages et leur faire vivre des aventures. Lorsque Joann Sfar m'a proposé de faire un "Bayou", j'ai évidemment été très heureux. C'est un honneur pour moi d'être publié dans cette collection, aux côtés de Joann Sfar, Gipi, Edmond Baudoin, Clément Oubrerie et les autres !
On note diverses influences dans cette BD : Dickens, le roman feuilleton du XIXe siècle, la fantasy. Qu’est ce qui vous inspire réellement ?
Le XIXe siècle est une période qui me passionne. Je me plonge régulièrement dans les écrits et les oeuvres de cette époque. Avant l'écriture de l'album, j'avais lu Choses vues de Victor Hugo, et j'avais l'impression d'y être : ça m'a aidé à bâtir le contexte, avec les débuts de la République, les coups d'Etat et les insurrections. Dickens m'a beaucoup inspiré pour les orphelins et les enfants victimes des adultes et de leur société. Parfois on me dit qu'il y a un petit côté " Steampunk". Je revendique surtout l'influence de Jules Verne et de ses incroyables inventions. Le Professeur Wernes est inspiré en partie de Alexandre de Humboldt, le célèbre explorateur allemand, dont les récits de voyage sont captivants !
Et graphiquement ?
Parmi les peintres et illustrateurs, je peux citer Goya, Gustave Doré, Manet, Arthur Rackham... Tim Burton a créé un univers, lui-même inspiré de l'Expressionnisme, qui m’a fortement influencé. A 12 ans j’ ai vu Batman returns au cinéma. J’étais émerveillé, collé au siège, bouche bée, les yeux grands ouverts... Pour la mise en scène, je voulais retrouver l’esprit de certains films des années 80, qui ont bercé mon enfance : Retour vers le futur, Indiana Jones… La génération de Joe Dante, Robert Zemeckis et les autres produits par Spielberg ont réalisé des films d’aventure au rythme soutenu, pleins d’humour, d’action, et parfois cruels !
Comme tous les dessinateurs, mon dessin a évolué au fil du temps. Quand j’étais plus jeune, je dévorais tous les classiques franco-belges, avec une prédilection pour Astérix et Gaston Lagaffe. Ado, j’ai lu beaucoup de comics et de mangas, et je garde un très bon souvenir de Dragon Ball, mais celui qui m’ a le plus marqué reste Gunnm. Tous cela se ressent dans mon style : dans un article, il était dit que mon dessin est "métissé", et ça m'a beaucoup plu !
Est-ce un album jeunesse ou plutôt pour adultes ? La violence est relativement présente mais le traitement graphique est assez sage : pas de flaque de sang, coups de feu cartoon...
Karim Friha : C'est vrai que quand je racontais l'histoire à des amis, ils me répondaient que c'était très sombre ! Mais mon dessin désamorce la noirceur du récit, et la violence n'est jamais gratuite ou mise en valeur. C'est un récit d'aventure avec des gentils, des méchants, des cascades et des amours contrariées... Les fables et les contes que tout le monde connait sont assez cruels à l'origine. Lors des séances de dédicaces, la majorité des lecteurs sont des ados- adultes, mais souvent, des enfants viennent me voir. Ils s'attachent aux personnages, peut-être parce que le récit retourne souvent à l'enfance des protagonistes pour comprendre ce qui leur est arrivé. C'est l'occasion pour moi de traiter des peurs enfantines que l'on a tous ressenties.
Pourquoi ce choix de couverture ?
Karim Friha : Pour la couverture, je voulais assumer le côté "Super-héros", suggérer l'affrontement de personnages aux pouvoirs étranges sur les toits de la ville, dans des postures assez iconiques.
Vous abordez le thème du droit à la différence, c’est un sujet délicat…
Karim Friha : Oui, j'en reviens à Tim Burton : c'est surtout par les thèmes qu'il aborde que son oeuvre m'attire !La différence, le rejet... ses personnages sont inadaptés au monde qui les entoure, et les monstres ne sont pas ceux que l'on croit. Mes personnages sont différents, mais cette différence a été créée par un choc ou un traumatisme dans leur enfance, à cause de ceux qui les entourent. Leur esprit a été blessé et leur corps a réagi, comme pour se défendre. C'est une sorte de psychosomatisation à l'extrême ! Dans l'album, une interprétation un peu mystique nomme cela "le réveil du Zelphire ". Et comme souvent, lorsque l'on ne comprend pas quelque chose ou que l'on en a peur, on le rejette, on le nie ou on le chasse.
Si vous deviez faire découvrir la bande dessinée à un ami, laquelle lui offririez-vous ?
Karim Friha : ça dépend de l'ami, mais certainement un Calvin and Hobbes ! Je les relis avec le même plaisir à chaque fois !
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