BDGest' : Comment vous est venue l'idée de Lou ! ?
Julien Neel : Lou, c'est venu de plusieurs choses. Avant de faire cet album, je travaillais beaucoup sur le Net, j'avais un site où je mettais diverses choses, des jeux, des illustrations, des animations ... Et Jean-Claude Cavano, qui est le directeur de collection de Tcho! a repéré ça et m'a proposé de travailler avec lui. Donc j'ai travaillé pendant un an à peu près pour le magazine, c'est à dire que je faisais des strips, des jeux comme toujours les nouveaux dans Tcho!, et au bout d'un moment il m'a demandé si j'avais une idée de série à lui proposer. Donc je lui ai montré une page qui doit être la page 3 ou 4 de l'album, sans avoir trop d'idée d'où j'allais. Je savais juste que je voulais un univers assez chaleureux et assez féminin. Il a accepté, et à partir de là j'ai continué à faire des pages, l'univers s'est étoffé au fur et à mesure. Et ça continue, c'est fait à la fois au jour le jour mais en même temps j'ai une idée de plus en plus précise de l'univers et de la série dans sa globalité. Je conçois vraiment Lou! comme une série avec un début et une fin, je vois la finalité et l'orientation que ça va prendre.
BDG : Donc Lou n'est pas une nièce, une voisine, votre fille...?
JN : Non. Enfin, tous les personnages de Lou! sont très autobiographiques, dans chacun il y a un peu de moi, un peu de ma femme. C'est une façon de mélanger nos histoires passées et notre histoire présente, puisque maintenant je suis papa d'une petite fille de quatre ans et demi, qui n'est pas Lou. Si j'ai choisi un personnage féminin c'est parce que je venais d'apprendre que j'allais être papa.
D'un autre côté, je voulais un personnage féminin pour enfants qui soit un petit peu valorisant, parce que j'avais l'impression que ça n'existe pas vraiment dans la BD. Ca s'est construit comme ça, et ce qui est amusant c'est que la série et ma fille ont à peu près le même âge, donc tout ça évolue en même temps que ma relation de père avec elle ou que ma relation avec mes parents, avec ma femme...
BDG : La série a assez vite eu du succès, et pas uniquement auprès des enfats. Aviez-vous une cible pré-établie ?
JN : L'album est paru chez Tcho!, mais avant de le publier dans cette collection je me suis posé la question de savoir si c'était ce langage là que je souhaitais parler, parce qu'on a très vite tendance à assimiler Tcho! à Titeuf. Et puis j'ai fini par m'affranchir de ça, je veux faire une BD très accessible, et ma toute première cible est ma femme, qui lit très peu de bande dessinée. Si ça la fait rire, si ça la touche, si ça l'émeut, c'est que c'est réussi. Bien sûr, je pense toujours en travaillant qu'il va y avoir de jeunes lecteurs, mais ce n'est pas l'unique public auquel je pense. En plus, le fait que le personnage grandisse va permettre de ne pas forcément cibler toujours les enfants, mais d'évoluer. De plus, énormément de femmes, de mère, se retrouvent dans les personnages de Lou et de sa maman. Cependant, ce n'est pas spécifiquement une BD de filles, il y a aussi beaucoup de garçon qui la lisent, même s'ils ont été d'abord rebutés par la couverture rose bonbon du t1. J'essaye de ne pas trop me soucier d'une cible, ce n'est pas du marketing ...
Ma motivation était aussi de montrer aux enfants une héroïne valorisante, de leur dire "soyez créatifs", éfaites quelque chose de votre vie", "affranchissez vous des modèles", je voulais faire quelque chose de positifs dans lequel les petites filles pouvaient s"identifier et voir qu'elles pouvaient en faire autant que les garçons, parce que l'un de mes chevaux de bataille est aussi la place réservée encore aujourd'hui à la femme dans nos sociétés, où on estime toujours qu'elle est moins capable, même si ça a beaucoup évolué.
BDG : Lou n'est pas un super héros, c'est une petite fille comme les autres, en gros.
JN : Voilà, il n'y a pas de happy end, j'essaye de faire des planches qui ressemblent à la vie, des fois c'est rigolo, des fois c'est triste, il n'y a pas forcément de morale ou de Deus ex Machina qui va faire que tout va bien se terminer.
BDG : Un tome trois est en gestation, qui paraîtra au printemps prochain. Tu as déjà un nombre de tomes prévus ?
JN : Ah oui oui, je veux la faire grandir, devenir adolescente, franchir le cap de la puberté, de la découverte de la sensualité... Cette prise de risque m'intéresse : pour l'instant, la série marche bien parce que c'est une petite fille et que c'est tout rose, mais je m'ennuierai à faire dix volumes comme ça, et je trouve ça plus intéressant pour les petites filles, qu'elles aient une héroïne qui grandissent éventuellement avec elle je trouve ça chouette. J'ai beaucoup plus d'influences cinéma et télé que bande dessinée, et enfant j'étais très fan du shojo manga (Candy, Princesse Sarah), je trouvais que ces personnages qui grandissaient et qui évoluaient était beaucoup plus intéressant.
BDG : Tu as des projets pour l'avenir ?
JN : j'ai un autre projet en cours, chez un autre éditeur, dans la nouvelle collection de Joann Sfar chez Gallimard. C'est parti d'une histoire publiée il y a deux ans dans l'Express, qui avait fait une opération BD pendant l'été. J'avais fait une histoire sur mon papa, qui avait beaucoup plus à Joann. J'ai accumulé sur ce projet énormément de matériel, de notes, c'est encore une histoire de famille, mais moins autobiographique, et surtout moins sécurisant que Lou! qui se déroule dans un cocon que j'ai voulu au maximum.
Et puis le tome 3 de Lou! au printemps prochain, qui s'appellera Le cimetière des autobus et qui sera beaucoup plus urbain que Mortebouse.