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Je mourrai pas gibier

Relecture d'Alfred

Alexandra.S. Choux News 28/01/2009 à 14:36 6680 visiteurs
Alfred a le style à la fois délicat et prosaïque. Il aime le vide, pour le confort de respiration qu'il offre. Il ne s'intéresse pas à la chute, mais au basculement.Je mourrai pas gibier est de ces albums "coup de poing" à lire absolument.


Pourquoi avoir repris le roman de Guillaume Guéraud ? Qu’est-ce qui vous a marqué dans ce livre, et que vous avez voulu retranscrire ?
Alfred : Mon envie d’adapter ce roman vient d’une raison très simple : quand je l’ai lu, je me le suis purement et simplement pris en pleine gueule. Un texte fort qui m’a retourné. Quand, quelques mois après sa lecture, je me suis aperçu que je continuais à y penser et à le ruminer, le besoin de m’y frotter était devenu une évidence. Ce texte devenait entêtant. C’est un roman très court mais d’une force incroyable. Dés le début, en le lisant, j’avais des sons, des images, des odeurs qui me montaient en tête, c’était extrêmement présent. Il se trouve que je connais Guillaume Guéraud. J’ai fini par lui demander si je pouvais adapter son roman. Il a dit oui.
L’une des choses qui m’a le plus marqué, c’est cette violence intrinsèque et omniprésente, dans l’histoire bien entendu mais aussi dans l’écriture. Dans ce roman tout est violent : le contexte social, les rapports physiques, l’aspect psychologique… Le lecteur est malmené.

L’analapse également ?
Alfred : Oui, c’est une sorte de compte à rebours. Dés le début du livre on sait où on va. Il n’y a pas vraiment de suspense puisqu’on sait tout depuis le début. Malgré cela, G. Guéraud parvient à créer une tension quasi assourdissante. C’est ce que j’ai ressenti en tant que lecteur : une sorte d’acouphène qui devient de plus en plus présent.

Comment vous êtes-vous approprié l’histoire ?
Alfred : Par le dessin, bien sûr. Pour ça, il m’a fallu trouver un équilibre instable entre le respect du texte et la désacralisation de ce dernier.

Est-ce une réécriture ?
Alfred : Non, les textes sont respectés quand ils sont là. J’ai réaménagé des choses pour pouvoir donner une place au dessin, mais je n’ai pas changé les phrases originelles.

Y a-t-il eu une relecture par l’auteur du roman ?
Alfred : Non, il ne l’a pas souhaité. Quand il m’a donné son accord il m’a dit qu’il avait déjà raconté cette histoire et qu’il ne souhaitait pas le faire une seconde fois. Je devais m’en débrouiller. C’est exactement ce dont j’avais besoin. Je voulais être seul face à ce récit, pour trouver comment rendre, avec le dessin, les coups que j’avais pris en tant que lecteur.
Je n’aurais pas aimé que l’auteur soit à côté de moi et me dise : «...Surtout n’oublie pas ce détail, fais attention à ceci... » Cela aurait été à l’encontre de ce que je voulais faire avec ce livre. Rendre ce que j’avais reçu, le faire le moins possible avec ma tête et le plus possible avec mon ventre. J’ai respecté le texte pour ne pas avoir à y réfléchir. Je voulais qu’il y ait le moins de temps possible entre le ventre, la main et le papier, que le cerveau intervienne le moins possible pour laisser toute la place au ressenti.

Combien de temps a-t-il fallu pour réaliser ce livre ?
Alfred : Le temps de travail a été assez rapide, trois ou quatre mois. Je voulais qu’il y ait le moins de contraintes possible. Techniquement, je ne voulais être ennuyé par aucun outil dit « noble ». Pas de beau papier, pas d’encre, pas de pinceau. Juste un stylo bille et du mauvais papier.

A la lecture de Je mourrai pas gibier, j’ai pensé au film Elephant de Gus Van Sant, comme transposé dans la France profonde...
Alfred : Je crois que G. Guéraud avait l'actualité de l'époque à l'esprit, quand il a écrit son livre. Il a voulu en faire une réflexion sur un fait divers de ce genre chez nous, dans le patelin d’à côté.

Les couleurs pèsent sur l’histoire…
Alfred : Nous avons beaucoup discuté, Henri Meunier et moi. Il a fait un travail incroyable. Il a essayé de fonctionner de manière instinctive et de ne pas faire de couleurs « réelles » mais « affectives ». Ces couleurs sont sourdes et légères pour ne pas étouffer le trait. C’est un très beau boulot. Henri répond à mes images et ne se contente pas de redonder. Il ne vient pas seulement appuyer le sens d’une image, mais il lui apporte une lecture supplémentaire. Henri est un raconteur.

Pourquoi vous intéressez-vous à l’enfance blessée ?
Alfred : Le fait que, depuis quelques livres, je m’oriente vers ce genre de sujets relève quasiment du hasard (mais peut-être qu’au final ça n’en est pas un). Ce n’est pas prémédité. Je me rends compte avec le recul que depuis quelque temps, mes intentions prennent cette direction. Dans Pourquoi j’ai tué Pierre ou avec mon travail sur Paroles sans papiers, je suis sur ces terrains là. Peut-être que devenir adulte me donne un minimum de recul sur la période de la vie qu’est l’enfance. Encore que…
Non, je crois que ce qui me fascine, c’est de creuser ces blessures de l’enfance qui sont souvent à l’origine d’une partie de ce que l’on devient pour toute sa vie. Ces égratignures qu’on se fait gamin et qui marquent jusqu'à l'âge adulte… peut-être. C’est surtout le fait de travailler sur l’humain qui guide mon travail en ce moment.
Dans Je mourrai pas gibier, le personnage principal est fascinant et effrayant. C’est celui que l’on a croisé des tas de fois. Cette histoire fait écho à des choses laides en nous : on est presque soulagé de le voir tirer avec cette carabine, qu’il l’ait fait à notre place. Il y a quelque chose de lâche de notre part à préférer le voir faire, lui. Ca nous évite d’avoir à le faire et ça nous permet de rester « spectateur ». C’est un des aspects qui m’a intéressé : le personnage principal fait quelque chose d’effroyable, de coupable, d’absolument pas discutable et pourtant…
Il y a un équilibre très fragile, dernière frontière entre l’humanité et la bestialité. Est-on le chasseur ou le gibier ? Les deux ?...



Si vous deviez faire découvrir la bande dessinée à un ami, laquelle lui offririez-vous ?
Alfred : « Le petit cirque » de Fred est celle qui m’a fait découvrir la bd. A l’époque j’étais gamin et j’avais adoré être trimballé comme ça… ce serait sans doute cet album, ou alors l’un de ceux de Gipi, Blain, Frédérik Peeters ou de mon copain Pedrosa. Mais il y a tellement de livres à mettre dans les mains de quelqu’un qui n’y connaît rien. Trop dur de répondre à cette question par une seule réponse….



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Alexandra.S. Choux

Information sur l'album

Je mourrai pas gibier

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