Comment est née l’idée de la collection Métamorphose?
D'une envie... Et d'un manque concernant une certaine thématique dans le monde du livre, surtout dans la BD.
Dans le paysage bédéphile actuel, il n'existe aucune collection similaire en fait. Pourtant, tout ce dont elle regorge se retrouve au cinéma, dans la mode, dans les jeux vidéo, dans la musique... Pour prendre deux exemples, Harry Potter de J.K Rowling ou Coraline de Neil Gaiman ont d’ailleurs été adaptés au cinéma.
Mon parcours, mes origines artistiques et culturelles (j'ai fait des études classiques à l'Université d'Architecture), ma curiosité pour un certain genre d'ouvrages anglo-saxons, que je collectionne, tout ceci m'a incitée à créer un espace où tous ces éléments pouvaient être réinterprétés avec un certain esprit actuel. Un univers à la fois un peu antique, ancestral, métaphysique. Et fantastique, bien évidemment. Un monde où l'on peut rêver, où l'on peut retomber en enfance. Métamorphose n'est pas une collection qui se contente de parler de monstres ou de fantômes. Elle parle de la vie, mais aussi de la mort. Elle propose ainsi des clefs philosophiques. Qui sommes-nous ? Quelles sont nos peurs ancestrales ? Que dissimule notre for intérieur ?
La métamorphose, c'est nous, en tant qu'êtres vivants. C'est un sujet très vaste et très intéressant. Les livres de cette collection proposent une réflexion, un rêve qui, s'il est parfois effrayant, n'en demeure pas moins fascinant.
C’est un projet d’éditeur ou un projet personnel ?
A l’origine de ce projet, il y a une personne : moi, et moi toute seule ! Je ne pourrai jamais prendre une commande de qui que ce soit, même de mon éditeur, étant donné que je ne me fie qu'à mon expérience personnelle. Mon parcours artistique et mes choix personnels sont pour moi des valeurs sûres, qui n'appartiennent qu'à moi et à personne d'autre.
Qui a choisi le titre ?
Là encore, moi.
Quelle est votre motivation en tant que directrice de collection ?
Une motivation très simple et banale : avoir de beaux livres à lire, qui respecteraient un certain "goût" antique un peu perdu ces dernières décennies. Des livres avec une maquette et un packaging innovant et qui pourraient devenir "tendance". Un format libre, choisi à chaque fois par l'auteur afin qu'il se sente parfaitement en harmonie avec sa série.
Des livres où il y aurait une liberté absolue concernant la narration, du roman graphique au livre jeunesse, jusqu'à la BD classique ou au manga ! Vous pourrez voir tout ceci à partir de 2010.
Avoir aujourd'hui un livre comme Billy Brouillard entre les mains, savoir que des gens ont pris du plaisir à le lire, voir tous ces retours positifs, me dire que j'ai contribué à tout ça, que c'est en partie grâce à moi...Voilà bien le moteur qui m'incite à continuer le travail de directrice de collection.
Quel sera l’esprit, la couleur, de cette collection ?
Noire ! Pour le moment, en tout cas. La première communication presse que nous avons faite était placée sous l'influence du style Victorien mais, par la suite, nous nous attaquerons à toutes les couleurs de la nature ! Là, la référence esthétique est celle de ces anciennes affiches de cirques américains, comme le Barnum et toutes ces images où apparaissaient souvent les freaks de l'époque. Je suis une fan de l’Elephant man de D.Lynch et de la série télé Carnivàle (NDLR : La caravane de l’étrange sur nos écrans).
Chaque fois, cela changera, car chaque projet est bien différent. Aujourd'hui, l'esprit qui domine s’illustre avec les couleurs noire, grise, marron… Dans le ton des photos "ambrotype" ou des mourning de l'époque Edwardienne. C’est simplement lié au fait que les premiers projets Métamorphose parlent de la mort.
Mais attention, pas dans le sens "gothique-basique" du terme. Moi-même, je réalise en ce moment une nouvelle série, End, où le personnage principal n'est autre que la Mort incarnée. Non pas par fascination morbide, mais simplement par désir de vouloir exalter la vie. De nos jours, la mort est un sujet tabou et je trouve que c'est vraiment dommage pour la société.
Je voulais aborder cette thématique de différentes manières, selon différents points de vue, et le premier ouvrage, Billy Brouillard, s'y attache de façon didactique et très intelligente.
Même les enfants peuvent s'amuser en le lisant, tout en se posant de vraies questions sur notre devenir, sur le pourquoi de la mort et le comment des choses. Et également sur la fragilité de la nature, comme de nous-mêmes en tant qu'êtres vivants.
La mort est un fait important, voire primordial pour un être humain. Un rendez-vous assuré pour chacun d'entre nous. Un sujet universel, une chose naturelle, comme l'est la naissance :
inéluctable et nécessaire pour la continuation de la vie.
Exalter la mort, ce n'est pas "être gothique" à mon sens. Arrêtons d'appliquer de stupides étiquettes à un certain type de culture. Ma collection donc n'est pas gothique. En tout cas, je ne la considère pas comme telle. Ce serait réducteur, ce n'est pas la raison pour laquelle elle a été créée. Ce n'est pas Emily the strange. J'aimerais que Métamorphose soit le plus éloigné possible de cette icône vide et superflue. J'aimerais ne pas m'arrêter aux premiers stades du genre qui se contentent généralement d’aligner de grosses banalités. Je voudrais appréhender les choses à d'autres niveaux, voire au-delà des référentiels traditionnels de notre culture qui trop souvent nous aveuglent et nous mettent des œillères. C'est ce que je m'efforce de faire avec cette collection.
Comment sont sélectionnés les auteurs et les projets ?
Je cherche des artistes qui ont, en partie du moins, un univers similaire au mien, un parcours, un bagage culturel qui nous lie. D'ailleurs, ce n'est pas un hasard si je suis amie ou si je suis devenue amie avec tous les auteurs avec lesquels je travaille. Nous faisons de nombreux repas ensemble, nous nous amusons, discutons, échangeons, parlons de tous les sujets, des problèmes sociaux à l'Art !
Je me suis beaucoup enrichie ces deux dernières années grâce à ces nouveaux contacts. C’est vraiment une communauté où l'on se soutient les uns les autres. Et c'est ce qui sera la force de la collection.
Je suis admirative de tous les projets et des auteurs qui ont signé. Je fonctionne au coup de cœur. Pour certains, comme par exemple Manuel Arenas ou Lionel Richerand, je les ai contactés tout simplement via leur blog.
Concernant Manuel, ça a été une réelle bonne surprise, étant donné qu'il avait déjà reçu trois propositions de trois grandes maisons d'édition. Il était même sur le point de signer avec l'une d'entre elle ! Nous avons beaucoup discuté de nos centres d'intérêt, et nous sommes devenus amis. Son choix a finalement été de signer pour la collection Métamorphose. J'en suis très heureuse. Pour moi, c'est un grand succès car son choix n’est pas lié à un motif d'ordre financier, ni orienté par un quelconque système de pression, chose courante chez de nombreux éditeurs.
Tout est né d'une envie de créer quelque chose ensemble. D'être amis, d'échanger et d'ouvrir des portes afin de commencer une belle aventure. En ce qui concerne les autres, comme Benjamin Lacombe, Bruno Enna, Rigano ou Ausonia, je les connaissais déjà de longue date.
Pouvez-vous nous expliquer en quoi consiste le travail de directrice de collection ?
C'est un travail qu'il m'était facile d'imaginer, mais que je ne connaissais pas dans le détail. Et j'en ai appris les ficelles ces deux dernières années grâce à Clotilde Vu et de nombreuses personnes chez Soleil. Clotilde est co-directrice de la collection. Elle est par ailleurs éditrice.
J'ai toujours été moitié artiste, moitié éditrice. J’ai conçu de nombreux projets, tel que Witch notamment chez Walt Disney Company. Puis sont venus Sky Doll et Monster allergy. Idées, dessins, couleurs, concepts, toutes ces choses naissent dans ma petite tête. Ma position et ma fonction dans les différents projets auxquels j’ai collaboré n'ont pas toujours été bien comprises. Mais depuis quelques années maintenant, je pense que certains ont finalement admis que j'étais auteur à 100%, que je ne suis pas seulement ou la coloriste, ou la scénariste. De ce point de vue, je dois beaucoup à mon blog.
On dit que je suis une femme très « communicative ». Passer de l'autre côté du miroir éditorial était donc un passage obligé ! Je suis une curieuse née. Si vous me croisez dans la rue, je serai la seule à avoir la tête en l'air, en train de tout scruter : du ciel aux édifices, les personnes, leurs tenues, leurs comportements, rien ne m'échappe ! Je suis une grande observatrice, c'est ainsi que j'emmagasine des idées. Chaque jour.
J'étudie aussi beaucoup via internet. Une véritable chercheuse de nouvelles images, de choses différentes.
J'ai découvert que le rôle de directrice de collection me plaisait, il m'amuse beaucoup et me donne de grandes satisfactions.
Les débuts n'ont pas été faciles. Il faut composer avec les coûts de fabrication des livres, les réunions de représentants, les distributeurs, etc. Ça m'a pris beaucoup de mon temps ces deux dernières années. Beaucoup trop, si je dois être sincère. Mais désormais, la machine est lancée et volera un peu plus de ses propres ailes.
Ma collection ne prévoit pas des projets réalisés en 6 mois, rapides et commerciaux, construits juste pour vendre. Je ne peux plus travailler ainsi. Les projets Métamorphose sont longs et complexes à réaliser, car ils sont pensés, digérés encore et encore par les auteurs et par nous-mêmes. Ils sont riches graphiquement et beaucoup plus coûteux pour l'éditeur en termes de qualité de fabrication et d'impression. Mais c'est justement ce qui fait la force de ces livres. Ils devront trouver leur place au milieu d'une majorité d'ouvrages qui aujourd'hui n'ont pour moi aucun intérêt, que ce soit au niveau scénaristique ou graphique, car ils sont juste nés dans l’idée de faire de l'argent à court terme. Je voulais faire absolument le contraire. De plus, je sais qu'il existe un large public pour ce genre de livres. Et je n'exclus pas qu'un livre de la collection puisse devenir un livre culte et un succès commercial. L’objectif, c’est de faire des livres qui durent dans le temps, à lire et à relire à différentes époques de notre vie. De père en fils.
Soleil a une image et un esprit très "fantasy". Pour créer Métamorphose, Mourad Boudjellal m'a fait pleinement confiance. Je profite de l’occasion pour le remercier une fois de plus. Je lui dois beaucoup, même si, je dois bien l'avouer, il n'est pas tous les jours facile de travailler avec lui. Mais pour moi aujourd'hui, il est un ami et un précieux conseiller, riche d'une incroyable expérience. J'ai une grande confiance en lui, et je sais que c'est réciproque. Toutes ces raisons font que je me sens pleinement "Soleil" aujourd'hui. J'ai mon espace au sein de la boîte, et il y a vraiment beaucoup de personnes en interne sur qui compter. Et ce n'est pas rien, croyez-moi.
Comment conciliez-vous cette tâche avec votre travail d’auteur ?
C'est difficile. Je réussis à peine aujourd'hui à me remettre au travail sur mes projets personnels. Il y a trois ans, j'ai également créé un label international pour Soleil concernant le Lowbrow art (NDLR : assimilé à la catégorie Pop surréaliste, ce mouvement underground est né dans les années 70 à Los Angeles, et s'inspire notamment de l'iconographie des comics, de la musique punk, du street-art et du manga). C’est une chose infiniment plus complexe à gérer que la collection Métamorphose. Ce label a pour nom Venusdea, mais je vous en parlerai une autre fois, vu qu'il me faudrait alors un entretien entier pour le présenter !
Je me suis donc fixée des règles de travail que je m'efforce de respecter tant bien que mal en répartissant mes heures entre le travail d’édition et le travail d'auteur. Parfois, je coupe le téléphone et internet pour n'avoir aucune tentation et me plonger dans mes histoires.
Billy Brouillard est le premier album Métamorphose à être disponible en librairie. Comment s’est fait ce choix ?
C'était simplement le projet le plus avancé. Il était également le plus original et le plus complexe. J'aime les défis et je voulais commencer par le plus difficile à réaliser ! Et j'avais raison puisque ça a très bien marché : il a été accueilli avec ferveur par la critique et le premier tirage était épuisé trois jours après sa sortie. Moi-même, en tant qu'auteur, je n'ai jamais reçu autant d'éloges, surtout venant de l'extérieur du microcosme Soleil ! Une vraie réussite, pour l'auteur, pour Soleil et, à titre personnel, pour moi-même.
Pouvez-vous nous présenter en quelques mots les prochains titres et nous indiquer les dates de parutions ?
Je ne peux pas encore vous donner les dates précises de sortie, étant donné que le planning définitif de 2009 sera décidé fin janvier. Aucun nouveau titre ne sortira avant mai 2009 mais avant l'été et jusqu'à Noël, de nombreux livres verront le jour. Il y aura Yaxin the faun de Manuel Arenas (son blog). Un livre sur Les Nouvelles d’Edgar Allan Poe de Benjamin Lacombe (voir ses merveilles). End, mon projet personnel, réalisé avec Anna Merli (le blog de Barbara). Et enfin, Eco signé par J.Almanza et G.Bianco.
Suivront ensuite le livre de Lionel Richerand , La maison de la Nuit de Rigano et Enna qui est un projet très « Harry Potter », Doranine de Matteo De Longis , le projet manga le plus fou, Internu de Ausonia, un super roman graphique de 300 pages, et un autre roman graphique ayant pour thème la métamorphose signé par le grand Marco Corona , un auteur trop méconnu en France qui travaille avec Coconino Press et qui est le grand lauréat de l'Angoulême italien cette année.
Nous sommes également en train de mettre au point des contrats pour de très grands auteurs français, mais je ne peux vous en dire plus pour le moment.