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Je me souviens, de Zeina Abirached

Beyrouth, 1984

Alexandra. S. Choux (et Jérôme Briot aux manettes) News 20/01/2009 à 13:24 7908 visiteurs
Après [Beyrouth] Catharsis, 38 rue Youssef Semaani et le très remarqué Mourir partir revenir - Le jeu des hirondelles, le quatrième roman graphique de Zeina Abirached aux éditions Cambourakis revient une fois encore sur ses souvenirs du Liban, au travers d'un jeu formel emprunté à Georges Perec...

Pourquoi avoir repris le procédé de Georges Perec pour cet album?
Zeina Abirached: Perec est un auteur que j’adore. Dans mon livre « 38, rue Youssef Semaani », je raconte la vie d’un immeuble et je reprends également le procédé de « La vie mode d’emploi ». Il se trouve que je ne l’avais pas lu. Après coup, puisque on me l’avait fait remarqué, je me suis mise à lire tout Perec, systématiquement. Récemment j’ai relu « Je me souviens », à la fin de l’ouvrage, il y a des pages blanches laissées à la demande de l’auteur pour que le lecteur, à son tour, puisse finir le livre en quelque sorte avec ses « je me souviens » à lui.
Je me suis prise au jeu et très vite, je n’ai plus eu assez de place. L’idée de faire un livre s’est imposée. C’était pour moi un biais mais en même temps c’était totalement cohérent avec le reste de mes albums.

Qu'est ce qui vous pousse à toujours revenir sur Beyrouth?
Ce qui est sûr c’est que j’ai commencé mon travail de mémoire en arrivant en France. A partir du moment où j’ai eu une distance géographique et émotionnelle, j’ai pu poser mon regard sur mon enfance, la guerre et ce que j’avais vécu.
Mais je ne maitrise pas tout, la première fois, que je me suis mise à raconter mes souvenirs j’ai été prise d’une sorte d’urgence. Je me suis souvenue de l’existence d’un mur qui barrait la rue dans laquelle j’avais grandi et à partir de ce moment là, tous mes souvenirs sont remontés à la surface ; je me suis trouvée complètement submergée !
Il fallait que je commence ce travail de mémoire sur cette période de ma vie.

C’est une sorte de psychanalyse ?
Je suis assez méfiante vis-à-vis de ce terme car il me semble que si psychanalyse il y a, elle a eu lieu en amont de mes albums et mes albums en sont la résultante.
Je retourne assez souvent au Liban et ces allers-retours me nourrissent, ce double regard me permet la distanciation nécessaire pour raconter.
Je travaillais sur un autre sujet quand une idée est venue parasiter ce travail, c’est de cette urgence dont je parlais. Je dessine pour préserver ce qui est en train de disparaître. Beyrouth est une ville qui change si vite…

Vous travaillez à partir de vos souvenirs ?
En premier lieu, il ya le souvenir très précis puis une phase de recherche. Bien entendu il y a une différence, parfois énorme, entre la perception de l’enfance et celle de l’adulte mais je tenais à garder quand même celle de l’enfant que j’étais. Donc on peut parler d’un travail à double niveau.

Quel a été l’accueil de votre famille et plus largement des Libanais ?
Mes parents l’ont su très rapidement (pour le jeu des hirondelles), grâce au fameux reportage dans lequel on voit ma grand-mère. C’était un peu la mémoire de notre famille qui était là, c’était très émouvant. D’une manière générale, ils ont été assez émus, enthousiastes.
Les amis, les voisins également (ils sont dessinés dans mes livres !) mais aussi les lecteurs libanais. Je m’en suis rendue compte lors des séances de dédicaces à Beyrouth.
Ce public est assez inattendu d’ailleurs parce que nos habitudes de lecture en matière de bd restent encore assez classiques. Au Liban, quand on pense bd, on pense bd franco-belge.
Les Libanais n’ont pas l’habitude du roman graphique et c’était émouvant de voir des personnes qui ne s’intéressent pas à la bd s’y intéresser justement parce que cette histoire, c’est aussi la leur.
Bien que ça soit mon histoire, je ne donne qu’une information spatio-temporelle : 1984 et Beyrouth –est, aussi, il me semble que beaucoup de personnes ont pu s’y retrouver

N'avez vous pas envie de vous confronter à d'autres thèmes?
SI ! J’ai plusieurs propositions de collaboration mais pour l’instant, il n’y a rien de concret. Sinon, à chaque fois que je finis un livre sur Beyrouth, je me dis : « voilà c’est le dernier, on tourne la page ». Mais comme je le disais plus haut, c’est une partie de moi que je ne maitrise pas.
Actuellement, j’ai en projet un one-shot , toujours à Beyrouth, mais ce n’est pas autobiographique ! C’est l’histoire d’un personnage qui a existé, qui a eu une vie intéressante dans le domaine de la musique, c’est pas mal inspiré de la vie de mon grand père mais on s’éloigne quand même de moi. J’en suis encore au début, donc je ne tiens pas encore le fil mais ce n’est pas pendant la guerre. C’est un premier pas vers autre chose.

Est ce que « Persepolis » a ouvert un certain genre?
Cet album a certainement ouvert des voies, c’est indéniable. Le noir et blanc, le roman graphique. Ce qui est bien, c’est que Persepolis a contribué à amener des gens à la bd. On me parle souvent de Marjane Satrapi parce que je suis une femme, que je fais un travail sur le noir & blanc, mais j’ai été plus influencé par David B. par exemple.

Comment avez-vous été repérée ?
C’est une drôle d’histoire. Lorsque j’étais encore au Liban, j’avais envoyé des avant-projets à des maisons d’édition. J’avais collectionné les refus. Avec le recul, je me rends compte que ce que je proposais n’était pas encore abouti. Je suis ensuite arrivée en France pour un stage d’été. Pendant cette période, je fréquentais la librairie dans laquelle travaillais ma cousine. Il y avait une section BD et je discutais souvent avec le libraire qui s’en occupait, je lui montrais mon travail. Lui, de son côté, me parlait de son projet de monter une maison d’édition... C’était donc Frédéric Cambourakis.
Quand je suis arrivée en France, il y a 4 ans pour faire mes études et en parallèle chercher un éditeur, il m'a appelée pour me dire que sa maison était montée. C’est vraiment une histoire de rencontre.

Comment travaillez-vous ?
Par étapes : j’écris, je découpe, je crayonne, j’encre, puis je scanne les planches et je continue sous photoshop. Ca dépend des livres, pour les deux premiers c’était juste encre et papier, mais à partir du « jeu des hirondelles », j’ai commencé à utiliser l’ordinateur. J’essaie de m’adapter à la narration. Mais à chaque livre j’ai l’impression de tout réapprendre.

Combien de temps pour cet album ?
Celui-ci ? C’est particulier… 40 jours ! Quand je vous parlais d’urgence !




Si vous deviez faire découvrir une bd à un ami, laquelle lui offririez-vous?
C’est une question difficile.
Celle que j’ai sans doute le plus offerte c’est « Ici même » de Forest et Tardi. Cette bd a beaucoup compté pour moi. Le scénario est génial et le trait de Tardi en noir et blanc est superbe. C’est une des premières bd qui m’a donné envie de raconter des histoires.

Alexandra. S. Choux (et Jérôme Briot aux manettes)

Information sur l'album

Je me souviens, Beyrouth

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