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L'histoire qu'ils racontent est la leur, celle d'une amitié indéfectible, renforcée autant par les bons souvenirs en commun, que par les différentes épreuves que la vie leur a fait subir.
Unis en amitié et désormais en littérature, les deux scénaristes ont choisi de répondre d'une seule et indissociable voix à nos questions.
- Se lancer dans un projet autobiographique est une vraie prise de risque. Quelles sont les raisons qui poussent à coucher sur le papier une telle histoire ? Y avait-il urgence ? Est-ce une façon de tourner une page ?
Kris et Eric T. : Vraie prise de risque oui. Mais surtout pour Eric car, même si le chapitre 2 abordera un épisode également très douloureux pour Kris, l’essentiel du récit est focalisé sur le passé individuel et familial extrêmement difficile d’Eric. Ceci dit, si on
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Quant aux raisons profondes qui poussent à « commettre » cet acte… En surface, on peut dire qu’il y a pas mal d’égocentrisme et un peu de générosité. Et qu’au fond, c’est exactement l’inverse ! Il y avait cette volonté tout égoïste de laisser une trace de ce que nous avions vécu durant cette période, quelque part de l’inscrire dans le marbre, pour nous, nos gamins, nos compagnes et amis très proches. Mais surtout, encore plus avec le recul, nous estimions que notre histoire était à même de parler à tous ceux qui avaient eu un(e) vrai(e) ami(e) pour la vie et de leur donner confiance en cette amitié. L’expression « copain d’enfance » est très répandue mais on n’utilise jamais « copain d’adulte » ! Comme si une amitié profonde était impossible à vivre ou à faire perdurer une fois que les fameuses « contingences » de cette vie adulte se sont mises en marche. Or, de notre côté, à 35 ans et deux gamins chacun, après vingt ans d’amitié ininterrompue et de multiples expériences professionnelles et amoureuses (enfin multiples, un peu
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Ces rêves communs, c’est l’ultime motivation de ce livre : vivre ensemble une aventure de plus, dans la longue lignée de celles déjà vécues et d’autres qui restent à parcourir. Un livre, ça n’a jamais été quelque chose de banal, pour aucun de nous deux, même si, de par nos parcours si différents, nous n’avons évidemment pas eu le même rapport à la lecture et à l’écriture. Ecrire un livre à 4 mains, vivre sa publication et la vie qui va avec, c’était quelque chose qui ne pouvait être que fort et intéressant à expérimenter, du début à la fin. Quand on se retourne, notamment sur le passé d’Eric qui a tout de même arrêté l’école à seize ans et sans le moindre diplôme, ce livre est en soi un truc formidable dont on savoure chaque instant : la signature du contrat lors du festival de Saint Malo après une rencontre à quatre avec Sébastien Gnaedig (directeur éditorial de Futuropolis) et Nicoby, le premier festival d’Angoulême d’Eric en janvier dernier où il a été extraordinairement bien accueilli par toute l’équipe Futuro, auteurs compris, les premiers retours de lecture qui ont été terriblement émouvants, les premières dédicaces, etc. Sincèrement, nous avons beaucoup rêvé notre vie future, rêves souvent réalisés à force d’abnégation. Mais celui-là, je ne sais pas si nous avons été capables de le fantasmer aussi bien…
- Entre l'idée et le début de l'écriture du scénario, par quelles étapes êtes-vous passées ?
L’idée de faire ce livre est née il y a presque dix ans désormais. A la rentrée 1998, nous avons réalisé un autre de nos vieux rêves : habiter ensemble, avec nos compagnes, vivre l’expérience et l’idéal communautaire en quelque sorte. Le premier fils d’Eric était né un an auparavant. L’Atelier des Violons Dingues, association des jeunes auteurs de BD brestois présidée par Kris, était en plein
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Et bing patatras… C’est l’inverse qui s’est produit. Ça a fait replonger Eric dans ses humeurs noires. C’était encore trop frais. Et surtout, Eric était encore loin de pouvoir réellement croire en son avenir. Le chômage et l’absence de perspectives intéressantes lui sont devenus plus pesants au fur et à mesure des mois. Ce n’était pas le bon moment et on a laissé tomber.
La reprise du projet s’est faite quand Kris a quitté son travail de libraire en 2004 pour se lancer définitivement dans la « carrière » de scénariste. Cela faisait trois ans que nous travaillions ensemble dans la même librairie. Trois ans à prendre un pied pas possible au quotidien. C’était de nouveau une rupture mais cette fois plus heureuse, de nouveau un élan vers de nouveaux rêves à concrétiser et surtout Eric avait cette fois un avenir bien plus assuré. On s’y est remis tranquillement, à notre rythme. Kris savait qu’un tel récit pouvait intéresser Sébastien Gnaedig avec qui il commençait tout juste à travailler autour de « Un homme est mort » et « Coupures irlandaises » entre autres. Mais on savait que l’écueil du dessinateur serait délicat à passer. Qui allait bien avoir envie de dessiner l’autobiographie d’un autre ?! Depuis, il y a eu un précédent avec « Pourquoi j’ai tué Pierre » d’Alfred et Olivier Ka (d’ailleurs, si on peut en profiter pour dire tout l’amour et l’admiration qu’on porte à cet album…). Mais à l’époque, ce n’était pas gagné. Du coup, nous n’avons pas vraiment cherché le co-auteur idéal au départ. Nous nous sommes contentés de l’écriture, de petits bouts de scènes, de longues discussions à évoquer ce que nous pensions raconter, à « triper » sur ce que pourrait être ce livre et l’aventure que serait sa réalisation puis sa sortie. Bref, comme pour tout le reste, nous l’avons d’abord rêvé sous toutes ses coutures avant de concrètement lever le petit doigt…
- Concrètement, comment s'est effectué le travail d'écriture à quatre mains ?
Le plus souvent en voiture… Sans rire, il a été extrêmement divers et chaotique. Basiquement, l’un d’entre nous écrivait une scène et l’autre la suivante, sous la
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Au retour, le lendemain, on couchait tout ce qui s’était dit sur papier, sous forme de notes, et toute l’architecture du récit volait de nouveau en éclats… Bref, ça a été un enfer pour Nicoby qui, à la fin, ne cherchait même plus à savoir quel était le N° de page qu’il devait dessiner ! Il priait juste pour savoir que nous, au moins, nous sachions où nous en étions… Si le lecteur trouve que le rythme du récit est correct, qu’il sache donc que c’est un petit miracle…
- Est-ce plus facile de livrer des histoires qui relèvent de l'intime ? Est-il plus facile lorsqu'on les raconte à deux ?
C’est terriblement difficile… Au départ, on a confiance car on est persuadé que ce qui a été très important pour vous peut évidemment l’être aussi pour les autres. Puis, au fur et à mesure de l’écriture, on perd toute notion de recul. Nous étions persuadés au final que nous n’arrivions pas à décoller de l’anecdote et qu’il serait très difficile pour des inconnus de s’investir dans notre récit. Pour être francs, et totalement sincères, à la fin, nous étions sûrs d’avoir raté le bouquin. Et là oui, c’est sans doute plus facile d’être à deux : Comme nous avons envisagé l’exil sur une île déserte, on avait trouvé des prix pour les voyages en couple…
Bref, blague à part, l’accueil du livre a été une très bonne surprise, vu nos états d’âme respectifs dans les semaines ayant précédé la sortie. Désormais, nous avons décidé de tirer un trait, à la fois sur notre propre jugement mais aussi sur celui des lecteurs. Nous avons compris que nous sommes incapables de juger notre propre histoire et nous refusons d’essayer de comprendre ce qui peut plaire à ceux qui ont aimé le livre, tant que nous n’avons pas fini l’écriture. Nous écrivons le deuxième chapitre comme le premier : en profitant de ce travail pour avoir une excuse pour de longues virées nocturnes, prendre du plaisir à évoquer ces moments passés, faire le point, envisager ce qui va suivre, etc. La seule différence, c’est que Nicoby nous connaît désormais mieux et qu’il commence à tomber dans le piège de notre amitié ! En tombant sur lui, et en se choisissant mutuellement, nous avons eu, humainement, beaucoup de chance, je crois…
- Comment s'est fait le choix de Nicoby pour illustrer cet album et pour quelles raisons ?
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- Nicoby confiait que son travail avait été facilité par le fait qu'il découvrait l'histoire au fur et à mesure, sans avoir idée de sa progression et de sa conclusion. Vous pouvez nous éclairer sur cette "stratégie" ?
La volonté dès le départ était d’écrire quasiment en « improvisation », de laisser une scène en amener une autre, un souvenir remonter à la surface et entraînant dans son sillage d’autres souvenirs. L’idée était aussi de rebondir sur ce qu’avait écrit l’autre, à partir de la scène qu’il avait choisi d’évoquer. En fait, le « concept »
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Et c’était une très mauvaise idée…
Du moins l’a-t-on cru pendant longtemps. Dès que nous avons dépassé les 40-50 premières pages, on s’est dit que le rythme du récit était techniquement en-dessous de tout : on restait des pages entières sur de menus détails, nous obligeant parfois à passer très vite sur des choses que nous estimions au contraire importantes. On avait du mal à sortir de la « voix off » pour aller vers plus d’action en « direct ». Nous trouvions que l’histoire mettait 80 pages à démarrer, etc, etc. Bref, si ça avait été une fiction, jamais nous ne l’aurions écrite ainsi ! Et ça nous a valu vraiment des sueurs froides car, une fois bien lancé, c’est trop tard pour tout changer ! Comme dit précédemment, nous avons pas mal remodelé le récit par endroits au fur et à mesure de l’écriture mais on ne pouvait pas demander à Nicoby de recommencer tout à zéro ! Et pourtant, l’idée nous a effleuré plus d’une fois…
Et puis l’album est sorti. Les premiers retours de lecture sont arrivés. Et même si ceux qui ne l’ont pas aimé sont rarement ceux qui vous écrivent, on s’est rendu compte que finalement, contre toute attente, cette idée de départ n’était peut-être pas si mauvaise que ça. Et, qu’au moins auprès de certains, ça marchait exactement comme nous l’espérions. Du coup, nous restons sur le même principe sur le T2. En espérant juste connaître moins d’angoisses… Mais une fois de plus, l’accueil du livre nous a donné une certaine confiance (toute relative malgré tout) et pour l’instant, cette écriture du chapitre suivant se fait moins dans la douleur.
- Comment un éditeur réagit-il face à un tel projet ? Compte-tenu du nombre de page et du genre, voir le livre publié par Futuropolis paraît une évidence. Mais d'autres maisons se sont-elles penchées sur le berceau du projet ?
Quand il s’appelle Sébastien Gnaedig, l’éditeur dit oui forcément… Blague à part, nous étions loin d’être confiants. Kris avait raconté le projet à Sébastien il y a déjà un moment. Puis, lors d’une visite à Futuro, il a montré les pages d’essai de Nicoby. Enfin, au festival de Saint-Malo 2006, Sébastien a rencontré le trio au complet et 45 mn plus tard, le contrat était conclu. Il n’y avait pourtant pas une seule ligne d’écrite à part les pages d’essai ! Même nous, en tant qu’auteurs, on se disait qu’il était un peu gonflé quand même… Et, mine de rien, ça nous a mis encore plus de pression car on ne voulait vraiment pas le décevoir. Ceci dit, ça montre
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- Un tel album ne laisse pas indifférent. Quelles sont les réactions des proches d'une part et les retours du public d'autre part ?
Pas vraiment indifférentes, effectivement. C’est venu très vite, dès le lendemain de la sortie. Nous ne l’avions fait lire à personne en entier auparavant. Certains
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- Quels sont vos projets en cours ou à venir, dans la mesure où il est possible d'en parler ?
Ensemble, on ne sait pas. A la base, Eric devait juste écrire ces deux albums, c’est tout. Mais à force, on s’attache, hein… Nous prenons vraiment beaucoup de plaisir dans ce travail commun. Du coup, on se dit que, même en sortant de notre propre histoire, nous pouvons aller vers des récits de fiction qui mettraient en scène des choses, des personnages, des sentiments qui nous sont chers. Ce ne serait pas du Kris ou du Eric T., ce serait du Kris et Eric T. On l’envisage, sans se presser, écrire un autre récit de la même façon, tous les deux ou trois ans, tant que ça nous fait vivre de belles choses. Nous commençons même à avoir pas mal d’idées (et même des titres !). Mais il est trop tôt encore pour dire quoi que ce soit de plus. Si ce n’est qu’il y a de fortes chances qu’il y ait deux personnages principaux !
- Si vous deviez faire découvrir la bande dessinée à un ami, laquelle lui offririez-vous ?
Ha ça, ça dépend de l’ami ! On n’en pas deux pareils ! Mais, il y aurait le choix…
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