Litost est une de ces aventures que notre esprit réclame, c’est un peu comme une de ces promenades pendant un long dimanche de grisaille. Le choix du noir et blanc était évident ?
Domas : Je visualise généralement mes BD en noir et blanc quand je les fais. Parfois une envie de couleur me vient pour une illustration, voire une page, mais globalement ma sensibilité va vers le noir et blanc. Je pense être avant tout un dessinateur, voire, pour Litost, un compositeur. Du coup j’essaie de dire au plus juste ce que je ressens, et souvent cette expression n’avait besoin que d’une composition de dessin, de page, et du sens que je voulais donner à l’ensemble. La couleur ne s’imposait pas dans l’expression. Pour autant, j’avais envisagé de faire des essais de couleur. J’ai d’abord commencé avec une seule couleur, le rouge, puis plusieurs.
Au final, c’est mon éditeur, Vincent Henry, qui m’a orienté sur cette sobriété. Lui était partant pour le noir et blanc, voire la bichromie, et j’ai trouvé dans cet ajout modéré de rouges une raison. C'est pourquoi la BD a été faite en bichromie. Mais il est vrai que je ressens cet ouvrage comme une BD en noir et blanc, la couleur y reste très anecdotique.
Il y a dans cet album, plusieurs niveaux de lecture, c’est ce que vous aviez envisagé ?
Oui… Dès le départ, je savais que, même si je voulais m’utiliser pour raconter ces pages, je ne voulais pas raconter MON histoire. Pour autant, je voulais raconter une histoire. J’ai donc pris le parti de ne pas raconter, mais de suggérer. Décrire un état pour suggérer la cause de cet état. Et là, d’office, un deuxième degré se met : c’est au lecteur de raconter son histoire.
A cela s’ajoute l’intention d’en dire plus que ce qui est raconté. En parlant d’une chose, je parle en fait de cette chose et/ou aussi d’une autre. En parlant d’amour, je parle de mort, et vice versa. En utilisant le noir et blanc, je parle de l’absence de couleur. En utilisant des références, des codes et des clichés, je prolonge mon histoire, mais toujours en fonctions des connaissance du lecteur. Je ne voulais pas perdre le lecteur dans des clins d’oeils inaccessibles pour lui, en fonction de ses connaissances culturelles et sociales. Je voulais plonger le lecteur en lui-même, comme je me suis plongé en moi pour écrire ce récit. Ne connaissant pas mon lecteur, je devais donc faire appel à un second degré…
Pourquoi l’amour n’apporte t-il pas cette légèreté au personnage principal ?
En fait, le personnage principal est dans un état où l’amour n’a plus sa place, soit parce que l’amour l’a prise entièrement, soit parce que l’amour l’a fuit définitivement. Du coup, ce personnage est dans une autre quête. Il ne cherche pas l’amour, il cherche la légèreté. Il cherche une raison de vivre, qui ne soit pas grave, et il la trouve dans la Beauté. C’est dans la renonciation de la quête de l’amour, même si parfois il y re-cède, qu’il trouve cette légèreté… Et la possibilité, ensuite, de revenir à l’amour.
Quelle est la part autobiographique de cet album ?
Je dirais tout... et rien ! Je raconte les pensées d’un seul personnages, isolé. Si ces pensées n’étaient pas les miennes, cela se sentirait je suppose, et ce ne serait pas crédible. De surcroît, le fait de le faire évoluer dans des lieux que je fréquente réellement accentue ce coté autobio… Mais tout le monde marche, tout le monde a des cuites, tout le monde a peur de vivre, et envie de mourir, ou l’inverse… Dire que ce personnage n’est que moi serait donc faux. Et de fait, ce n’est plus une autobio, tout au plus une biographie… Disons la biographie de Domas, qui est un pseudo.
Quant au récit central, cette histoire de rupture, au moment sublime où l’on pressent la cassure et on accentue la tension, disons que ce qui me distingue de l’autobiographie, c’est ce que je ne raconte pas. Au final, que sait-on de moi, ou des quelques autres personnages qui composent le récit ? Que des faits. Ces faits sont essentiellement autobiographiques, mais communs à tous. Mon autobiographie devient donc ici le support de la vie des autres…
Quels sont vos projets ?
Au niveau personnel, je prépare un autre album avec La Boite à Bulles, une suite involontaire à LITOST, nettement plus autobio et narrative. J’essaie aussi de rencontrer des scénaristes susceptibles d’être intéressés par le style graphique de Litost, et de me proposer des histoires me permettant de continuer dans cette expression. J’aime assez l’idée de mettre en forme le scénario d’un autre, je ne me sens pas spécialement scénariste (d’où mon refuge dans la pseudo-autobio, qui ne demande pas de talent de scénariste, juste de narrateur).
Si vous deviez faire découvrir la bande dessinée à un ami, laquelle lui offririez-vous ?
Ca dépend de ses goûts… mais de but en blanc, je dirais Les baleines publiques, le premier de la série des Broussaille, par Frank et Bom, aux éditions Dupuis. J'aime les trois premiers albums de Broussaille. Il y a un
côté très poétique, allié à un dessin magnifique, des situations réelles décalées, en tout cas dans le premier, dans un cadre très onirique. J'aime la manière avec laquelle Frank fait exister ses personnages, même secondaires, et ses lieux. Ce n'est pas à proprement parler un album qui utilise la forme BD, comme peut le faire Marc-Antoine Mathieu dans L'Origine, mais c'est une utilisation du média BD de manière fine, poétique, et aboutie... Et si je veux faire découvrir la BD à un ami, il faudra d'abord que je le séduise pour le fond, avant de le séduire avec la forme.
Pour en savoir plus...
Domas dispose de deux blogs perso, et participe à un troisième :
- domas.over-blog.com (blog de ses différents travaux)
- domasjourapresjour.over-blog.com (blog intime, avec des dessins issus de son journal intime en BD, tenu depuis 2000)
- zarmatelier.over-blog.com (blog du Zarmatelier, l’atelier marseillais de dessinateurs où il travaille, avec B. BESSADI, R. DI MARTINO, T. ALLARD, E. HENNINOT, E. VACCARO, C. BALOUP)