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Objectif : Lune d'argent sur Providence

Alexandra.S. Choux News 01/06/2008 à 23:52 2630 visiteurs
La belle Cathy, toujours armée de son revolver à balles d'argent, continue à chercher un livre mystique, ultime ouvrage aux pouvoirs fabuleux qui pourrait être à l'origine de la folie satanique qui peu à peu s'étend sur la petite ville. Si vous vous perdez dans la forêt de Providence, bénissez le ciel d'être seule... sinon, fuyez ! Porté par un graphisme d'exception et un sens inné de la mise en scène, Eric Hérenguel répond à nos questions, à l'occasion de la publication du tome 2 de Lune d'argent sur Providence, conclusion de cette série très inspirée des westerns en technicolor de la grande époque hollywoodienne, teintée d’une (grosse) pincée de fantastique.



Cathy est une des rares héroïnes de BD a avoir un vrai rôle de « héros », mais qui reste « femme ». C’est un choix délibéré ?

Eric Hérenguel : Oui, c'est même un choix avec un regard d'homme. On est forcément intrigué par les femmes quand on est homme, aussi, mon regard sur la femme passe par la création d'une héroïne.
J'ai tenu à lui donner un caractère et des qualités qui soient propres à la féminité du rôle. Elle n'utilise que très peu la force d'opposition, par exemple. Lors de l'inhumation de la petite fille, elle s'oppose arme au poing à Dixon, mais cela reste rare dans mon récit. Au fond elle n'est pas là pour jouer au "mec" avec des seins comme souvent en BD.
J'ai aimé jouer sur des petits détails comme le sac à main qu'elle transporte durant le premier tome, ou la séquence du bal ou elle retrouve pleinement sa place de "dame". Ce que j'aime le plus chez les femmes, c'est cette incroyable capacité à s'adapter au terrain. Sur tous les niveaux sociaux, la femme égale l'homme... que ce soit une sœur a Calcutta aidant les pauvres ou un pilote de ligne en passant par une femme soldat en Irak. Elles nous égalent en tous points... même les pires ! (rires) Avec en plus cette force de donner naissance à des enfants. Une femme qui fait des conneries de son vivant sera sûrement réincarnée en homme !


Le tome 1 laissait entrevoir un univers magique et surnaturel, dans le tome 2, nous voyageons de plain pied entre réel et irréel, c’est dense et pourtant tout le monde s’y retrouve. Comment avez-vous réussi à apporter de la fluidité au récit ?

Le surnaturel est une notion intimement lié à notre vision culturelle. J'ai joué sur la peur inconsciente que la forêt provoque chez les hommes. L'homme est sorti des forêts pour créer la ville ; dés lors, le retour à ce milieu provoque immanquablement deux sentiments. La perte des repères originaux et la peur d'en être devenu totalement étranger. Dans Lune d'argent, dès que je veux remettre une dose de panique, je l'inscris au cœur de la forêt. ... et c'est pour cela que les monstres n'entrent jamais dans la ville.
J'ai tenté de respecté cet équilibre sur les deux tomes car j'avais en souvenir le film Jurassic park. Je me suis rappelé que tant que les dinosaures sont dans la forêt vierge, ils m'inspirent de la peur. Une fois ramenés en ville, les séquences de destruction de maisons, voitures et autres fastfood sont jouissives mais jamais aussi inquiétantes que la trace de cinq raptors dans la brousse.
Du coté "ville" je pouvais développer la partie humaine et les ressentiments de chacun. Mon pari était de développer les duos : le révérend et Dixon, Cathy et le shérif, Melvin et le poète Larkin... et donc par transfert, d'isoler encore plus l'indien Ironcloud.


Cet opus fait appel à des références mystiques et ésotériques, comment procédez-vous pour vos recherches ?

Je fonctionne sur les constantes dans l'histoire ésotérique des hommes. Depuis les premiers écrits sur la vie après la mort, on retrouve la notion d'ange de séphirat ou de gardien. Les religions s'opposent souvent sur leur dieux mais rarement sur le "passage" vers une autre forme d'existence.
L'homme est sujet à s'inquiéter de son devenir après la vie. La définition médicale de la mort est l'absence de vie. C'est une vérité de La Palisse, pourtant elle contient à elle seule une approche du problème. Prenons un arbre, qui est une matière vivante... vous en faites un morceau de bois, puis un meuble. L'absence de vie en tant qu'arbre est avérée, pourtant l'objet meuble existe. L'absence de vie ne signifie donc pas l'absence d'existence. Se pose alors une autre notion qui est l'existence. Je décide alors de brûler le meuble... il n'existe plus qu'en cendres et fumée. Suis-je un magicien pour autant ? Ai-je le don de faire disparaître l'existence, ou ai-je seulement modifié un état physique ? On retrouve là le distinguo entre vivant et existant incarné par la vie ou figé.
Mon exemple sert à justifier une notion essentielle, celle de la perception. Nous ne percevons pas le monde du vivant dans son ensemble, comme nous ne percevons de l'arbre vivant que la partie émergée du sol et non les racines. Mes recherches procèdent de la même façon en ouvrant les portes qui se révèlent à moi.
Le mathématicien Pascal considérait qu'en augmentant le rayon de la connaissance on augmente d'autant la sphère des inconnues. Je n'ai pas de réponse personnellement acceptable sur l'existence, j'en suis désolé... la faute à Dieu !


Les couleurs sont un élément important de ces albums, comment envisagez vous l’ambiance que vous allez donner à une scène ?

J'utilise la couleur en deux temps. Une première phase de mise en couleur classique, réalisée à la main sur papier, puis une mise en contraste sur ordinateur pour augmenter un effet de lumière, un contre-jour ou une ombre. Par exemple, les scènes de nuit sont toutes peintes à la main en ambiance "jour", puis je filtre par un effet de bleu sur ordinateur pour retrouver les ambiances des films des années soixante avec leur "nuit américaine".


La fin pourrait être multiple. C’est un choix ?

La fin ne ferme pas l'existence des protagonistes et j'aime bien l'idée d'accompagner le lecteur vers la sortie en les laissant imaginer ce que les personnages pourront vivre. Le principe de l'épilogue est très agréable car il n'oblige pas le lecteur à rester sur une fin verrouillée mais bien à lui laisser entrevoir autre choses.
Moi ce qui m’intéresserait, c’est de savoir ce que découvre Dixon de l’autre coté de la porte...


Quels sont vos projets ?

J'ai commencé le Krän 9 qui forme un diptyque avec le tome 8 et j'ai démarré les premières pages de Nuit safran sur les Légendes de Troy avec Arleston et Mélanyn. C'est une mini-série de doubles albums dans l'univers de Troy.
Récemment la série vient de s'ajouter Olivier Vatine après Kéramidas, Cagniat, Dany et moi-même... Je pense que cette petite récréation réjouit tous les auteurs présents... Il y a un coté "coffre à jouets dans le grenier" qui m'amuse... et collaborer avec Christophe Arleston est pour moi (scénaristiquement parlant) une expérience très très intéressante.


Si vous deviez faire découvrir la bande dessinée à un ami, laquelle lui offririez-vous ?

Le grand pouvoir du Chninkel de Rosinski et Van Hamme, car cet album résume toutes mes ambitions d'auteur : une grande histoire, un dessin lâché et inspiré : la classe !





Propos recueillis en mai 2008
Alexandra.S. Choux