Dumas se considérait comme le plus grand auteur des "petits". Par le roman historique il entendait d'abord faire lire les gens et les distraire. « Malet »avait la noirceur des complots politiques, vous entrez dans la lumière et la couleur avec une adaptation des Trois mousquetaires. Que s’est il passé ?
Nicolas Juncker : L'envie de changer... Quitter un univers « politico-théâtral » très tranché et caricatural pour un autre plus humain, plus flou, plus aigre-doux ; représenter des personnages changeants, comme dans le roman. La couleur s'imposait d'elle-même, pour ses nuances, pour des soucis de compréhension sur certaines scènes, par opposition au noir et blanc « subjectif » des « croquis » de d'Artagnan, pour la symbolique des cinq principaux personnages.
Reprendre ce livre est un rêve de gamin ?
Non... C'est malheureusement beaucoup plus prosaïque : c'est mon éditeur qui m'a parlé en 2002 d'une collection d'adaptations littéraires qu'il souhaitait développer (après Nemo de Brüno), pendant que je faisais Le Front. Le temps que l'idée macère, que je relise Les Trois Mousquetaires...
Comment s’empare t’on d’un tel monument de la littérature française ?
Justement, on ne s'en empare pas, enfin je ne crois pas... Il n'y a aucune règle valable concernant l'adaptation d'un roman en bande dessinée, connu ou non. Dans mon cas, si la préparation du projet a été longue (presque un an), l'axe de travail était assez simple, entre d'un côté la volonté de rester fidèle au roman (après redécoupage, changements, ajouts et omissions, lecture de travaux à son sujet, analyses psychologico-philosophico-métaphysico-historico-sociales parfois intéressantes parfois brumeuses) et d'un autre la volonté de sortir de sa « mauvaise réputation » (littérature de série B, cape et d'épée pour enfants, adaptations catastrophiques, etc.)
Comme Dumas le dit lui-même, il a tracé le portrait de d’Artagnan « d’un seul trait de plume ». Une description précise sur quelques détails - pommettes, mâchoire, nez - mais qui laisse le champ libre à l’imagination pour tout assemblage de ces détails. Comment avez vous imaginé le vôtre ?
Rien de précis... Quand je me suis installé devant une feuille pour trouver son visage, il est venu tout seul, presque d'un trait... ce qui n'a pas du tout été le cas pour d'autres personnages, loin de là.
Alexandre Dumas a construit ce merveilleux pont entre les siècles, le pont de la mémoire. Il nous a fabriqué un héros de fiction, qui a supplanté le vrai, mais qui en a gardé tous les principaux attributs, afin de pouvoir être redécouvert au siècle suivant. Un héros endormi attendant qu’on le réveille de l’oubli, c’est un peu ce que vous avez fait avec cet album. C’est ce que vous vouliez ?
Disons que c'est ce que j'aimerais que le lecteur ressente. Si le roman original est un joyau, et si mon adaptation permet de le nettoyer un peu des couches de crasse empilées au fil des ans par quantité de clichés et d'idées fausses, alors oui, c'est ce que je voulais.
Vous pourriez envisager une BD dont l’histoire serait contemporaine ?
Bien sûr ! Il n'y a plus qu'à trouver un scénario.
Si vous deviez faire découvrir la bande dessinée à un ami, laquelle lui offririez-vous ?
Ouh là... étrange question, dont la réponse dépend d'une foule de choses. Mais je pense pouvoir m'avancer en affirmant qu'il ne s'agira pas de l'intégrale des Triplés. A priori.
Photo de l'auteur: "copyright bd boum"
Propos recueillis en avril 2008, par