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M-A-D : Entretien avec Thomas Legrain

L.C Interview 16/01/2025 à 15:47 446 visiteurs

Il y a quelques semaines, un vrai récit S-F apparaissait dans nos librairies. Retour avec Thomas Legrain sur cette série riche en psybots, mechams, post-apo et quelques humains taillés pour l'action.

BDGest’ : C'est vous qui êtes à l'origine du projet M-A-D…

Thomas Legrain : Oui, en fait j'avais envie de faire de la science-fiction depuis quelques temps, pour me renouveler un peu. J’avais essentiellement fait du contemporain ou de l'historique, genres qui ne faisaient pas appel à mon imagination ou à ma créativité. J'avais l'impression que, pour évoluer, il fallait que je sorte, entre guillemets, de ma “zone de contrôle”, une grosse expression, mais pour le coup c'est vraiment ça. Et donc j'avais propose une idée très basique à mon éditeur qui  l'a proposée à Nicolas Jarry qui a déjà travaillé par le passé avec nous. Nicolas a vraiment accroché et, quelques temps plus tard, j'ai reçu le dossier de M-A-D.

BDG : Donc c'est votre première incursion dans un univers plutôt futuriste ?

TL : Complètement, dans la science-fiction, c'est sûr. A la base, je pensais plutôt à un polar futuriste, Les idées de Nicolas étant vraiment meilleures que les miennes, j'ai complètement adhéré. Le fait que ça se situe en Russie, c'est vraiment très très drôle. On ne pouvait pas deviner qu’il y aurait la guerre en Ukraine. Le travail a en fait commencé fin 2020 après un album que j'avais  réalisé tout seul, Latah, même si les deux projets ont été signés au même moment.

BDG : Quel a été le déclencheur qui vous a amené vers cette idée de duo humain- machine ?

TL : De manière complètement inconsciente, les idées que j’avais présentées rappelaient Apple Seed. J'ai dit à mon éditeur, “Non, mais en fait, il ne faut pas aller là-dedans, j'ai tout pompé sur Apple Seed”. Mon éditeur pensait justement qu'il y avait un “truc”. Ce n'était pas parce que les personnages étaient peut-être un peu proches d'Apple Seed qu'il ne fallait pas essayer de faire quelque chose. Il avait raison, parce que Nicolas en a fait quelque chose de complètement différent. Mais l'impulsion initiale vient du fait que  j'aime beaucoup la science-fiction, plutôt au cinéma qu'en BD d’ailleurs. Mais j'aime beaucoup des œuvres comme Gunnm, un truc qui a bercé toute ma jeunesse. Je crois qu'il y a un petit peu de Gunnm dans ce que j'ai fait aussi, il y a une certaine influence en tout cas, notamment au niveau graphique. Bon, je suis peut-être le seul à le voir, mais moi, je le sais. Ensuite, Nicolas a aussi ses propres influences.

BDG : L'intelligence artificielle et l'autonomie laissée aux robots ont été des échecs qui ont conduit à ce conflit entre les humains et les méchams...

TL : En fait, on n'a pas réussi à créer de véritables IA. Il n'y a pas eu l’émergence d’une conscience qui allait aider à franchir l’étape suivante. On n’a pas franchi l’étape au-delà du numérique. Après, je laisse le lecteur découvrir ce qu'il en est de l'intelligence qui a quand même été créée, mais ce n'est pas par l'intelligence artificielle, ça c'est une particularité qu'on découvre dans le tome 2. Pour limiter les capacités des robots-soldats, éviter la rébellion, on associe leur intelligence avec une conscience humaine. L’idée de Nicolas de créer des binômes robots/humains est, je trouve, excellente. Ses idées étaient beaucoup plus complexes que les miennes en fait, donc beaucoup plus riches.

Je les vois plutôt comme un binôme autour d'une même conscience. C'est vrai qu'il y a un côté couple, parce qu'elle est une femme, et tous les robots ont un côté très masculin. En même temps, ils ne forment qu’un, partageant à la base une conscience unique, ce qui en fait un truc assez particulier. Mais j'aime bien le côté binôme autour d'une même conscience. Ils sont fusionnels. Socrate a sa propre personnalité, il a son caractère. Dans l'album, c'est presque lui qui est parfois plus humain que Daïa. Belle, Russe, froide, on sent bien qu'elle a ses failles. Je dois avouer que c'est ce binôme qui m'a donné envie de faire le projet.

Quand j'ai reçu le dossier de M-A-D, Nicolas avait écrit plus ou moins la première scène qui se déroule dans les champs avec tous les dialogues. Je suis tombé amoureux de ce “couple”. Je pense que pour faire une bonne série, il faut de bons personnages. C'est la base en fait. Dans une série, il faut mettre l'accent sur les personnages, et dans les one-shots, priorité à l'histoire, même s’il ne faut négliger ni l'un ni l'autre. 

Pour moi, dans une série, la qualité des personnages prime. Cisco a duré 12 ans parce que j'aimais le personnage. J'avais envie de le voir évoluer. La série permet, contrairement aux one-shots, de faire évoluer sur le long terme les personnages. Je trouvais qu'il y avait quelque chose dans ce couple qui allait être super intéressant à développer.

BDG Pourquoi avoir imaginé des noms grecs pour les psybots ?

TL : Il faut demander à Nicolas.

BDG: Vous parliez tout à l'heure des dialogues et des échanges. Les injures sont particulièrement bien soignées au début…

TL : Oui, oui. C'est le côté un peu dur de Daïa que je trouve assez... comique de la personne. Elle a un côté un peu... Je ne vais pas dire bourrine, ce n'est pas ça. Elle a un petit côté russe rustre... On va découvrir aussi son passé, etc. Et là, on comprend pourquoi elle a ce caractère.

BDG : Où est-ce que vous avez puiser votre inspiration pour la création des robots ? Vous parliez de cinéma tout à l'heure, c'est Chappie, c'est le premier Star Wars, c'est Real steel ?

TL : Non, j'ai regardé un petit peu ce qu'on fait en robotique sur internet, par les artistes, des joueurs robots. Il m'a fallu des semaines pour les créer, ça a été un cauchemar pour moi. C'est pas si simple. On se rend pas compte de ce qu'il y a en termes de détails. Pour créer un robot, il y a une sorte de cahier des charges. Il devait avoir une apparence humaine mais pas pour le visage. Quand on vient du réalisme contemporain comme moi, avoir un personnage qui n'a pas de visage, c'est un peu bizarre. On se demande comment on va lui donner des expressions. 

En plus, il devait être déclinable, il devait sortir d'une usine où tous ont des designs un peu semblables. Je devais avoir un design que je pouvais décliner dans d'autres formes. Alors vous dire le cheminement qui s'est passé dans mon cerveau pour arriver à ce truc, honnêtement j'en sais rien, mais à un moment donné j'ai trouvé une base sur laquelle on a pu commencer à travailler. Les ronds, les petites entrées d'air, les tubes à l'arrière, et c'est des éléments qu'on retrouve toujours plus ou moins chez tous les robots. La base première, déclinable ensuite, évidemment, c'est Socrate, c'est le premier que j'ai trouvé. Il fallait qu'il ait l'air véloce, qu'il soit puissant, je le voulais quand même très grand, mais pas bourrin comme d’autres le sont. Leurs physiques dépendent un petit peu de leur esprit. Je voulais que Daïa soit assez petite, sportive, et Socrate très grand, qu’il y ait vraiment une grosse différence de taille. Et en même temps, c'est drôle, parce que c'est clairement elle la cheffe.

J'ai un dessin qui est quand même plutôt détaillé à la base, même très détaillé. parce que et en même temps je voulais garder cet aspect hyper détaillé. Si vous prenez justement le manga Gunnm, dans le graphisme, le niveau de détails est dément. J'ai eu la chance de voir des originaux d'Yukito Kishiro dans une expo à Angoulême. Je suis allé la voir 5 fois, en gros fan. J'avais été épaté en plus par la finesse du trait et par la quantité de détails. C'est une source d'inspiration évidente. Il faut toutefois se fixer des limites pour livrer le travail dans un temps raisonnable.

BDG : vous travaillez vite...

TL : Ce n'est pas l'album le plus rentable de ma carrière (sourire). J'ai mis un an et demi pour le faire. Je savais que j'allais sacrifier une partie de ma rapidité habituelle. Ce n'était pas grave en soi, je voulais faire quelque chose de plus chiadé encore, évoluer de nouveau, après avoir fait un peu le tour des styles contemporain, militaire ou historique. Au bout du compte, heureusement, il y a eu une petite amélioration, je pense, sinon je n'aurais pas eu le plaisir à le faire.

BDG : Du côté architecture, dans cette neo-URSS, il y avait matière à créer également…

TL : J'ai repris plutôt les architectures bien bétonnées de l'époque soviétique. En même temps, c'était plutôt logique d'utiliser une architecture comme ça, parce que si on pense qu'on est dans un monde en contraction. Ils sont là pour faire du fonctionnel, donc le béton c'est très facile à utiliser, contrairement aux grandes tours en verre très modernes que vous trouverez à Moscou ou à Saint-Pétersbourg. J'ai trouvé que ça allait bien avec l'atmosphère et avec un monde où les ressources sont beaucoup plus limitées. Je voulais revenir à une architecture beaucoup plus basique, très carrée, très bétonnée, à la soviétique en effet. Comme on en rencontre encore en Pologne, en ex-Yougoslavie, en Bulgarie ou en Hongrie, ou vraiment tous ces endroits-là. J'ai dû sortir un petit peu de la Russie pour trouver des trucs parfois plus originaux, surprenants.

BDG : Qu'est-ce que vous avez retenu particulièrement de votre expérience en solo sur Latah ?

TL : C'est l'album le plus intense que j'ai fait. Et c'était très particulier, en fait, de scénariser soi-même. Ça met beaucoup de pression. Mais c'était une expérience vraiment géniale, un peu éprouvante aussi, parce que c'était un album que j'ai fait pendant le covid, donc c'était une période très particulière. En fait, ça a été vraiment 20 mois de grosse solitude. Pas grave, je l’ai très bien vécu, de façon très intense, même si, heureusement, il y a eu une fin. En plus, l'album n'était quand même pas l'album le plus joyeux de l'Histoire de la bande dessinée, avec une ambiance ultra lourde. Mais j'ai adoré. Pour moi, ça a été  vraiment un aboutissement. Seul, on peut imprimer le rythme narratif qu'on veut en tant que graphiste. On ne doit pas s'adapter au tempo de quelqu'un d'autre. D'ailleurs, sur M-A-D, ça a été un gros problème car les scenarios de Nicolas Jarry sont d'une densité impossible. Vu le nombre de cases qu'il y avait dans ses planches, je me suis dit, “je ne vais jamais y arriver”.

Pour réaliser Latah, j'avais adopté un rythme assez lent, très posé, etc. Pour M-A-D, on a dû trouver un compromis, mais il m'a laissé faire. En fait, il y a au moins 15 planches supplémentaires par rapport au scénario. Ça m'a permis de faire des planches quand même parfois un peu plus respirables. Dans les scènes d'action, on prend son temps de poser l'action par exemple. Voilà, ça, ce n'était pas prévu dans le scénario. C'est génial pour installer vraiment l'atmosphère de l'histoire, On prend alors le temps, on regarde, moi j'aime beaucoup ces passages. Et puis dans la science-fiction, il y a aussi une promesse de design, de grands espaces. Il y a des attentes. C’est une façon d’y répondre.

BDG : Votre trait a changé…

TL : Je me suis vraiment lâché sur mon noir et blanc en fait. Encore plus que pour Latah, pour lequel j'avais vraiment voulu passer un cap, avoir un dessin moins “propre”. Mais, après coup, je le trouvais presque encore trop propre. J'aurais dû me “cradifier” encore plus. Mais voilà, ma nature, c'est d'avoir un dessin quand même très propre à la base. Et sur M-A-D, avec le premier tome, je vais plus loin même si l’enrichissement principal, c'est la créativité. Quand on voit tout ce qui a été fait en science-fiction, c'est intimidant. Moi, j'avais fait mon trou en tant que dessinateur contemporain. Je pense que je maîtrisais un peu mon truc, mais en abordant la SF, on a un peu peur de se planter et de faire des trucs ringards. Ou alors de reproduire exactement ce qui a déjà été fait. Il faut essayer de se libérer, sachant qu'on ne peut pas renouveler complètement le genre. Tout a déjà été fait. 

C'est ce que Nicolas m'avait dit à un moment donné : “N'essaye pas de révolutionner le truc”. Moi, je paniquais un peu, j'essayais vraiment d'inventer. De faire des trucs super originaux, alors que ce n'est pas du tout ce qu'il fallait faire. A un moment donné, on a quelques bases et on se dit : “OK, laisse-toi aller, invente 2-3 trucs qui ont l'air de fonctionner, crée...”. Il y a aussi pas mal de contraintes, parce que c'est post-apocalyptique et science-fiction. Il y a un mélange de low-tech et de high-tech qui n'est vraiment pas simple à trouver. Parce qu'il ne faut pas non plus que les lecteurs se disent “ça on a l'impression que ça vient de la technologie actuelle”. Si on s'en sort plus ou moins, c'est enrichissant. Ceci dit, je dis ça maintenant parce que j'ai fini. Par instants, j'aurais eu des envies de meurtre.

BDG Qu'est-ce qu'il y a écrit sur la statue page 71 ?

TL : Ça reste entre nous : « Meurs pourriture communiste » en russe.

BDG : Moi ce qui m'a marqué, c'est le dernier dessin, où en fait, on pourrait s'attendre à ce qu'un robot fasse un dessin parfait du premier coup. Et en fait, il est réalisé au bleu, technique qui permet de sécuriser l’étape de l’encrage si on peut dire..

TL : Oui, alors le bleu, honnêtement, c'était plutôt une idée de mon coloriste. Il a pensé que ce serait plus joli que de faire du gris. Il n'y a pas de message. Il n'y en a pas toujours. 

BDG : Quand on lit ce premier album, on imagine qu'il peut y avoir matière à de nombreux spin-off, vers le passé où on revient sur le cœur des combats entre les humains et les Mekams, voire en suivant certains d’entre eux pour des one shots... 

TL : Ou même avant. J'ai une idée de spin-off qui se passe avant la guerre, la création du M-A-D. L’univers est déjà riche. Ce qui m'avait marqué dans l'écriture de Nicolas, c'était toutes les possibilités qu'il offre, un aspect très intéressant pour moi qui ai toujours bossé dans des univers beaucoup plus fermés. Donc oui, il y a plein de possibilités, mais ça dépendra évidemment du succès commercial de la série. C'est le nerf de la guerre. On a signé pour trois albums. Nous, on aimerait bien faire une série longue, en effet avec des spin-off. Le verdict tombera dans un an ou deux au plus tard. Je suppose qu'on saura assez rapidement. J'aimerais vraiment bien que la série marche un minimum, qu'on puisse développer toutes les idées qu'on a, parce que j'ai l'impression que c'est vraiment un univers qui en vaut la peine. 

Il y a aussi une volonté de la part du Lombard d'essayer de recréer des séries. Il y a beaucoup de séries qui se plantent, pour ne pas dire la très grosse majorité. La tendance est plus au one-shot. Moi, j'avais vraiment envie de me relancer sur une série, ça crée du patrimoine aussi. Financièrement, c'est un peu plus tranquille aussi d'avoir une série qui fonctionne. Parce que quand même, Cisco m'a permis de vivre correctement de la BD pendant 10 ans. Et puis, on ne développe pas la même chose sur des séries.

BDG : Le tome 2, vous en êtes où ?*

TL : Je l'ai bientôt fini. Il est un peu différent quand même. Il est vraiment post-apocalyptique. 

*échange daté du 25 octobre 2024

Propos recueillis par Laurent Cirade


L.C

Information sur l'album

M-A-D
1. Un empire de rouille

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