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Un siècle de BD belge au CBBD

Entretien avec Isabelle Debekker

Propos recueillis par L. Gianati Interview 27/11/2024 à 10:47 231 visiteurs

Pour quelles raisons la Belgique a-t-elle pris une place aussi importante dans le 9ème Art ?  "Un siècle de BD belge", la nouvelle exposition permanente au Centre Belge de la Bande Dessinée (CBBD) à Bruxelles, tente de répondre à cette épineuse question en mettant en scène un siècle de création artistique, depuis Hergé jusqu'aux auteurs et autrices du 21ème siècle. Isabelle Debekker, directrice du CBBD depuis cinq ans, revient sur la genèse de cette magnifique exposition. 

Une exposition sur un centenaire de création artistique, ça se prépare depuis longtemps ?  

Isabelle Debekker : Depuis très longtemps, une dizaine d'années. Le directeur précédent avait fermé l’exposition des vingt-cinq ans du musée, consacrée aux héros de bandes dessinées, en disant qu’il fallait la renouveler. Appréhender un siècle de bande dessinée est extrêmement complexe. N'évoquer que des auteurs efface une partie de ce qui fait la spécificité de la BD Franco-Belge. D'un autre côté,  faut-il choisir de commencer à parler d'un auteur une fois qu’il a fait dix albums, cinq albums ? Et s'il n’en a fait qu'un seul mais qu’il a été primé ? Quant à parler des univers, c'est encore plus compliqué ces dernières années avec l'émergence du roman graphique. Nous avons au début pensé à parler des écoles, l'école de Marcinelle et l'école de Bruxelles, mais ça mettait de côté toute une série d'auteurs qui ne font partie ni de l'une ni de l’autre. Cette expo a ensuite été un peu mise au placard et, au moment de ma nomination comme directrice (En 2019, NDLR), ça faisait partie des choses qui devaient être faites. Ma réflexion a été : « Qu'est-ce qui s'est passé en Belgique ? Pourquoi la Belgique ? ». Pour le chocolat, par exemple, la réponse est industrielle, simple, technique :  on le moud plus fin qu'ailleurs et il a donc une manière de fondre qui est encore plus agréable en bouche. Avec l'histoire de la BD, il n'y a pas une réponse aussi simple, il y en a une centaine qui s'entrecroisent, l’expo en donne certaines. Je pense que tout le monde va y venir pour picorer ce qu'il souhaite, chaque visiteur se fera sa propre opinion du pourquoi... Nous avons également été confrontés à un souci de frontières en devant répondre à : « Doit-on absolument exclure les auteurs qui ne sont pas belges ? ». C'est le cas de Jacques Martin, dont on a un original. Oui, il est 100 % français, il n'y a pas de doute sur la question. Mais il fait aussi partie de l'histoire de la BD Belge, en étant édité chez Casterman C’est pour ça que, finalement, nous aurions peut-être dû appeler autrement cette exposition, en évoquant la BD Franco-Belge sans exclure non plus la BD Flamande. 

La date de 1922 fait-elle référence comme origine du centenaire ? 

I.D. : On parle plutôt d'un siècle de bande dessinée. Ce sera toujours un siècle de bande dessinée dans deux ans, et ça aurait été un siècle de bande dessinée il y a deux ans. Peut-être que pour le commissaire (Daniel Couvreur, NDLR) la vraie première bande dessinée a été créée en 1922 avec Le Dernier Film de Fernand Wicheler. Le rédacteur en chef du Dessableur, publication trimestrielle du Centre Belge de la Bande Dessinée (CBBD), est notre responsable de la bédéthèque. Depuis trois ou quatre ans, il fait dans chaque numéro des dossiers sur la BD belge d'avant 1930. Bien sûr, il y a eu des choses avant, nous n'avons rien inventé, mais une exposition n'est pas un livre, on a x murs et on doit s’y tenir. Ce n'est pas pour rien que pour les autres expositions, il existe toujours un catalogue pour pouvoir aller plus loin.

Le choix de Daniel Couvreur pour le commissariat s'est-il fait de façon naturelle ? 

I.D. : On m'avait conseillé quelqu'un d'autre avant qui s’est désisté pour un tas de très bonnes raisons. L'idée au départ était d'organiser l'exposition avec un comité mais ça peut être compliqué de faire travailler des gens ensemble et nous n'aurions sans doute pas tenu les délais. Daniel m'a ensuite été conseillé pour sa connaissance assez particulière sur toute la bande dessinée, notamment la bande dessinée flamande, ce qui est extrêmement rare.

L’exposition n'est pas uniquement constituée de planches et de dessins mais aussi de vidéos, de sons... 

I.D. : Nous n'étions pas en capacité de raconter l'histoire d'un siècle de bande dessinée faite d’originaux. Nous n'avons notamment pas les moyens financiers de climatiser ce musée comme peuvent le faire d'autres lieux qui ont vraiment des conditions exceptionnelles pour accueillir du papier. Nous n'avons pas non plus des équipes pour faire des rotations tous les trois mois ou tous les six mois. Nous avons donc choisi le parti-pris de dire qu'il y a plein d'autres éléments pour raconter l'histoire. On ne va pas parler de Publiart sans montrer ce que c'est la publicité, on ne va pas parler de Belvision sans montrer le dessin animé... Quand on voit par exemple les celluloïds avec Dupont et Dupond, je trouve que c'est aussi touchant que de voir une planche originale. 

À quel public est destinée cette exposition ?

I.D. : On a réalisé une exposition qui doit s'adresser à notre public. C’est un public qui va de très érudits, aux nostalgiques, aux gens qui ont lu « Salut les copains » quand ils étaient jeunes, ou à d'autres qui n'ont jamais ouvert une bande dessinée de leur vie et qu'on doit rattraper sur certains points. On ne peut pas laisser ce public qui n'y connaît rien errer dans ses couloirs et ne rien comprendre de ce qu’il se passe ici. 

Et les enfants ? 

I.D. : Aujourd'hui, les enfants ont une culture de l'image nettement plus importante que l’était la nôtre. Ils connaissent les mangas parce qu'ils connaissent les animés, ils connaissent les Schtroumpfs grâce au film d'animation américain du même nom... Aujourd'hui, ils ne savent plus qui est Tintin sauf si il y a encore des albums dans la bibliothèque familiale. En revanche, ils connaissent Spirou. D’après les français, on y lit la bande dessinée beaucoup plus en Belgique, en tout cas dans les familles avec des jeunes enfants. Puis, s'ils arrivent à la bande dessinée par le manga c'est très bien. Je ne suis pas une grande fan de manga, mais je suis une grande fan de la lecture, du livre et de la littérature. Du moment que les gens arrivent à la lecture et peuvent sortir des écrans de leur téléphone, j’ai gagné mon pari. 

Comment voyez-vous l’avenir de la bande dessinée ?

I.D. : Je crois que les choses vont changer et que ça ne va pas plaire à tout le monde. Je pense que la génération des nostalgiques et collectionneurs de BD va disparaître, même si les rééditions de bandes dessinées d'il y a 40 ans sont encore aujourd'hui dans le top des ventes. Ma génération va encore en lire un petit peu, mais j'ai du mal à croire que la génération suivante va se jeter sur ça. Je ne suis pas persuadée que ces rééditions vont fonctionner encore longtemps, il y a un trop grand décalage entre la réalité et ces histoires-là et ce que ça raconte. Néanmoins, je crois vraiment qu’on va retourner de plus en plus vers le livre, les écrans ont une limite. Je ne ne lirai pas une bande dessinée là-dessus, c'est trop petit. 

C’est vrai pour nos générations, mais pour les suivantes ?

I.D. : Je pense que ceux qui aiment le webtoon, oui. Je ne sais pas dans quelle mesure ce public-là serait un jour curieux d'aller lire des livres classiques européens. On a eu une expo ici sur la BD coréenne. J'ai un neveu qui est fan de webtoon, qui passe nuit à en lire sur son écran de téléphone, mais il n’a jamais monté les deux étages du musée pour aller voir l'exposition parce que ce n'est pas ça qui l'intéresse. Je pense que tout le monde est un peu perdu face à ce qui se passe, avec les générations à venir. On sait aussi que les bébés Covid, ça ne se passe pas comme pour les autres bébés, que des enfants ont perdu également deux années de scolarité normale.... Nous avons actuellement une exposition de Jusqu'ici tout va bien de Nicolas Pitz, qui est une adaptation d'un roman américain. La librairie avait commandé 30 bouquins pour l'ouverture de l’exposition, ils ont dû en recommander 300 dès la première semaine... Il y a tellement d'ouvrages sur le marché, qu'il faut accompagner les lecteurs et c'est votre rôle, à vous les journalistes, de le faire. 

C'est le rôle du journaliste, mais aussi du libraire, de l’éditeur… 

I.D. : C'est effectivement le rôle de tout le monde. D'abord celui de l’éditeur puis de la critique, quelle qu'elle soit, que ce soit le libraire ou le journaliste. Avec environ 3000 nouveautés par an ce n'est pas possible d'aller pêcher LA perle d'autant sans un conseil préalable. Nous, professionnels, avons sans doute une responsabilité là-dedans. Après, il y a le jeu des éditeurs. Ils vendent, ce ne sont pas des critiques d'art, ce ne sont pas des critiques de qualité. Ils cherchent donc la bonne critique auprès des journalistes. Il y a ensuite un problème de moyens, les grosses structures éditoriales ont forcément plus de facilité à toucher les journalistes que des petits éditeurs qui ont du mal à éditer leurs bouquins et avec qui les relations presse sont quasi inexistantes. J’ai déjà entendu un auteur me dire "Oui mais les gens savent ce qui est beau, les gens savent ce qui est bon... » Personnellement, je n'y crois pas, je pense que c'est une éducation, un apprentissage. C’est aussi le rôle des concours et des prix de mettre en lumière certains ouvrages.

Vous êtes directrice du CBBD depuis cinq ans. Quel bilan en tirez-vous ?

I.D. : J’ai l’impression que le musée a fait ses preuves par rapport au secteur de la bande dessinée même si ce n'est peut-être pas un succès public à proprement parler. Je pense que les auteurs et les gens qui circulent autour du milieu de la bande dessinée ont vu qu’on était capables de se remettre en question, de renouveler nos manières de travailler, d'aborder la bande dessinée, les auteurs, les maisons d'édition, de collaborer, de s'ouvrir au secteur dans lequel on évolue, et dans lequel on a aussi une responsabilité. On parle de musée, avec un côté forcément patrimonial, mais on est dans un secteur qui est très vivant. Je pense que le musée a bien su se remettre en question et a su évoluer et répondre aux demandes du secteur, et même des politiques.

Pouvez-vous expliquer en deux mots ce qu'est le patrimoine immatériel bruxellois que la bande dessinée vient d'intégrer ? 

I.D. : Nous avons effectivement inscrit la BD au patrimoine immatériel bruxellois, ce qui ne constitue que la première étape pour parvenir à une inscription au niveau de l’Unesco. La Belgique est extrêmement compliquée au niveau de sa construction politique. Nous sommes séparés en communautés et en régions. La culture est un domaine de compétence des communautés mais son inscription au patrimoine immatériel doit être faite par la région. En Belgique, nous devons avoir au moins deux régions pour pouvoir confirmer cette inscription au niveau national et pour pouvoir aller chercher d’autres partenaires comme la France, le Japon ou les États-Unis pour, ensuite, aller inscrire la BD au patrimoine immatériel mondial de l'UNESCO. On pense à tort qu'en Belgique la bande dessinée est un patrimoine acquis, que c'est reconnu par tous les belges. En fait, ce n'est pas du tout le cas, on continue à se battre tous jours pour avoir de la visibilité et pour intéresser le public et la presse. 

© Daniel Fouss / Musée de la BD


Propos recueillis par L. Gianati