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Ellory après Teulé : même combat ?

Entretien avec Richard Guérineau

Propos recueillis par L. Gianati et L. Cirade Interview 18/11/2021 à 13:40 7100 visiteurs

Les mots polar, années 50 et Géorgie évoquent immédiatement une ambiance particulière. Il suffit de fermer les yeux pour imaginer l'atmosphère pesante, les fermes isolées, perdues au milieu de nulle part, l'étrange lueur qui émane des paysages brûlés par le soleil... Fermer les yeux ou lire la superbe adaptation du roman de R.J. Ellory, Seul le silence, réalisée par Fabrice Colin et Richard Guérineau.  


Connaissiez-vous le roman d'Ellory avant d'en réaliser son adaptation ?

Richard Guérineau : Non, je n’avais même jamais lu Ellory. Comme beaucoup de gens, la première fois que j’ai vu son nom, j’ai cru que c'était « Ellroy » et je ne m’y suis jamais forcément penché. Je ne sais pas pourquoi, j’avais l’impression que c'était du polar « à l’américaine » très classique et j’en avais lu beaucoup à cette époque-là… C’est l’éditrice de chez Steinkis qui m’a appelé un jour pour me le proposer. J’ai été très surpris, en bien, évidemment. D’abord l’ambiance, le contexte, l’époque, tout ça, ça me faisait envie visuellement et puis, cerise sur le gâteau, j’ai vraiment été cueilli par la fin, par le dénouement. Jusque dans les dernières pages, on émet plein d’hypothèses et en fait…. C'était bien joué. 

Lorsqu’on vous l’a proposé, n’avez-vous pas eu envie de l’adapter seul ?

R. G. : Si, au départ ça n’a pas été clair. Je pensais le faire tout seul et, au fil de discussions, j’ai découvert que Fabrice Colin se chargeait d’adapter Ellory car ils se connaissent bien. Il y avait une relation de confiance et je me suis dit que je n’allais pas interférer. Je ne connaissais pas Fabrice personnellement, je l’avais juste déjà croisé il y a très longtemps mais je connaissais son travail. Je me suis dit que ça allait le faire. Très vite, il m’a envoyé une espèce de plan en cinq parties, en déterminant à peu près combien de pages il allait faire. J’ai vu qu’il était assez carré et ça m’a rassuré. Avec du recul, je pense que si je l’avais fait tout seul, je n’aurais pas réussi à le condenser comme ça en une centaine de pages, je serais parti sur quelque chose de bien plus long. Au final, je suis très content du fait qu’on ait réussi à le faire rentrer comme ça dans cent pages parce que le roman en fait à peu près cinq cents, c'était une sacrée gageure.

Avez-vous également participé à l’adaptation ?

R. G. : Fabrice a résumé et condensé le roman. Il a beaucoup utilisé la voix-off et je lui ai demandé de me laisser une grande liberté à l’intérieur des séquences, dans le découpage, dans la mise en scène. Il me faisait ses retours en me disant parfois que c'était trop dense. Il y a effectivement quelques passages où l’on a été obligés de tailler parce que c'était vraiment trop. Avec cette liberté-là finalement, ça a très bien fonctionné, il n’y a pas eu de souci majeur.

Aborde-t-on de la même façon l'adaptation d'un roman de Teulé et d’Ellory ?

R. G. : (Rires) Dans l’absolu j’aurais tendance à dire non. De toute façon, je savais d’entrée de jeu que pour ce roman-là, le deal c'était de rester très fidèle au roman initial. Avec Teulé, je me suis permis quand-même de grandes libertés et il était lui-même partant. Je faisais ce que je voulais, s’il n’aimait pas derrière ce n’était pas grave. C’est vraiment sa politique avec tous les auteurs qui adaptent ses romans. Là, nous ne sommes pas dans le même cas de figure, et de toute façon il y a moins matière à délirer. Le délire ne va pas être le même sur un roman d’une noirceur comme celle-là, je ne vais pas m’amuser à faire du Peyo (rires). Ça n’aurait pas de sens. En revanche, ça ne m’a pas empêché de faire des jeux sur la couleur, des ruptures, de faire des choses que j’aime bien faire quand je fais des romans graphiques comme ça.

D’autant qu’il y a des ambiances assez différentes : campagne et milieu paysan au début du livre, puis la ville et New York à la fin, un terrain de jeu formidable pour un dessinateur…

R. G. : Complètement… J’avoue que je suis beaucoup plus à l’aise sur la campagne. C’est beaucoup plus tranquille que New York. Effectivement, ça fait aussi partie de ce qui était attirant dans ce récit comme le fait que ça se déroule sur trente ans, le personnage vieillit… Il y a tout un tas de choses qui étaient vraiment excitantes pour moi, ça a été un vrai plaisir. À aucun moment je n’ai senti de coup de mou, c'était une super expérience.

Ellory a-t-il souvent été adapté en BD ?

R. G. : Fabrice Colin avait déjà fait une adaptation d’un de ses romans il y a quelques temps, Chicagoland, mais il me semble qu’il n’a pas tant été adapté que ça. Ce qui est drôle, c’est que je n’ai jamais rencontré Ellory de visu mais via Instagram où je postais de temps en temps l’avancement du projet et on s’est rencontrés par ce biais-là. On a échangé à travers les messageries d’Instagram et, à chaque fois que je postais un truc sur Seul le silence, il m’envoyait un petit message. Il a été vraiment hyper encourageant, c'était très chouette. 

Avez-vous dû faire beaucoup de recherches pour pouvoir dessiner le New York des années 60 ?

R. G. : Ça a peut-être été la phase de recherche et de documentation qui a été la plus compliquée parce qu’il y a énormément de choses sur New York et c’est un bazar pour s’y retrouver. Même en tapant "New York 1960", on tombe sur tout et n’importe quoi. Par exemple, la première image sur laquelle je représente la Skyline avec le pont de Brooklyn contenait les Tours Jumelles alors que je pensais avoir pris des photos des années 50. J’ai essayé ensuite de ne pas trop trouver d’éléments précis pour qu’on ne puisse pas trop vérifier si j'étais juste ou pas.

Le roman décrivait-il suffisamment les personnages ?

R. G. : Dans mon souvenir, il y a assez peu de descriptions physiques, en tout cas de Joseph. Comme c’est écrit à la première personne et que c’est lui qui raconte, évidemment il ne se décrit pas lui-même. Pour les personnages secondaires, c'était vraiment très succinct. Fabrice me faisait des rappels pour certains. Pour d'autres, je m'en rappelais comme par exemple pour Alexandra, blonde avec les yeux clairs. Il n’y avait pas de choses très compliquées.

Joseph est un personnage plutôt taiseux et beaucoup d'éléments passent par les expressions, surtout quand il découvre le premier cadavre...

R. G. : C’est vrai qu'il y a eu quelques découvertes de cadavres avant mais jamais en direct. Il en avait juste entendu parler et là, c’est la première fois qu’il le voit et il est le premier à découvrir cette fillette-là. Il fallait que ce soit une séquence vraiment choc. Pour moi, il fallait montrer la violence, l’horreur de manière brute. Je me suis dit qu’il fallait que j’y aille bourrin, tant pis. J’y suis allé frontalement, j’ai balancé des couleurs qui font mal aux yeux, en sachant qu’il y a toujours une question un peu délicate sur la représentation de l’horreur, de la violence en images. Nous aurions été au cinéma ou dans une série télé, je ne pense pas que je l’aurais montré comme ça parce que le risque, c’est d’être insoutenable. On tombe dans le gore quand l’image est trop réaliste. Ce qui est bien en bande dessinée c’est qu’il y a le filtre du dessin, il y a l’aspect graphique qui va forcément mettre de la distance. Même si on reste dans le réalisme, il y a une distance qui est mise entre l’horreur représentée et le lecteur. Je fais confiance à la BD et au dessin de ce coté-là. 

[ATTENTION SPOILER]

D’ailleurs la mort de Bridget n’est pas montrée...

R. G. : Absolument, et il me semble que c’est aussi le cas dans le roman. On lui dit et il a compris qu’elle a été assassinée mais il ne la voit pas, exactement comme on l’a montré là. C’est ce qui est habile aussi dans ce récit, le coté « meurtres en série » pourrait être très répétitif mais, à chaque fois, c’est montré sous un aspect ou d’un point de vue différent et ça évite la répétition et la redondance. Chaque découverte est différente car le tueur perd complètement les pédales au fil de l’histoire…

[FIN SPOILER]

Cette double page est un plaisir pour le lecteur : au départ un plan assez éloigné avec de grandes cases, qui se rétrécissent pour mettre en évidence une conversation importante puis on prend à nouveau de la distance, jusqu’à sortir de la maison...

R. G. : Je pense que les idées simples sont souvent les plus marquantes. J’utilise souvent ce genre de procédé, particulièrement quand on est dans une discussion où l’on tourne autour d’une table ou dans un décor qui n’est pas très spectaculaire, il faut trouver des astuces pour rendre ça un peu vivant. Le principe de base est de montrer l’espace dans sa globalité. On est dans la cuisine, on a compris, maintenant on va tourner autour des personnages et le fait de finir sur une image extérieure où on ne voit plus les personnages, avec la maison toute petite et la petite bulle dans le ciel, ça donne un poids supplémentaire à la dernière réflexion.

Cette scène dans l’arbre était-elle dans le roman ? 

R. G. : Si elle l’est, je n’en ai pas le souvenir. Pour moi, c’est Fabrice qui a proposé ça. Tout de suite, ça m’a paru évident, une très bonne idée. D'abord parce que dessiner un bel arbre, en pleine page en choisissant de faire des inserts, c'était un plaisir graphique, mais surtout, parce que grimper aux arbres c’est un truc de gosses. On est dans la fin de la première partie et c’est la fin de l’enfance donc je trouvais que c'était une bonne idée de les montrer dans les arbres. C’est encore des gosses mais ça y est ils sont descendus de l’arbre dans la dernière page et là, on va passer à autre chose. L’enfance est terminée et il y avait quelque chose d’assez beau dans la symbolique de cet arbre.

On aurait aimé suivre plus longuement ce groupe d’enfants dans l’arbre...

R. G. : C’est une des limites de l’adaptation et de la pagination. Cet aspect-là, très présent dans le roman, représente une grosse partie, ce coté « Club des cinq ». Pour des raisons pratiques, il y a certaines choses qui ont été un peu gommées, qui sont peut-être un peu plus discrètes à ce niveau-là. Je trouvais que c'était une belle image résumant ce rapport qu’ils ont tous les cinq.

Dans vos couleurs on retrouve un aspect un peu « sableux » qu’on remarque également dans Jours de sable...

R. G. : Je n’ai pas le souvenir de grandes descriptions de paysages ou de décor chez Ellory. Il est plus focalisé sur les états d’âme et les émotions des personnages dans son écriture. Là encore, il y avait une grande liberté. Ça m’a paru évident, même sans avoir à relire le roman, que les paysages du sud profond contiennent des endroits avec des marais, des bayous, mais c’est aussi très plat et très monotone avec des grandes forêts de pins, c’est pas forcément très riant… Personnellement je crois que je n’irais pas vivre là-bas (rires). En revanche, cinématographiquement, ou du point de vue de l’image, c’est quelque chose d’assez fort. J’avais aussi ces envies, j’avais quelques références en tête, de paysages très plats, un peu herbeux mais secs, avec éventuellement un arbre et une maison. C’est marrant parce que le coté sableux je ne l’avais pas en tête, je voulais une ambiance « sépia », mais sableux est effectivement assez juste parce qu’on pense au dust bowl des années trente, à ces tempêtes de sable dans ces régions-là. Tout ça, ce sont des références un peu inconscientes qui ressortent naturellement.

La couleur rouge apparaît notamment lors du parallèle avec la guerre… et sur la couverture...

R. G. : C’est ça, le mal, la violence, dès qu’il y a un élément qui vient bouleverser ce petit univers sépia et tranquille, j’intègre du rouge, des couleurs plus chaudes, plus denses. Au fil du roman aussi, vu qu’on quitte le sud, qu’on va à New York et que le temps passe, nous ne sommes plus dans les années quarante mais plutôt dans les années soixante à la fin, je me suis dit qu’il fallait que je mette un peu plus de couleur. J’en ai rajouté pour qu’il y ait un coté légèrement plus pop mais sans faire du psychédélique.

On la retrouve également dans la confrontation finale…

R. G. : Effectivement, il fallait que cette scène soit en rouge. On imagine ça à la lumière du néon extérieur qui illumine la pièce…

La couverture vous est-elle venue rapidement ?

R. G. : Comme toujours avec les couvertures… J’ai fait plusieurs dessins, des illustrations un peu génériques pour m’approprier l’ambiance, le personnage, bien qu’il ne ressemblait pas encore tout à fait à ça, et une des premières images que j’avais faites c'était à peu près celle-là, composée autrement, dans un autre format, mais c'était ça. La maison en arrière plan, lui debout, et cette idée de ruban, de quelque chose qui appartient à une gamine. On m’a oui mais que ce serait bien d’avoir d’autres roughs. J’ai tourné un peu autour de certains personnages et puis finalement tout le monde est tombé d’accord pour que l’on reparte sur la première version que j’ai redessinée.

En dehors du dessin, la maquette est très soignée…

R. G. : Elle est super. Éric Dérian s’est occupé de la maquette en recomposant l'illustrations d'origine avec les tiers et les demi-images. J’aime beaucoup le choix du papier, le petit brossage qui va bien avec l’aspect sableux, c’est très chic, avec l’écriture qui s’efface un peu…

Vous reste-t-il encore beaucoup de romans de Teulé à adapter... ou adaptables ?

R. G. : Il y en a plein (rires)… Je n’ai pas lu ses derniers mais il peut en rester quelques uns. Un que j’ai beaucoup aimé c’est Héloïse, ouille ! sur Héloïse et Abélard, mais les cent premières pages, c’est essentiellement du cul… Je pense néanmoins que celui-là serait amusant à réaliser. Pour l’instant, ce n’est pas dans les tuyaux de repartir sur une adaptation de Teulé, mais on ne sait jamais.

Pour les scènes hot vous vous êtes déjà un peu entrainé dans l’album…

R. G. : Oui mais c’est soft (rires), on dirait les films de M6 !

Quels sont vos projets en cours ?

R. G. : Actuellement, j’entame tout juste un projet qu’on a depuis longtemps avec Alain Ayroles. Ça fait un petit moment qu’il m’avait parlé de quelque chose qu’il n’arrivait pas à décoincer. Quand il m’en a parlé, j’ai trouvé le truc super intéressant. Puis Alain écrit super bien, c’est toujours assez drôle et subtil. Le récit se déroule au XVIIIe siècle, j’allais dire « évidemment » mais il ne fait pas que des trucs sur le XVIIIe… Surtout, ce qui me plaisait aussi en dehors du projet lui-même, c’est le retour à une série. Après les Stryges, il y a eu toute une phase où il ne fallait plus me parler de séries mais là, j’ai fait pas mal de one-shots, de grosses paginations, et c’est vrai que c’est un rythme qui au bout d’un moment est un peu épuisant. Je sens que c’est le bon moment pour revenir à une série, ce qui ne m’empêchera pas d’alterner avec d’autres choses.



Propos recueillis par L. Gianati et L. Cirade

Bibliothèque sélective

Seul le silence

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Charly 9

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Entrez dans la danse

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Le chant des Stryges
1. Ombres

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