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25è Rendez-vous de la BD d'Amiens

Interview de Pascal Mériaux

Propos recueillis par Laurent CIRADE Webzine 10/06/2021 à 10:13 3135 visiteurs

Pascal Mériaux est l'un des fondateurs des Rendez-vous de la Bande Dessinée d'Amiens organisés par l'association locale On a marché sur la Bulle dont il est le directeur. Rencontre à l'occasion de la tenue de la 25ème édition d'un des principaux festivals de l'Hexagone.

Ce samedi 5 juin, vous avez ouvert le bal des grands festivals BD hexagonaux après une période d’interdiction liée à la crise sanitaire : est-ce un soulagement ? un épisode particulièrement stressant ? Ou une péripétie de calendrier ?

Pascal Mériaux : Un événement. Oui, je crois que je crois qu’événement est le mot qui convient. On le ressent comme ça en tout cas aujourd'hui. On reviendra sur vos autres propositions, mais événement, parce que, vous l'avez vu, c'est sur un site industriel assez incroyable, merveilleux, mais très exigeant en termes de scénographie. Si on veut produire des expositions du type de celles de cette année, il faut appuyer sur le bouton très tôt. Il faut grosso modo six mois. Le feu vert a été donné cette fois fin février et c'était très tardif. On a alors vu arriver les vagues de difficultés. Approvisionnement, transport et même un embargo sur le bois. Le prix des bois qu'on achète habituellement s’est envolé, + 30 %, et celui qu’on parvient à se procurer est de mauvaise qualité. Il a fallu remobiliser les gens qui n'ont plus l'habitude de travailler ensemble. Tout ça a été d’une assez grande complexité.

En revanche, ça crée de l'énergie. Fallait y aller, dans un temps assez court, environ trois mois. Mais on a vraiment eu l'impression en ouvrant les portes hier, en revoyant des gens que ce côté événementiel, il y 

était. Oui, il s’est passé quelque chose qui comprend un avant et un après. On a vécu cette phase où rien ne se passe et puis là, tout à coup, c’est reparti.

Stressant ? Pas particulièrement. Quoi qu’il arrive, on a l'impression d'avoir pris la bonne décision. On le fait, au pire, pour les scolaires, pour des jeunes qui ne sortaient plus. On en accueille énormément ici. Les scolaires, l'éducation artistique et culturelle sont au cœur de nos préoccupations. Six personnes à plein temps travaillent sur le service éducatif et vont au contact des scolaires : il y a 110 classes qui viennent de manière tout à fait naturelle. Le risque ? Au pire, on ne fait que ces 2500 visiteurs plus des partenaires et des invités en petits groupes. Mais il faut qu'on aille au bout de notre programmation. Finalement, dès qu'on a décidé, ce n'est plus stressant.

Mais on a eu de la chance. L’annonce de l’ouverture des parcours muséaux et des librairies pour le 19 mai a été essentielle. Ici, lorsqu’on déambule d’une exposition à l’autre, on appelle ça pompeusement notre parcours muséal. Ajoutez les espaces librairies et la présence d’auteurs dans un lieu avec des volumes en largeur et profondeur qui permet d’accueillir du monde, et voilà, les rendez-vous deviennent possibles. Personne d’autre en France n’a ça, non ? (NDLR : le bâtiment, ancien entrepôt logistique). A Angoulême, pour faire la même chose, il faut monter un barnum avec des coûts de structure énormes. Ici, on peut se permettre de le faire et jouer notre rôle en respectant la jauge.


Exposition autour de l’oeuvre de Cyril Pedrosa

L’impatience était plus importante du côté des bénévoles ? Des auteurs ? Des bédéphiles ?

PM : Du côté des bédéphiles, je ne sais pas parce qu’avec la vitesse à laquelle on est entrés dans l’organisation, je n’'ai pas eu l'occasion de beaucoup échanger avec eux. Ils avaient l'air contents hier. Je pense qu'on a un public plus régional que d'habitude. Je ne sais pas s'il y a vraiment tant de monde qui s'est déplacé de loin. Ceci dit, j'ai vu aussi des Parisiens évidemment . Et le festival existe ici depuis longtemps, il y a une forme d’habitude des amiénois qui, naturellement, y reviennent, en famille. On a beaucoup travaillé sur cette question des familles. L’an dernier, on a amené la BD dans tous les foyers amiénois (NDLR : distribution d’une revue).

Les bénévoles ? Oui, là aussi, dès qu'on a appuyé sur le bouton, on a senti qu'il y avait une envie de venir au contact. Et quand on a vu la joie des auteurs de se retrouver, de marcher dans des expos, de revoir des originaux – certains se sont extasiés -… Il faut dire qu'il y a une belle matière aujourd'hui comme l'exposition archéo, l'exposition Pedrosa qui déclenchent de l'émotion. Mais qu'est-ce que ça fait du bien de revoir tout ça, de se nourrir quoi. De ne plus rester en cercle fermé sur sa propre production, quitter son petit milieu familial autrement que par une visio professionnelle. Pour les auteurs, je pense qu’il y avait cette attente. Le rythme de ces rencontres est important ; les festivals, c'est quand même le moment de se resocialiser régulièrement, de se retrouver, d'avoir des infos sur le milieu, savoir ce qu’il se passe dans le monde éditorial. Être privé de ça pendant 18 mois, c'est vraiment quelque chose qui a dû être très compliqué à vivre aussi.

Les après-midis du premier week-end sont complets…

PM : Oui, et ce matin aussi (NDLR dimanche 6 juin). On est aux anges. La première matinée, les réservations étaient au 2/3 de de la jauge possible. Plein de gens nous disent « Oh ben pas de problème, on vient pas ce week-end, on reviendra le suivant, ou celui d’après ». C’est du luxe, l'alignement des planètes qui fait qu'on peut aller au bout du projet, comme le fait de pouvoir rester dans cet endroit plusieurs week-ends – on l’a fait en 2018 et 2019 – grâce aux auteurs qui jouent le jeu qui n’exigent pas d'être forcément là les premiers jours. « Pas de problème, je viendrai le 12-13 ou le 19-20 ou le 26-27 ». La liste des invités n’est pas définitive pour la fin du mois, il faut en garder un peu sous le coude. Oui, on a cette chance là aussi.

Si vous aviez un conseil à donner à vos confrères qui vont reprendre prochainement…

PM : Je me garderais bien de donner des conseils… Ou « trouvez rapidement un espace de 7.000 m². » (sourire) Ou à la Jean-Paul II : « N'ayez pas peur ». Ou plutôt « C'est faisable ».


Création originale de Nicolas de Crecy

L'association On a marché sur la bulle ne fait pas qu’organiser le festival, il y a aussi un engagement dans la formation, avec un nouveau projet…

PM : Oui, une masterisation, et c'est un long parcours. Il y avait un enseignant en esthétique et en bande dessinée qui a lancé ce qu'on appelle un D.U il y a cinq ans. Puis l'université de Picardie a appuyé la dynamique bande dessinée d’ici et a décidé de passer sur une licence 3. On voit des étudiants de qualité arriver et donc on a effectivement ce master à venir. La problématique actuelle, si on écoute les commentaires, c’est la surproduction et la présence de trop d'acteurs dans le monde de la bande dessinée. On le sait, ce n’est pas une formation universitaire qui fabrique un auteur. C'est autre chose, d'accord. Ce qu'il s'agit de faire avec cette licence, ce master, c'est clairement de donner des outils à des jeunes, y compris ceux qui se destinent à des métiers potentiellement connexes à la bande dessinée, de les aider à orienter leur parcours ou simplement d’ajouter cette corde à leur arc dans le cadre d'autres cursus. Donc, on pense vraiment que ça ne peut pas être un souci d'être davantage formé sur le sujet. Le tout, c'est de ne pas créer un miroir aux alouettes en prétendant fabriquer des auteurs qui auront une longue carrière. Rien ne peut garantir ça.

Les éditions de la Gouttière sont une authentique réussite. Qu’est-ce qui a été à l’origine de ce projet ? Il n’y avait personne pour sortir ce genre de petits livres ?

PM : Il y a un peu de ça. Si on replace le contexte, en 2008, quand on crée les éditions de la Gouttière, Dupuis avait lancé – puis quasiment arrêté dans la foulée - la collection Pucerons et Punaises. Denis Lapierre en est à l’origine. Il convainc les premiers éditeurs, puis il y a un changement de direction  éditoriale. Puis un 2e dans la foulée. Il faut recommencer, à nouveau convaincre, reconvaincre qu'il faudrait séduire les écoles et leur public, pouvoir identifier des collections parce que sinon ça ne fonctionnera pas. L'intuition est bonne, mais dès le lancement, les collections ne fonctionnent pas. Guy Delcourt l’avait fait aussi avec Delcourt Jeunesse, fort de la même intuition : il y a chaînon manquant entre l'album Jeunesse et la bande dessinée pour ceux qui commencent à lire. Il y a eu des pièces-maîtresse évidemment, Petit vampire en fait partie, Toto l’ornithorynque… Finalement, ça ne va pas non plus exploser. En tant que lecteur, je pensais pourtant à l'époque que ce serait un succès.

Sur le festival, on développait des expositions interactives pour la jeunesse, car disait-on pour intéresser les jeunes, il faut ceci, il faut cela…Des auteurs nous ont dit « vous semblez avoir une compétence pour ça, éditez nos projets ». On a dit « non », une fois, deux fois, cinq fois. Et un jour, on s'est dit : « on va expérimenter, on va créer un petit label, sortir un seul livre par an. Par contre, on l’aimera très fort, on l'entourera d'outils de médiation, une exposition interactive pourra circuler, pour peut-être que le livre ait une vie plus longue qu’une vie simplement en librairie. Des fiches pédagogiques, des fils d'activité aussi. Donc on est parti là-dessus et Petite souris, grosse bêtise de Loïc Dauvillier et Kokor est sorti. Loïc était très branché sur cette question : comment fait-on lire les plus jeunes, les plus jeunes parmi les plus jeunes ?

Monsieur lapin, Myrmidon c’est sorti chez nous, hein. On a fait un livre, puis un autre l'année suivante avec La carotte aux étoiles. Ces livres-là, bizarrement, avec juste un par an, au milieu de la surproduction, ont attiré l'attention. De fil en aiguille, effectivement, on a développé une offre par rapport à ce qu'on sentait être un manque, une faiblesse. Et en même temps, – peut-être y est-on un petit peu pour quelque chose dans la visibilité - ça tombe avec l'émergence de séries pour les un peu plus grands qui vont relancer la bande dessinée jeunesse. Alors je pense à Mortelle Adèle, évidemment, d’Ariol qui passe de phénomène sympathique dans une revue à, d'un seul coup, un truc énorme en ventes d'albums aussi. On peut parler des Carnets de Cerise. D'un seul coup, on s'aperçoit que cette intuition du « Il faudra fabriquer le lecteur de demain », ce n'est pas que de la prospective, du « recherche et développement », mais ça peut être aussi du concret, y compris au niveau des ventes. On est dans cette vague de renouveau qui voit sortir des titres, et d’autres, et d’autres.

C'est vrai que nous, on a ce côté militant sur une partie du catalogue, en laissant textes et formats à l'italienne, en continuer à penser qu’il faut attendre que le jeune lecteur ait 7-8 ans pour la découvrir. De ce point de vue, oui, c'est clair, on est militant. D’un point de vue purement économique, on est déficitaire parce qu’on sait qu'il faut installer ces livres, insister. Et ça fonctionne ;  ça fonctionne avec les bibliothèques, ça fonctionne avec les enseignants, ça fonctionne avec des gens qui sont dans la médiation, ceux qui les utilisent lorsque le français est une langue étrangère tels que les primo-arrivants en France. Pour habituer à la narration, pour dessiner avant de commencer à mettre des textes. En fait, il y a énormément à faire autour de ces livres.


©B. Teissedre

2020, année de la bande dessinée, qu'est-ce que ça a apporté pour vous et pour l'ensemble du secteur ?

PM : Une occasion historique où la bande dessinée était mise sur le devant de la scène avec des moyens, un peu, une communication importante, très intéressante, des projets nouveaux. Finalement, il y a de la frustration. Nous, on a eu le pire des projets possibles. Celui qu'on a proposé au CNL, qui l’a accepté, consistait à faire dix opérations avec des scènes conventionnées. On a rencontré le théâtre, la musique… c'est ce qui a été le plus fermé, le plus impacté... Sur dix projets montés, on en a annulé huit. Remonté huit, annulé sept. , je fais très court : frustration et épuisement.

Existe-t-il une forme d’échanges organisée entre les organisateurs de festivals ? Une Amicale des Gentils Organisateurs ? (sourire)

PM : Il y a eu des tentatives, il y a une quinzaine d’années. Mais les portages sont tellement différents… Colomiers, c'est le service culturel de la ville, Lyon est dans un secteur plus économique, nous on est sur un territoire où la question de l'éducation à la lecture est cruciale, BD Boum à Blois sont issus de de la Fédération des œuvres laïques et donc ont une dimension sociale tandis qu’à Saint-Malo il y a une fédération des auteurs et une participation importante de la ville etc..

Depuis 3-4 ans, on relève un peu la tête pour regarder les bonnes pratiques des autres, qui sont soutenues par le CNL. Une fois, le Ministère nous a réuni à Paris. 2020, année de la BD a servi ne serait-ce qu'à ça. La conclusion de cette réunion ? En sortant, on s’est dit entre nous : « il faudra recommencer ». Au point de demander : « Est-ce vous pourriez nous proposer d'autres réunions de ce type ? ». Pour certains, c'est la première fois qu'on se voit et qu'on se rencontre. Il y a une envie. Au-delà des grandes différences que nous avons, désormais, il y a un point de convergence sur lequel on travaille : c'est celui de la rémunération des auteurs. C’est peut-être ce qui va permettre de distinguer un événement culturel d’une animation socio-culturelle bon marché sur un territoire. La question de la juste rémunération des autrices et auteurs.

Vous étiez précurseurs dans le domaine…

PM : Oui. Pour quelle raison ? Alors que nous n’avions pas d'auteur au conseil d'administration. Une sensibilité, liée au fait que nous avions compris à quel point, en sortant de chez eux, les auteurs nous faisaient un cadeau énorme en se déplaçant, en ne produisant pas d'images, de planches pendant leur présence ici. Au début des Rendez-vous, la semaine, ils gagnaient de quoi avoir un week-end. C'était pratiquement ça. Aujourd'hui, la semaine, il gagne de quoi continuer à travailler le week-end. Donc, vu l'importance de la manifestation, c'est vrai, on s'est astreints, dans un premier temps, à rémunérer les interventions dans les écoles. Puis on s'est dit que c'était insuffisant Très clairement en 2017 (et en 2018 ça a explosé), on a choisi de rémunérer tous les auteurs présents, en leur proposant une contrepartie. Non, ce n'est pas une véritable contrepartie. En proposant une activité hors signature, on a aussi basculé en qualité de plateau artistique. Le dessin live, c'est dix auteurs chaque jour qui dessinent pendant 1h et qui donc offrent au public une dédicace géante. C'est incroyable. Il y aussi les conférences sur la bande dessinée, la petite fabrique, etc. En fait, en donnant de l'argent, on a gagné en contenu culturel. C'est juste fabuleux quoi. Ce truc donnant-donnant fait que je suis bien plus fier de la manifestation d'aujourd'hui pour cette idée que les auteurs contribuent, chacun à sa façon, à la rencontre.

C'est aussi peut être un bon moyen d'éviter ce dont nous n’avons pas envie : la dédicace payante.

PM : Non seulement, on n'en a pas envie mais alors je mets au défi qui ce soit de trouver un modèle qui fonctionne, qui ressemble humainement un tant soit peu à ce qu'on vit actuellement. Cette générosité, ce partage avec des gens qui se déplacent, qui achètent des livres, qui attendent des auteurs qui se déplacent eux aussi pour produire effectivement un petit quelque chose. Qu’il y ait des commissions, des commandes en parallèle, entre deux séances, c’est une évidence, ça marche très bien. Mais remplacer la rencontre sur le modèle actuel par des dédicaces payantes, je ne nous vois pas en tout cas faire ça. Moi, je n'aurais aucun appétit pour ça.

Par rapport à la concurrence, avez-vous des "armes de séduction" pour faire qu’un auteur préfère venir à Amiens plutôt qu’ailleurs ?

PM : Vingt-cinq ans de bonne réputation. Personne ne fait l'unanimité auprès de qui que ce soit. Mais je sais qu'il y a plein d'auteurs qui disent à d'autres « moi, je vais à Amiens » « ah et comment on fait pour être invité ? ». On a une cellule d’invitations composée de 12-13 personnes, et chacun en fonction de ses affinités, contribue à composer le plateau.

Au début, on avait peur de ne pas être séduisants. Comme on avait un partenaire dans la signalétique, on offrait une véritable plaque émaillée avec le nom d'une rue ou d'un boulevard à tous les auteurs qui venaient pour la première fois. On a fait ça pendant une bonne douzaine d'années, et on a dû produire 300 ou 400 plaques de rue qui aujourd'hui ornent les jardins, les caves... De temps en temps, il y a un auteur qui envoie une photo de son atelier où il y a la plaque.

En 25 ans, l'Expo qui vous a le plus marqué ?

PM : Humm…une colle… En tant que commissaire personnel, j'en ai eu tellement… je fais en moyenne une exposition par an. Si on prend le côté spectaculaire, clairement, celle de 2019 sur Blake et Mortimer, avec une pyramide de cinq mètres de haut, dans le noir, avec une sorte de petite piscine en vis-à-vis, inversée, dans l'autre sens. Et puis l'implication de François Schuitten qui avait prêté 45 pages et les dessins qu'il avait faits en Egypte.

La scénographie était assez spectaculaire avec l'idée de doter le musée d'objets renversés, présentés la tête en bas. Enfin voilà, là, il y avait un côté magique en termes d'émotion. Après, sur le plan des émotions, , j'adorerais pouvoir refaire aujourd'hui l’exposition Gillon de 1997, en présence de Paul.


Mise en scène, mise sous pli - Fenêtre sur Thierry Martin

La plus grosse galère ?

PM : On ne va pas les raconter parce qu'il y a des humains impliqués dedans. Mais je peux vous en donner une bonne quand même. À l'époque, on était à l'université de Picardie, donc dans les locaux avec des contraintes d’espace. Tout était géré par une petite équipe de bénévoles, qui dormaient peu les deux mois précédents. Aujourd’hui, c‘est plus confortable. Je peux répondre à vos questions à 9h30 et non pas courir partout pour imprimer tel document manquant ou résoudre tel problème logistique personnellement. Donc le samedi soir cette année-là, on a organisé les repas de 150 personnes, dont 90 auteurs, plus l'équipe d’organisation et quelques invités. Arrivé 18h, l'équipe m'appelle et me dit « C'est bizarre, on ne voit pas arriver le traiteur ». A 18h30, on essaie de le joindre : pas de réponse. A 19h, la journée du festival est en train de se terminer, les auteurs commencent à descendre vers le lieu de rendez-vous. Le traiteur nous dit : « Ah non, non mais c'est demain. Les 150 repas, je les amène demain ». Me voilà devoir nourrir 150 personnes. Il est 19h30, tout le monde commence à paniquer. Dans le bureau, j’ai respiré un bon coup, les bras en croix : j’étais crevé. J'ai trouvé de la place en allant d’un restaurant à l’autre sur les quais, 20 places ici, 30 là. En disant « au pire on ira chercher des pizzas ».

Avez-vous été confronté à « un caprice de star » ?

PM : (Réponse immédiate) Oui. Oui. C'est arrivé. (Après réflexion) Caprice… Non, même pas. Non non, mais quand on y pense… Jean Roba, Enki Bilal, Charly Adlard : tous nos auteurs logent au même hôtel depuis le début du festival. C'était à l'époque un 2 étoiles, qui en a 3 aujourd’hui. Mais le même hôtel. Pour tout le monde. C’est un privilège de travailler avec  des gens comme ça.

Il y a bien des états d'âme. Des auteurs qui considèrent qu’ils ne sont pas assez valorisés. Mais c'est normal, c'est un métier d’ego. On ne devient pas auteur sans être monté sur la table et avoir dit « je ». Il joue sa vie avec ses œuvres. Il y a cependant une grande facilité à travailler avec le monde de la bande dessinée.

Vous êtes-vous lancé un défi pour les prochaines éditions ?

PM : Je crois que oui. Disposer d'un équipement permanent à Amiens, dédié à la bande dessinée, c'est un défi. Trouver les moyens pour faire que cette halle (NDLR : Fressinaye) continue d’accueillir plus largement de la Culture à l’année, c’est possible non ? Avec un créneau BD le temps du festival ou pendant 3 mois, de juin à août, pourquoi pas ? J'ai mis toute l'énergie que je peux pour qu'elle (la BD) continue à être dans un écrin aussi valorisant que possible, c'est évident. On n'est pas dans une situation économique extrêmement favorable actuellement, ni en France, ni à l'échelon local, mais je pense qu'il y a une carte à jouer ici. J’ai l'impression qu’il y a matière à faire pour le rayonnement d’Amiens avec la bande dessinée.

Et puis après il y a cette capacité à utiliser la bande dessinée pour l’éducatif, ce qu'on a développé avec les uns et les autres. J’ai envie de partager ça avec plein, plein de gens qui, y compris dans des territoires en dehors des hauts de France, veulent aussi travailler sur la bande dessinée. Communiquer l'expérience qu'on a acquise en matière d’éducation artistique et culturelle : comment faire lire au collège ? comment éviter de décrocher en élémentaire et du décrochage en collège ? comment faire relire les jeunes en lycée pro, lycée technique ?

On a des outils aujourd'hui. J'adorerais qu'on puisse sur les 10 années qui viennent, les partager avec d'autres structures, d'autres porteurs de projets, parfois des festivals. Ces outils, on les a et on est très partageurs.


© Véronique Lesperat




Propos recueillis par Laurent CIRADE