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« Sortir un album, c’est un privilège »

Interview avec Philippe Luguy

Aloys / BDGest Interview 23/06/2020 à 11:10 5105 visiteurs



Sortir un nouvel album dans une période aussi compliquée, qu’est-ce que ça fait ? 

Philippe Luguy : Ça fait plaisir, pas la période, entre autre parce que c’est toujours une victoire sur soi-même. Réaliser un album, c’est quand même beaucoup de temps. C’est un désir, on décide à un moment donné avec un scénariste ou seul de se lancer dans une aventure dont on sait si elle prendra une année de travail ,un peu moins ou beaucoup plus, à raison d’une dizaine d’heures de dessin par jour, quelques fois plus suivant le contenu et la difficulté du dessin… C’est un long parcours et donc sortir un album c’est aussi quelque chose de rare et un peu exceptionnel, même pour ceux qui ont fait beaucoup d’albums.  Par ailleurs, c’est un privilège… Voir publier quelque chose qui n’était qu’une idée… Et puis c’est un rendez-vous avec les lecteurs… Il y a toujours une forme d’angoisse… A-t-on été à la hauteur des attentes… Un sentiment donc riche et mélangé de plein d’émotions…  

Un album tous les quatre ou cinq ans pour vous…

P.L. : C’est exceptionnel parce qu’on avait décidé avec Jean Léturgie de freiner un peu et j’avais envie de faire d’autres choses : de l’illustration, de partir un peu dans d’autres directions, un besoin de respiration aussi. Et ce n’est pas tous les quatre ou cinq ans… cela fait pour le moment tous les deux ans et demi pour la série Percevan… J’ai d’autres séries :  GildwinSylvio, Karolyn… un one-shot pour Dargaud La Mare aux nymphes en couleurs directes sur scénario de Corbeyran en 82 pages, un projet du même tonneau avec Daniel Bardet au scénario en couleurs directes qui sera également entre 62 et 82 pages toujours en couleurs directes… Etc Etc… Alors je sais bien que nous sommes dans une société de super consommation mais pour une série je préfère lui donner de l’espace et du temps… C’est un choix qui m’a souvent été reproché, mais je me serai ennuyé à ne dessiner qu’une série… J’ai besoin d’aller par les chemins de traverse, d’aller respirer ailleurs…  

Est-ce vous qui décidez de la difficulté du dessin ?

P.L. : Oui, bien sûr, indirectement, en n’étant jamais satisfait de ce que je fais, en essayant d’aller un petit peu plus loin à chaque fois. La difficulté au dessin, c’est aussi d’être enthousiaste chaque jour sur ce que l’on fait, et ce n’est pas du tout évident. Petite anecdote : mon scénariste pour Percevan avec qui j’ai créé la série, espérant que je dessine plus vite, a concocté une histoire avec Xavier Fauche co-scénariste à l’époque qui se déroulait dans le désert… Ainsi, s’est-il dit; il n’y a rien, juste les personnages, un ou deux traits et hop l’affaire est dans le sac… dans le sac de sable,oui. Je n’ai peut-être pas dessiné chaque grain de sable, mais un certain nombre… à son grand désespoir…

Certains dessinateurs disent qu’en arrivant à leur table à dessin, ils ont l’impression d’être les meilleurs du monde alors que quand tout est fini ils sont assez déçus… 

P.L. : Exactement… C’est ça…  Lorsque l’on dessine, effectivement, on est dans l’action, dans la création, la solution des problèmes etc… Mais on n’arrive jamais à atteindre ce que l’on imagine, on est toujours en-deçà. Au moment où on exécute le dessin, on est plongé dedans, absorbé, totalement phagocyté par le dessin. On peut penser par moments « là je suis bon » et puis le soir de toutes façons on est claqué, fatigué, usé, donc on trouve que c’est très mauvais pour rester poli… Quelques fois, le lendemain, quand on revient sur sa planche, on peut trouver que ce n’était pas si mal et qu’on peut le laisser. Parfois, on trouve que ce n’était pas bon du tout. C’est vrai qu’on n’est jamais satisfait de soi et c’est aussi ce qui permet d’avancer. Je trouve que c’est la grande difficulté de ce métier : être toujours enthousiaste parce qu’il faut l’être pour avoir le courage de s’y mettre. Personnellement, j’aime dessiner, donc je m’assois à la table à dessin et je suis content d’y être mais il n’empêche que dans un album, il y a toujours des pages qui ne sont pas faciles à dessiner mais qui sont essentielles à l’histoire, à la narration… C’est toute la difficulté de la bande dessinée. Tous les auteurs que je connais, ou les dessinateurs en l’occurrence, ont une fibre artistique. On voit bien que le graphisme a évolué de manière magistrale ces dernières années. En même temps, on est quand même sommé de raconter une histoire… Je vais donner un exemple qui n’est pas valable pour Percevan… mais imaginons que le héros doive décrocher un combiné de téléphone… il doit prendre son téléphone sur le bureau, le porter ensuite à l’oreille, puis le voir discuter dans deux ou trois cases, couper le téléphone et le reposer sur le bureau, ça peut être intéressant, mais ça peut aussi être très casse-pieds à dessiner… et pourtant c’est indispensable… c’est de la mise en scène. Et si on n’aime pas dessiner les téléphones… tant pis. Donc toutes les pages ne sont pas des pages où on s’éclate totalement mais on finit toujours par y trouver un intérêt et les sublimer. J’ai eu une partie d’échec dans Percevan sur le troisième album L’Épée de Ganaël… Je devais tourner autour des deux protagonistes, et de plus c’était un coup réel d’une véritable partie… J’ai réalisé à l’époque une maquette 3D pour savoir ce qui se voyait dans la pièce par rapport à la situation des personnages et en plus j’ai reproduit  chaque pièce du jeu sur l’échiquier à leur juste place… Là, a contrario, j’étais satisfait du résultat…  

Relisez-vous vos ancien albums ? 

P.L. : Non (rires) mais il va falloir que je le fasse par curiosité… La série s’est étalée sur 35 ans et même si je me souviens de mes albums, j’en ai oublié les détails. Je suis convaincu qu’il y a des lecteurs qui aiment la série et qui connaissent mieux le contenu des histoires que moi. Je suis persuadé qu’en rouvrant mes albums, je vais redécouvrir des choses et ça va me faire drôle, je vais redécouvrir ce que j’étais à l’époque en quelque sorte… Mais je vais revoir tout ce qui cloche, qui ne va pas… Lorsqu’un album paraît et que je l’ai enfin dans les mains, je suis comme un gosse qui a son jouet… mais après relecture, il ne me reste que tout ce que j’ai dessiné et qui ne me convient pas, alors je le ferme et je me dis que le prochain sera bien mieux…   

D’où vient le titre « La Magicienne des eaux profondes » ? 


P.L. : Bien souvent, je trouve les titres. Trouver un titre c’est aussi trouver un sujet, c’est porteur. C’est le cas de celui de La Magicienne des Eaux Profondes… Notamment pour La Couronne du crépuscule, le prochain tome que je suis en train de dessiner, j’ai donné ce titre à Jean qui n’avait à l’origine pas d’idée particulière de sujet, pas plus que moi si ce n’est le titre. C’est en discutant petit à petit tous les deux que nous avons fini par trouver le chemin conducteur et après Jean s’est pris au jeu et se l’est approprié. Il est venu me faire des remarques sur ma façon de dessiner la couronne, il voulait qu’elle soit dessinée d’une façon bien précise. C’est génial parce que ça a été le déclencheur narratif  pour lui. La Magicienne des eaux profondes était annoncé chez Glénat et nous avions commencé le travail, mais il se trouve qu’il y a eu rupture entre nous et Glénat à l’époque à cause d’un directeur de collection et c’est devenu Le Pays d’Aslor aux Éditions Dargaud. Après quelques modifications, quelques approches différentes et la magicienne est devenu un magicien qui s’appelait Sharlaan. Il est devenu un personnage important et récurent de la série. Pour La Magicienne des eaux profondes, 35 ans plus tard, on s’est dit qu’on avait là un titre qui avait été annoncé mais qu’on n’avait pas développé, bien qu’il y ait des lecteurs convaincus qu’il existait… Le désir de certains lecteurs était tellement fort qu’il y en a même qui m’ont soutenu qu’ils l’avaient vu ! C’est extraordinaire ça ! On a donc réutilisé ce titre et dessus s'est bâtie une histoire totalement différente de ce qu’elle était à l’origine mais qui nous a permis de ramener pas mal de personnages de la série.  

Pourriez-vous nous expliquer en quelques lignes ce que vous vouliez faire dans cet album ? 

P.L. : Première chose, savoir qui est cette magicienne… Je ne peux pas révéler le contenu de l’album ! Disons que pour commencer, l’album débute entre une opposition très forte de Balkis vis à vis de Percevan. Il y a une histoire d’amour entre la brune magicienne et notre héros… mais notre héros n’a vraiment jamais franchi le pas, au grand désespoir de nos lecteurs… Elle a de la rancœur vis a vis de lui et c’est le point de départ de cette aventure… un retournement de comportement de Balkis qui sera lourd de conséquences par la suite… Jean a voulu aussi me surprendre, c’est quelque chose qu’il aime bien faire… nous sommes toujours en ping-pong pour surprendre l’autre… et je pense que c’est réussi… Et puis Mortepierre et Polémic sont aussi de retour. En fait les personnages récurrents tels que Balkis, Altaïs, Ciensinfus Polémic, Mortepierre reviennent et j’y ai pris beaucoup de plaisir.  

Il y a quand même de très grands changements à venir dans cet album… 

P.L. : En réalité, notre méthode de travail avec Jean, c’est de nous retrouver et de discuter du sujet du scénario. À la suite de notre première rencontre, Jean travaille dessus et il commence à me parler de ce dont il a envie, la façon dont il aimerait que ça se déroule. Ça me donne aussi des idées que je lui renvoie et qu’il va utiliser, ou pas, créant ainsi les premiers rebonds de la création. Ensuite, je laisse Jean faire et si ça ne va pas ou si j’ai une idée différente ou meilleure - pourquoi pas ça peut arriver -, on se réserve toujours la possibilité de pouvoir modifier et exploiter cette idée. Jean a toujours quelques pages d’avance, mais pas trop justement pour qu’on puisse se réserver cette possibilité de changer, d’améliorer, de remodeler l’histoire. Tout ceci en conservant tout de même le point de départ et le point d’arrivée sans oublier le point culminant, l’acmé.  

Avez-vous des personnages préférés ? 

P.L. : J’aime bien Kervin parce que je suis à l’aise pour le faire vivre. J’aime bien le Guimly parce que c’est moi qui l’ai créé, qui l’ai amené dans la série, il se trouve d’ailleurs que le scénario du troisième album s’est trouvé modifié en partie à cause de l’arrivée du petit animal, compagnon de Kelvin. J’aime bien Balkis aussi… À vrai dire, j’aime bien tous mes personnages, j’aime les retrouver. Il n’y a pas un personnage sur lequel je vais flasher plus qu’un autre. Celui qui me pose le plus de problèmes reste Percevan. C’est un dessin semi-réaliste, il n’est pas très facile à manœuvrer, à faire vivre…  

Du point de vue de son caractère, il ressemble un peu à Tintin… 

P.L. : Je voulais qu’il ait un caractère un peu plus défini. C’est Jean qui a voulu que le lecteur puisse se couler dans le personnage, un peu comme Tintin effectivement. La vraie force de Hergé ça a été de faire en sorte que le lecteur soit Tintin. Tintin finit par disparaître lorsqu’on lit ses aventures. On est accroché au personnage, il vit, il fonctionne, on a même envie de lui ressembler, surtout ceux de ma génération. Courageux, débrouillard, qui découvre et parcourt le monde. Ce sont les personnages annexes qui font toute la puissance. C’est vrai que quand on regarde dans certains albums, surtout les derniers, Tintin est devenu extrêmement passif par rapport à ce qu’il était au début. Au départ, c'était vraiment le petit reporter qui cavalait, qui fonçait, qui faisait de la montagne, se cassait la figure, prenait des risques… Pour Percevan; je ne pense pas que le lecteur se mette à sa place, mais étant disons discret il permet de rentrer dans l’histoire, de se l’approprier au point que certains grands lecteurs m’ont avoué avoir eu enfants leurs premiers émois amoureux avec le personnage de Balkis, ou d’Altaïs…   

Percevan aime plus les femmes que Tintin ! 

P.L. : Quand nous avons créé Percevan, j'étais très attiré par tout ce qui est fantastique, science-fiction… J’avais un coté plus Tintin et Jean était plus Spirou. J’aimais beaucoup Spirou aussi parce qu’il y avait une quantité de séries, ne serait-ce que Franquin mais aussi Macherot, Tillieux et tant d’autres… C’est moi qui ai amené le coté fantastique dans Percevan parce que j’ai convaincu Jean qu’il fallait qu’on tire vers la magie, vers l’extraordinaire. À l’époque, je lui ai fait remarquer que dans notre vie, au XXe siècle, il y a des superstitions, des gens qui croient en des tonnes de trucs et que l’Homme a besoin de ce côté fantastique, merveilleux, imaginaire. De plus, le moyen-âge s’y prête beaucoup. C’est donc comme ça que s’est créée la série, qu’elle s’est modelée petit à petit. Jean serait plus resté dans un esprit tiré vers l’humour, il cherchait à faire un petit peu style Astérix, d’où le nom de Ciensinfus… J’étais plus dans le désir de créer des histoires dans lesquelles il y ait un personnage avec un univers dans lequel le lecteur peut avoir du plaisir à s’aventurer. C’est la confrontation entre lui et moi justement qui a donné Percevan. Par contre, les femmes dans Percevan, c’est un grand point d’union entre lui et moi. Nous n’imaginions pas animer un personnage asexué…  

C’est pour ça qu’il y a plus de femmes que dans les autres séries de l’époque ? 

P.L. : Oui, la BD dite classique restait assez prude de ce point de vue et la Castafiore, bien que talentueuse, n’était pas tout à fait la créature érotique de nos rêves…, on était en plein dans l’essor de la bande dessinée dite « pour adultes » et on trouvait qu’il manquait de vraies femmes dans les séries jeunesse… à part Natacha bien entendu ou Colombe Tiredaile… Nous avons décidé que Percevan aurait des aventures amoureuses. Beaucoup de gens m’ont dit que c'était leur Johan et Pirlouit des années 80, ce genre de choses, et ce que l’on pouvait reprocher à ce genre de bande dessinée et notamment Tintin, c’est qu’il n’y avait pas de femmes, qu’elles n’étaient pas trop jolies, qu’il n’y avait pas de sexualité et que ce n’était pas normal. Nous avons donc fait de notre héros un homme sensible à la gente féminine. Et les femmes de la série n’hésitent pas à draguer Percevan… Pour Kervin, c’est différent, on peut vraiment se poser la question, il ne pense qu’aux fèves au lard, son plat préféré……   

Pour cet album vous changez d’éditeur…

P.L. : Oui, et d’ailleurs, le proverbe dit jamais deux sans trois… puisque nous étions chez Glénat puis chez Dargaud… La motivation vient du fait que c’est une jeune équipe. C’est quelque chose qui se monte alors c’est une prise de risque bien sûr, mais j’ai toujours un côté un peu aventurier et je trouve que ce sont des gens sympas. Je trouve agréable d’être dans le devenir, en tout cas j'espère que ce le sera. En ce moment, nous sommes dans une période difficile avec le confinement et ses conséquences et j'espère que ça ne va pas trop les impacter négativement, mais c’est toujours intéressant d’être dans la création de quelque chose. J’aime ça parce que c’est la vie… Je ne sais plus qui disait j’aime le futur car c’est le temps dans lequel je vis… J’ai travaillé pour beaucoup d’éditeurs et je reste toujours en bons rapports avec eux. Pour 

Percevan, Dargaud n’était plus vraiment la maison qui correspond au personnage actuellement. J’insiste sur « actuellement » parce qu’il y a une période où on était bien dans le jus mais la politique éditoriale est moins axée sur la BD tous publics ou grand public, ce qui nous a incités à ne pas poursuivre chez eux…Toutefois, que ce soit chez Glénat ou chez Dargaud, les albums précédents restent exploités et sont toujours réédités… pour quiconque veut compléter sa collection…

Un tirage de tête est sorti il y a quelques mois maintenant avec des hommages rendus par de nombreux auteurs… 

P.L. : Oui, édité par des passionnés chez l’Onomatopée. C’est un volume qui devait faire 60 pages et il en fait 120 de plus. Il réunit toute l’histoire de la série uniquement avec les pages au crayon, ce qui ne s’était jamais fait pour la série, avec insérées entre les pages six illustrations couleurs hors texte un peu à la façon des vieux Tintin (on y revient). Puis il y a un cahier graphique reprenant les travaux et illustrations de recherches, puis la galerie des personnages de la série avec descriptifs de leurs caractères, le tout en dessins et illustrations inédits. Il se trouve qu’en plus c’était le moment de mes 50 ans de publication… aussi j’ai demandé à quelques collègues et amis s'ils voulaient bien faire un dessin hommage dans l’album… J’ai moi-même été surpris ! C’est extrêmement touchant. D’un seul coup, il y a eu 90 auteurs qui ont accepté, c’est pas rien… et certains autres m’ont dit flûte j’aurais aimé te dessiner un petit quelque chose… Ils étaient heureux de le faire et ils l’ont fait avec spontanéité et beaucoup de gentillesse… sans compter le talent de chacune et chacun… ce qui fait que l’album a pris du volume et est passé à 182 pages… Je ne citerai pas les noms car il faudrait les citer tous… mais quel honneur et quelle joie de retrouver tous mes vieux amis ou presque et les plus jeunes également, j’en suis encore tout surpris et disons-le, fier aussi.

C’est une série qui a marqué beaucoup de gens… 

P.L. : Justement, ça m’a peut-être fait réaliser l’impact qu’a eu cette série alors que je n’en avais pas du tout conscience. Nous sommes un peu des autistes… seuls sur nos planches à dessins. Lorsqu’on est plongé dans son histoire on est dans une bulle… C’est nécessaire et souvent on émerge à la fin de la journée, fatigué et un peu étourdi… Il faut atterrir en quelque sorte, donc on ne réalise pas que l’on va être lu et donc, par voie de conséquence, que l’on va avoir un impact positif ou négatif ou mitigé sur le lecteur… C’est ensuite… Actuellement je dédicace dans beaucoup de festivals et j’ai les témoignages qui me font prendre conscience que j’ai fait rêver au travers de mes petits héros de papier.  

Il aura fallu 40 ans pour ça ! 

P.L. : 50 même… Oui mais je suis lent à la détente… Et je suis toujours surpris ! Je sais que la série a une certaine audience. J’avais posé la question à Uderzo, quand il se mettait à la planche à dessin en sachant que son album allait être tiré à deux, trois ou quatre millions d’exemplaires, si ça ne lui fichait pas le trac. Et il m’avait  répondu que non car lorsqu’il était sur ses dessins, il ne pensait pas au lecteur mais à l’aventure. En fait on ne réalise pas. Si je vendais quatre millions d’albums, à part mon compte en banque qui s’en porterait beaucoup mieux, je chercherais à imaginer ce que ça représente en volume, si j’empilais les albums les uns au-dessus des autres. C’est beaucoup, mais c’est beaucoup comment ? C’est plus haut que La Tour Eiffel ? Que le Mont Blanc ? Et comme me disait Uderzo, il ne s’attendait absolument pas à un succès pareil. Avec Percevan et des tirages bien moindres, je n’ai pas réalisé l’impact que ça pouvait avoir. Pareil avec Sylvio mon autre série. Quand je la faisais, je ne réalisais pas que je faisais rêver des gosses et que ces gosses qui ont maintenant 40 ans viennent me voir en m’en parlant et rachètent mes albums pour se souvenir de leur enfance. C’est extraordinaire… C’est un retour fabuleux.   

L’album suivant est-il déjà en route ? 

P.L. : Oui, j’en suis à la page 24 .Il me semble que nous sommes un certain nombre à avoir mis à profit le confinement pour nous concentrer sur notre travail un peu plus qu’à l’habitude. Je ne compte pas le nombre de pages qu’il me reste à faire, il ne faut pas compter comme ça. Le seuil, c’est quand on passe la première moitié de l’album parce que là on a monté la cote et après ça redescend et j’y suis. Par la suite, la grande difficulté, le plus pénible, ce sont les six dernières pages parce qu’on a l’impression qu’on ne va jamais y arriver. C’est psychologique parce qu’on ne met pas plus ou moins de temps à réaliser les pages, le rythme est à peu près identique. C’est comme le sportif qui doit parcourir les dix derniers mètres de son marathon, ces dix mètres vont lui arracher les poumons ou le cœur. Nous ce sera les mains et le dos… le bas du dos aussi… Le mot FIN au bas de la dernière page brille de tout son sens…  

L’objectif, c’est pour quand ? 

P.L. : Pour l’instant, l’objectif ça serait qu’il sorte pour le mois de novembre prochain… mais on va voir les circonstances, comment les choses se passent surtout. C’est un but, mais il y aura une sortie rapprochée. Il n’y aura pas quatre ou cinq ans d’écart entre cet album 16 et le 17… Il est bien parti. La particularité de celui-là, c’est qu’il contient toute une nouvelle galerie de personnages. Nous passons à autre chose et la nouvelle galerie de personnages sera, me semble-t-il, assez sympa à découvrir…  


Vous les avez définis ensemble avec Jean ? 

P.L. : Il m’envoie les traits caractères et je les lui réclame d’ailleurs, parce que parfois, il me donne simplement le nom… Je lui renvoie les maquettes… C’est important d’accorder nos violons… Le physique est important car il est le reflet du caractère…  


Il ne vous donne pas d’indices graphiques ? 

P.L. : Non pas vraiment… il me donne le nom, l’âge, le sexe, et le rôle : magicien, soldat, Roi etc etc… Ensuite mon graphisme va l’influencer également… mais les caractères sont là… Par exemple, pour la création d’un personnage, si je prend le mage Sharlaan lorsqu’il est apparu dans l’histoire, s’est posée la question de son physique… Ma première approche était avec un aspect presque insecte, très filiforme, maigre… et il ne me convenait pas… Deux mois plus tard, j’ai vu à la télé le chorégraphe Maurice Béjart, et ça a été la révélation, j’avais le visage de mon mage… vite un carnet, un crayon et j’ai gribouillé vite fait un portrait approximatif… ensuite j’ai peaufiné et Sharlaan était…  

Finalement, il a fini maigre quand même… 

P.L. : Oui mais comme beaucoup de mages… il est mince… assez grand… pas très sympathique finalement d’autant qu’il est ambigu de caractère, versant tantôt d’un côté sombre pour revenir vers plus de lumière, manipulateur à souhait… on l’a laissé en plein duel contre Moriane… Nul ne sait qui sortira vainqueur de cette bataille sans pitié…  

Avez-vous encore un objectif que vous voudriez réaliser par rapport à la série ?

P.L. : Mon objectif, notre objectif devrais-je dire, c’est de nous amuser et d’avoir du plaisir à faire vivre la série, de donner du plaisir au lecteur. Nous y sommes attachés avec Jean, c’est aussi une histoire d’amitié dans la vie et dans la création. C’est continuer la route de papier et de couleurs. Il y a beaucoup de lecteurs qui attendent d’autres albums et le temps n’est pas venu de poser le stylo et les crayons…  

C’est une série qui se prêterait probablement bien au dessin animé… 

P.L. : Bien sûr. Tout ce que j’ai fait en bande dessinée est indirectement fait pour une adaptation en dessin animé. Hélas, pour le moment, rien n’est envisagé de ce point de vue… donc on lance l’appel… Tout est prêt, il y a même les model-sheet des personnages principaux, l’univers, une riche galerie de personnages, les scénarios… C’est vraiment sincèrement une série prédestinée à l’adaptation animée…  

N’y a-t-il jamais eu de propositions en ce sens ? 


P.L. : Je n’ai jamais rencontré des gens qui se sont battus pour le développer. Peut-être que ça va venir, il n’est jamais trop tard pour bien faire. J’aimerais beaucoup que notre série soit portée à l’écran parce qu’elle est très riche et elle mérite complètement d’être développée car elle réunit à le fois l’aventure, le fantastique merveilleux et l’humour ! Il y a les  éléments de base pour pouvoir le faire. Personnellement, j’aimerais vraiment beaucoup une série de 52 épisodes ou quelque chose comme ça. C’est vrai que je ne comprends pas pourquoi nous n’avons pas eu de proposition. J’ai un graphisme qui est assez poussé, très dans le détail, et j’ai l’impression que s’ils veulent respecter totalement mon dessin en faisant une adaptation cela peut paraître difficile. En réalité, les personnages supportent très bien une simplification des traits, ils sont créés comme ça à la base… très simples…  

Peut-être se posent-ils la question de savoir à qui ce dessin animé serait destiné… 


PL : Tout public, c’est une série qui s’adresse à tous…vraiment… et si mon graphisme est plutôt jeunesse, le contenu des histoires est loin d’être mièvre et s’attaque même à des sujets sérieux tels que l’acceptation ou le refus de la mort ,voir Le Sablier d’El Jérada… donc le dessin animé pourrait encore plus développer les caractères des personnages… nous n’avons pas dit notre dernier mot…


Aloys / BDGest