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« La fin du cycle 3 m’a été soufflée par un lecteur »

Entretien avec Mathieu Reynès

Propos recueillis par L. Gianati et C. Gayout Interview 18/02/2020 à 10:58 9780 visiteurs

Cinq tomes en quatre ans : on ne pourra pas reprocher à Mathieu Reynès de faire patienter ses lecteurs trop longtemps ! Et c'est heureux tant l'auteur d'Harmony distille les indices de son histoire avec parcimonie et construit, au fil du récit, une œuvre passionnante qui tient en haleine son public d'adolescents mais pas que... Le tirage de tête du cinquième volume est sorti quelques semaines avant Quai des Bulles, l'occasion d'en apprendre un peu plus sur cette série palpitante. 


5 tomes d’Harmony en 4 ans, ça veut dire travailler 7 jours sur 7 sur cette série ?

Mathieu Reynès : C’est vivre avec, ça c’est sûr. 7 jours sur 7, non. Plutôt 5 ou 6 oui, et quand je n’y travaille pas j’y pense…

Ça n’engendre pas de phénomène de lassitude ?

M.R. : Non, pas du tout. Plus j’avance sur la série, plus j’ai des idées pour la suite. J’ai carte blanche de la part de Dupuis. Donc vraiment, pas de lassitude, au contraire, envie d’aller plus loin encore…

Le secret est d'essayer de se renouveler sur chaque album ?

M.R. : Oui, forcément. Peut-être pas sur chaque album car il y a un fil conducteur sous forme de cycles... Une fois que le cycle est mis en place, je m’y tiens sur 3 ou 4 albums, mais après, oui, je n’hésite pas à apporter de nouveaux éléments en fonction de mes inspirations diverses, que ce soit des séries ou des lectures.

Le tirage de tête sort avant l’album classique : un choix marketing ?

M.R. : Non, c'est un choix d'auteur (rires) ! En fait, on avait déjà fait un tirage spécial pour le tome 1 avec un cahier graphique en plus et des planches du tome 2. Mes lecteurs m’ont réclamé la même chose pour la suite. Dupuis n’était pas trop chaud et, encore maintenant, ça reste exceptionnel. J’ai pris beaucoup de retard sur le tome 5 et j’avais quand même envie qu’il y ait une sortie cette année (en 2019, NDLR) pour que les lecteurs n’attendent pas trop. On a donc réfléchi avec Dupuis à ce qu’il serait possible de faire et j’ai proposé qu’on fasse un tirage noir et blanc. Vu que j’ai changé ma méthode de travail et que j’ai des planches assez poussées en noir et blanc avec les ombrages, j’ai demandé si on ne pourrait pas faire un tirage limité pour ceux que ça intéresse vraiment à un budget raisonnable. Comme ça il y a une sortie en septembre et si on peut sortir l’album couleur derrière on le sort et si il faut le repousser, on le repousse. Il se trouve que l’album couleur sort maintenant (en novembre 2019, NDLR). On hésitait pour Angoulême 2020 ou que ça sorte maintenant. Au départ, c'était quand même mon idée à moi et l’éditeur était bof puis finalement il y a eu un bon retour de la part des commerciaux.

Pensez-vous que les lecteurs vont acheter l’album couleur s’ils ont déjà celui en noir et blanc ?


M.R. : Ça va dépendre des lecteurs. Le tirage noir et blanc est de 2000 exemplaires. Heureusement, nous misons plus que sur 2000 exemplaires par tome (rires). Il y en a qui vont acheter les deux, d’autres qui n’achèteront qu’une version, chacun fera son choix. Les gens qui suivent vraiment la série achèteront je pense les deux versions ou au moins le 5 en couleur. Je pense que le noir et blanc c’est vraiment le petit plus pour ceux que ça intéresse de voir le travail du dessinateur.

Vous dessinez vos albums avec des musiques de Thomas Kubler. Cela a été également le cas pour le tome 5 ?


M.R. : Non, malheureusement la collaboration s’arrête. D’une part parce que Dupuis estime qu’ils ont fait l’effort sur quelques albums mais que ça n’apporte pas de commandes de ventes en plus. D'autre part, Thomas, qui est étudiant, commençait à avoir beaucoup de travail et des demandes, donc divers projets, plutôt liés au cinéma ou d’autres choses comme ça. Donc voilà, il se trouve que notre collaboration s’arrête. Il a dit qu’il essayerait de faire de la musique quand même mais juste pour le plaisir donc il va la faire, quand il sera disponible à un moment donné donc je ne sais pas s’il ira jusqu’au bout. Il a fait l’expérience sur les quatre premiers, déjà c’est bien, il est content.

D’une manière plus générale, proposer une sorte de B.O à un album c’est quelque chose qui vous intéresse ?

M.R. : Oui, ce serait plutôt de proposer ce qui moi m’a inspiré ou ce que j’écoute pendant que je travaille. Ce n'est pas forcément une musique grand public parce que j’écoute beaucoup de métal, donc, est-ce que ça va vraiment intéresser les gens ? Je ne suis pas sûr. Mais après, oui, ça pourrait être une suggestion, de dire sur telle séquence j’ai écouté tel groupe, pourquoi pas... J’écoute du métal mais aussi des musiques de film, un genre de musique classique.

Depuis le premier tome on a l’habitude de voir la trame narrative montée en puzzle, une façon de jouer avec le lecteur ?

M.R. : C’est vraiment pour jouer avec le lecteur oui. L'idée est de lui mettre un petit peu des bâtons dans les roues pour l’obliger à s’investir un petit peu plus dans la série et creuser pour trouver des indices et reconstruire le puzzle. Au fur et à mesure en fait, je me suis rendu compte que c'était aussi pour me pousser à réfléchir un peu plus à mes histoires. Je mets des éléments dans mes albums en me disant « tiens, je mets ça là, et on verra plus tard comment je le raccrocherai à la série ». Ce sont des petits jeux que j’ai avec moi-même. Mais bon, l’idée de départ c’est quand-même de jouer avec le lecteur pour le perdre un petit peu pour que lorsqu'il commence à comprendre un truc il se dise « ah ouais, ça y est, j’ai compris ! ».

Cela renforce aussi le côté addictif…

M.R. : Oui, tant qu’à faire ! Plus on a de questions, plus on a envie d’avoir les réponses. Il faut donc rester accroché à la série.

Vous citez Vincent Quirin qui a bossé sur la 3D. Quel est son rôle sur l’album ?


M.R. : En fait, Vincent modélise une partie des décors, ce que je faisais moi sur les premiers albums. Comme j’avais souvent des décors récurrents, je les modélisais en 3D puis je travaillais comme ça, comme base de travail. J’ai rencontré Vincent qui, en gros, est architecte d’intérieur. Il travaille en 3D et donc je lui ai proposé qu’on collabore ensemble. Je lui fournis des croquis, des descriptions et il me construit les décors en 3D. Je m’en sers après pour les retravailler et les intégrer à mes planches. Il me fait gagner du temps.

Au fil des albums on découvre que toutes les figures protectrices disparaissent les unes après les autres. On se rapproche de l'esprit du conte...

M.R. : Oui, mais ce n’est pas volontaire pour le coup. C'est vrai que ça rentre dans le schéma de ce genre d’histoire où il faut couper le cordon, que mes personnages adolescents deviennent adultes, autonomes et prennent des décisions par eux-mêmes et quittent le foyer. Même si ce sont tous des orphelins, il y avait quand même effectivement l’attache à Nita pour Harmony. Les adultes méchants sont quand même des référents adultes.

Les trois enfants ont de fortes personnalités. Indispensable pour mieux supporter leurs pouvoirs ?

M.R. : Je ne sais pas. Je pense que c’est le propre de tous les adolescents d’avoir un fort caractère. C’est une période de la vie où on cherche à s’imposer justement au niveau du trait de caractère face aux adultes. Après, ce sont des héros donc il faut qu’ils aient une personnalité assez forte. Chacun a son pouvoir donc chacun a son petit bout de caractère et agit différemment par rapport aux situations. Je les fais évoluer au fur et à mesure des albums. C’est vrai que la première saison était très consacrée à Harmony. Dans la seconde, Eden prend plus de place. Sur le tome 6, c’est Payne qui va un petit peu passer sur le devant de la scène. J’essaye de rééquilibrer les personnages parce qu’il n'y a pas vraiment Harmony en tête d’affiche et les seconds rôles derrière qui sont là juste pour faire joli.

Est-ce que se renouveler c’est aussi créer de nouveaux personnages, mettre en scène d’autres enfants ?

M.R. : Complètement. Si vous avez lu le tome 5 vous noterez qu’il y a un personnage qui revient, c’est Chester qui était présent dans le tome 1 et que j’avais laissé de coté. Il revient juste à la fin du tome 5 et il sera très présent dans le tome 6. Le tome 6 fera le lien entre le 4 et  le 5, il va venir s’insérer entre les deux.

Il va venir expliquer la première case du tome 4 ?

M.R. : La première séquence du 4 ? Alors non, ce sera dans le tome 7 ! Le deuxième cycle est en 4 tomes. Ça devait être en trois tomes mais j’ai vu avec l’éditeur pour rallonger un peu pour que ça rentre. Effectivement, le tome 7 va venir se placer avant le début du tome 4.

Attendre trois tomes pour avoir une explication, c’est dur quand même…


M.R. : C’est compliqué pour moi aussi parce que je mets quelque chose en place au début du tome 4 puis, arrivé au tome 7, je me rends compte que je l’avais dessiné comme ça et qu’il faut que je me raccroche à ce que j’ai déjà fait.

La haine entre Nememtoth et Azhel, est-ce un détournement du mythe de Caïn et Abel ?


M.R. : Non, ce sont des grands archétypes mythologiques où, effectivement, il y a des fratricides : les oppositions de frères, les oppositions de pouvoir, d’ambition, etc.

Certaines scènes d’action font un peu penser aux comics...

M.R. : Oui, je lis très très peu de franco-belge. J’en lisais beaucoup quand j'étais gamin. Après j’ai eu une grosse période comics mangas et aujourd'hui je lis très peu de BD mais principalement du comics et quelques séries franco-belges.

Quel type de comics ?

M.R. : Ça dépend vraiment du dessinateur en fait, plus du dessinateur que de l’histoire. Parfois, je vais lire 2-3 épisodes de telle série parce que c’est ce dessinateur-là puis après je vais switcher sur autre chose. En ce moment, j’aime beaucoup ce que fait Pepe Larraz. Il travaille actuellement sur House of X et avant il avait fait un bouquin sur les X-men.

Le choix de Valérie Vernay pour les couleurs fait-elle suite à votre collaboration sur La Mémoire de l’eau ?

M.R. : Oui, on est habitués à travailler ensemble depuis longtemps. C'est mon ex compagne avec qui j’ai vécu pendant de très nombreuses années donc on a une vraie complicité dans le travail. On se fait complètement confiance donc pour moi c'était logique que la coloriste d’Harmony soit Valérie. Actuellement, on travaille sur un projet ensemble. On en est aux deux tiers du tome 1. Ce sera trois albums de 70 pages sur un thème qui ressemble un peu à celui de La Mémoire de l’eau même si ça va se passer dans les années 30. On reste sur une histoire très réaliste avec une petite touche de fantastique. Un petit entre-deux où le fantastique vient juste perturber une réalité assez lourde, pesante.

Le fait d’avoir une coloriste, ça vous permet de travailler plus vite ? 

M.R. : Non, pas vraiment. Ce serait le cas si la couleur se faisait en parallèle des planches. Je fais tout l’album et, en général, Valérie arrive après, à la fin, et moi je participe à la couleur aussi. Au final, on attend vraiment que l’album soit fait pour consacrer du temps à la couleur. Donc oui ça fait gagner du temps parce que je ne le fais pas tout seul mais ça ne se fait pas en parallèle malheureusement. Il y a quand même deux mois consacrés à la couleur.

Qu’est-ce qui est le plus important : de caractériser des personnages positifs ou de trouver un super méchant plus charismatique ?


M.R. : Je pense que l’un ne va pas sans l’autre : on n’a pas de super héros sans super vilain. Un héros tout puissant face à un super méchant n’a finalement plus d’intérêt. Il faut vraiment qu’il y ait une confrontation et un équilibre de force et des enjeux.

Le super méchant est seul alors que les héros sont en équipe…

M.R. : Oui, enfin... Le super méchant trouve des alliés aussi et il a en plus des moyens illimités donc il a toujours des soldats à envoyer au front. À la fin du tome 5, on voit arriver le nouveau super méchant dont Mika, en l’occurrence, qui a l’esprit d'Azhel. Il va monter en puissance dans les tomes 6 et 7.

Avec Eden, on ne sait pas trop de quel coté elle va pencher…

M.R. : Je ne sais pas trop encore non plus (rires)… On va voir comment ça évolue ! Mais je le dis souvent, ça parait un peu bête, mais des fois j’ai l’impression que les personnages évoluent par eux-mêmes au fur et à mesure des albums et moi je me contente de raconter leur histoire et je ne suis plus maître des personnages. Au début, Eden ne devait pas du tout avoir ce rôle-là puis, au fur et à mesure de l’histoire et des retours avec les lecteurs, elle a pris de l’importance et ses pouvoirs aussi. Elle devient vraiment le personnage principal du second cycle avec des pouvoirs qui la dépassent elle-même. À voir dans la suite si elle va réussir à garder le contrôle et à choisir le camp qu’il faut…

Le retour des lecteurs peut donc influencer votre scénario ?

M.R. : Complètement, oui. D’un cycle à l’autre car une fois qu'un cycle est lancé c’est difficile de revenir dessus. Comme je fais des cycles courts de 3-4 albums, ça me permet de rebondir sur la suite et de le faire évoluer. Je ne peux pas tout raconter, mais à la fin du cycle 3 il va se passer quelque chose qui m’a été soufflé par un lecteur qui m’a dit « tiens, tu ne pourrais pas faire ça ? »

À quoi ressemble une journée de travail type ?

M.R. : Je travaille toute la journée. Je me lève assez tôt, à 6h30. Dès 7h30, je suis à mon bureau pour gérer les petits mails, etc. En général, à partir de 8h je commence à préparer ma page. Une pause de 1h-1h30 pour le repas, puis je reprends jusqu’à ce que ma femme me dise « bon, on est là, tu reviens ? », donc jusqu’en début de soirée. Avec du métal en fond… plus ou moins fort en fonction de mon humeur et en fonction du travail. C’est vrai que pour du storyboard, en général, c’est plutôt tranquille, donc une musique basse. Pour le dessin et l'encrage, le niveau monte un peu…

Avez-vous une idée du nombre de cycles total que comportera la série ?

M.R. : On s’est calés sur trois avec Dupuis sachant que ça pourra continuer en fonction de l’engouement du public. Si la série continue à bien marcher on continuera. Si on sent que ça s’essouffle on n’insistera pas. Pour moi il y a 10 albums de sûrs.




Propos recueillis par L. Gianati et C. Gayout

Bibliographie sélective

Harmony
5. Dies Irae

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La mémoire de l'eau
Intégrale

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Alter ego (Lapière/Renders)
1. Camille

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