Sur Ulule, vous indiquez : « Le système actuel de la chaîne du livre ne me convient plus. » Quel est, selon vous, le maillon faible de cette chaîne ?
Marc Moreno : À n’en pas douter : l’auteur ! Alors que paradoxalement il est LA condition sine qua non pour qu’un livre existe. Sans créateur, pas de création ! Nous sommes à un carrefour très difficile pour la profession, les raisons de cette situation catastrophique sont nombreuses et tout le monde a une part de responsabilité, mais le fait est que ce sont les auteurs qui payent le plus lourd tribut à cet état des choses.
Quel est l’avantage majeur du financement participatif ? Placer le lecteur et l’auteur au centre du projet ?
M.M. : Il y a beaucoup d’avantages à faire un fi-pa (financement participatif). Le premier que je vois est ce lien direct que l’on a avec les lecteurs. En plus d’une formidable source d’énergie, pétrie de sympathie et d’enthousiasme, ce lien me fournit des retours quasi-instantanés sur tout ce qui est essentiel à l’avancement du projet. Je sais déjà ce qui va plaire, quelles sont les attentes, les perspectives possibles, etc… Et bien que mon histoire soit écrite depuis longtemps, je vais pouvoir appuyer tel développement, mettre en exergue tel sentiment, peaufiner, ciseler, bref : faire de l’orfèvrerie d’art afin d’offrir aux lecteurs un bijou qui leur sera familier dès la première page.
Un autre avantage d’un fi-pa, et pas des moindres, est de pouvoir décider seul, de tout. Ces décisions, je les prends après concertation avec les principaux intéressés (écouter les souhaits des lecteurs, les conseils de l’équipe Ulule, ceux de l’imprimeur, etc.), mais au final je suis celui qui connait le mieux le projet, donc je suis celui qui tranche. Le format par exemple était prévu pour 72 pages à la base. La BD comptera 128 pages dans sa forme imprimée. On m’a traité de doux dingue (gentiment), que j’allais me planter en beauté, qu’il était plus malin économiquement de couper l’histoire en deux et faire 2 BD. Peut-être. Nul ne sait. En revanche, ce que je sais pertinemment, c’est quel genre de livre me fait voyager. Cela fait déjà un lecteur de conquis ! (sourire)
Il y a bien d’autres avantages, comme être l’artisan d’un nouveau système et donc en être un acteur majeur ; comprendre comment articuler ce nouveau système autour de la création, etc…
En revanche, l’auteur doit aussi revêtir plusieurs autres capes dont celle de responsable marketing ou d’éditeur. Le costume n’est-il pas trop lourd à porter pour un seul homme ?
M.M. : Nous avons parlé d’avantages, il y a bien sûr des revers de médaille. Se séparer du trio éditeur/diffuseur/distributeur implique d’endosser leurs tâches respectives, car ces réalités ne disparaissent pas avec eux. Je ne m’attendais pas à une promenade de santé. J’ai bien pesé ces changements dans mon futur métier d’auteur et je les accepte avec une grande lucidité. Autant que faire se peut, j’essaie même d’y trouver du plaisir. Pour ce qui est de l’édition et de la diffusion, deux décennies à les côtoyer me suffisent, sinon à être un expert, au moins à avancer sur un chemin que je connais. Quant à la distribution, je ne suis pas plus bête que la moyenne et je devrais pouvoir faire face à quelques centaines d’envois postaux. Mes frères et sœurs se sont déjà portés volontaires pour m’aider ! (sourire)
L’auteur de BD est souvent associé à un personnage solitaire et taiseux. Comment se muer en véritable communiquant pour intéresser et attirer de futurs lecteurs potentiels ?
M.M. : Nécessité fait loi. Il suffit juste de savoir clairement ce que l’on veut, dès le départ. J’ai râlé pendant des années après mes éditeurs à propos de l’absence de communication sur mes albums (et je n’étais pas le plus à plaindre, loin de là !). Désormais, si je ne me bouge pas pour parler de ma création je risque de pester contre moi-même autant que contre mes éditeurs et je m’aime trop pour en arriver là. (sourire) Plus sérieusement, être auteur/éditeur et occulter le fait que son œuvre culturelle est aussi un bien commercial reviendrait à être un grand ténor et ne vouloir chanter que sous sa douche. Ça serait stupide, surtout si l’on veut partager sa passion !
M.M. : En regardant d’autres campagnes, en réfléchissant à quels étaient mes atouts pour atteindre mon objectif (12 000 euros) et avec quelques tubes d’aspirine ! Inventer des contreparties cohérentes les unes avec les autres est un vrai casse-tête.
Plus de 50 000€ récoltés ce jour – et ce n’est pas fini – sur un premier objectif de 12 000 €. Vous attendiez-vous à un tel plébiscite ?
M.M. : Juste avant d’appuyer sur le bouton de lancement de la campagne (c’est le porteur de projet qui en a la maîtrise), j’étais un navigateur en plein océan de brume, je n’avais pas la moindre idée du voyage que j’entreprenais. Tout au long de cette campagne, j’ai fait des projections, échafaudé des développements, tracé des cartes mais, à chaque fois, un événement faisait tout chavirer d’un jour à l’autre ou mettait du vent dans mes voiles. Je suis passé d’une confiance inébranlable, à un abattement déprimant, pour revenir à une solide assurance, parfois en quelques heures. Une gymnastique très épuisante ! Ma seule boussole était mon ardeur à l’exploration. Maintenant, j’ai la terre en vue et c’est une belle découverte que je fais chaque jour.
Une partie des recettes sera reversée à une O.N.G. qui lutte pour la biodiversité. Une cause qui vous tient particulièrement à cœur ?
M.M. : Depuis toujours. J’ai enfin les moyens de faire autre chose que signer des pétitions (que je continue de faire), et je n’allais pas m’en priver ! Les primates me fascinent depuis l’enfance. 1 euro par contributeur sera prélevé sur ma part d’auteur/éditeur pour venir en aide à deux associations qui luttent pour la sauvegarde des gorilles et des bonobos au Congo Kinshasa. J’ai mis cela en place avec Brice Lefaux, de la Fondation des Primatologues de France et mon ami l’auteur Daniel Alexandre (un autre amoureux des primates). Cette initiative a contribué à rendre la difficulté de mener cette campagne un peu plus douce, à chaque fois qu’un euro tombait pour la biodiversité.
Quel est votre regard sur Sandawe et sa récente cessation d’activité ?
M.M. : La première fois que j’ai envisagé un fi-pa, j’ai naturellement pensé à Sandawe. Quand je leur ai demandé un contrat pour lecture et que j’ai vu qu’ils me logeaient à la même enseigne que n’importe quel autre éditeur, je me suis ravisé. Je n’y voyais aucun intérêt pour moi.
Je ne connais pas les raisons de leur cessation d’activité. Par contre, je connais des auteurs pour qui l’aventure s’est interrompue brutalement. Je suis triste pour eux et j’espère qu’ils rebondiront assez vite. C’est à ce genre de déconvenues que je ne veux plus être confronté (par quatre fois des éditeurs ont été la cause de l’abandon d’une de mes séries), je ne veux plus faire les frais de la mauvaise stratégie d’autrui.
Quelques mots sur la création de « 49 bees » ? Une maison d’édition uniquement destinée à Marc Moreno ou laisse-t-elle la porte ouverte à de futures autres collaborations ?
M.M. : Oui elle ne sera consacrée qu’à ma production. Sa forme juridique n’est pas adaptée pour des cales surchargées de projets de toutes façons. De plus, j’ai trop à apprendre dans ce domaine pour embarquer quelqu’un avec moi et risquer de l’entraîner dans un naufrage. Quoi qu’il en soit, si par bonheur je devais accueillir d’autres auteurs à bord du « 49 Bees », ça ne se fera pas sur les bases du système d’édition que je ne cautionne plus. Le livre est en profonde mutation, l’édition doit muter elle aussi.
Quand vous avez commencé à écrire Steamygal, étiez-vous déjà certain de destiner ce projet au financement participatif ?
M.M. : J’ai écrit ce projet pour du fi-pa. Je ne l’ai montré à aucun éditeur. La seule fois où j’ai parlé à un éditeur de financement participatif, il m’a rétorqué (sans humour) que c’était « une déclaration de guerre ». J’espère qu’il changera son discours et ne verra plus ce genre d’entreprise comme de la concurrence, mais pourquoi pas comme un éventuel partenariat d’égal à égal. Tant de choses restent à inventer.
Pouvez-vous résumer le scénario de Steamygal en quelques mots ?
M.M. : Dans un univers Steampunk, Adélie Francoeur et Rose Trouvée sont agents du redoutable Steamygal : département de la police qui mène des enquêtes étranges, à la lisière du fantastique. De mystérieuses créatures commettent une série de massacres dans les rues d’Atmopolis. Nos Steamygals devront aller au-delà d’elles-mêmes pour mener l’enquête.
Où en êtes-vous de la réalisation de l’album ?
M.M. : Je travaille par poste. Pour 128 pages je fais tout le scénario, tout le storyborad (que j’ai dessiné deux fois !), tout le design, tout le noir & blanc et enfin toute la couleur. J’en suis au noir & blanc et j’ai encré une trentaine de planches. Avec les étapes précédentes, je dirais que ça correspond à 40% de la BD. J’ai un été/automne très studieux devant moi. (sourire)
Steamygal est-elle destinée à devenir une série au long cours ?
M.M. : Un album, une histoire. Une série de one-shots. Ce format permettra au lecteur d’abandonner en cours de route sans frustration, ou d’embarquer sans être perdu. Tant que je trouverai des sujets d’enquête qui valent d’être contés, que j’y prendrai du plaisir et que les lecteurs seront avec moi, oui, nous voguerons au long cours.
Que peut-on vous souhaiter pour les prochains mois à venir ?
De tenir bon la barre ! (sourire)
POUR PARTICIPER AU PROJET, RENDEZ VOUS SUR : https://fr.ulule.com/steamygal/