L'Âge d'Or a été l'une des lectures les plus enthousiasmantes de l'année 2018. Multi-récompensé, il l'a été également par les chroniqueurs du site. Venus récupérer leur prix dans le cadre de la cérémonie organisée à Angoulême pour la remise des BDGest'Arts, Roxanne Moreil et Cyril Pedrosa en ont profité pour répondre à quelques questions.
Deux tomes qui feront un ensemble d’environ 500 pages, L'Âge d’Or est un sacré morceau !
Cyril Pedrosa : Concernant le dessin, c’est surtout la technique qui fait que ce sera plus ou moins lourd à mettre en œuvre. Pour L’Âge d’Or, la pression concernait le temps de réalisation, les délais à tenir et essayer de ne pas déborder. C’est plus de travail que sur mes précédents livres. C’est vrai que ce premier tome a été très bien accueilli et cela donne un vrai élan pour la suite.
Aviez-vous la volonté de regarder dans le passé, et notamment vers les révoltes paysannes du 14ème siècle, pour raconter quelque chose de plus contemporain ?
Roxanne Moreil : Oui, c’est exactement ça. C’était l’intérêt de placer cette histoire dans cette période du Moyen-Âge. À l’époque, chacun était conscient que la féodalité était révolue, comme aujourd’hui le capitalisme, tel que nous le connaissons, semble aussi voué à disparaître. Les choses peuvent changer.
C.P. : Quand on lit les textes des révoltes paysannes à cette époque-là, les gens étaient animés d’un même sentiment de révolte que l’on peut trouver aujourd’hui, même si les raisons sont différentes. Ils étaient désespérés de la situation dans laquelle ils vivaient avec le sentiment que ça ne pourrait jamais changer.
Les doubles pages dans lesquelles les personnages semblent évoluer dans de grands paysages évoquent les estampes japonaises et les peintures chinoises…
C.P. : Je n’ai pas du tout pensé à ça. Dans mon esprit, il y avait la Tapisserie de Bayeux, certains vitraux dans lesquels il y a aussi des déambulations qui font récit. Dans la retranscription du Nouveau Testament, pour faire la narration, il n’y a pas de cases mais ce type de procédé où des personnages se déplacent dans un décor. Ça permettait de s’appuyer sur cet imaginaire-là. C’est Roxanne qui m’a poussé à aller explorer cet aspect. Naturellement, je n’y serais pas forcément allé. Très vite, on s’est rendu compte que ça marchait parfaitement, cela donnait un ton au récit.
R.M. : Cela donne l’avantage d’être à la fois dans les retables moyenâgeux et aussi d’économiser de la pagination.
Nous avons tous reconnu Jean Rochefort sous les traits du seigneur Albaret. Un hommage ?
C.P. : Je pense avoir eu l’idée avant sa disparition. J’en suis hyper fan, comme beaucoup de gens. Puis, il a un visage qui s’y prêtait très bien. Je n’ai pas voulu non plus multiplier le nombre de clins d’œil de peur de sortir le lecteur du récit. C’est parfois aussi une façon de renouveler son vocabulaire que de penser à certains personnages.
L’un des thèmes est la quête impossible, celle d’un trésor inaccessible…
R.M. : On ne peut pas trop évoquer le deuxième tome… Pour en revenir sur le thème, il s’agit plutôt d’une fantasy, une sorte de métaphore.
C.P. : Comme il y avait des enjeux qui étaient parfois un peu théoriques, c’était un bon moyen d’utiliser la magie pour raconter cette histoire. Par exemple, comment raconter les pouvoir lors des combats passés, comment cela donne de l’énergie aujourd’hui pour réaliser certaines choses. L’avantage aussi, c’est que chacun comprend ce qu’il veut.
Le personnage Frida-Hellier joue les mélanges de genre…
R.M. : On avait le fantasme de faire un personnage transsexuel mais on s’est rendu compte que cela nous éloignait trop du sujet. Il y a beaucoup de nos obsessions dans ce livre.
C.P. : C’était intéressant de le faire de manière très naturelle. Il n’y a pas d’enjeux, il n’y a rien d’explicité. Au-delà du fait qu’il fallait qu’il se travestisse, obligation pour qu’il puisse être hébergé, il n’y pas vraiment d’autre raison. On souhaitait juste que ce soit un petit contrepied au lecteur.
Les couleurs n’ont pas laissé les lecteurs indifférents…
C.P. : Il est toujours difficile d’expliquer comment on effectue des choix graphiques sur un livre. Les discussions avec Roxanne ont été très importantes. J’avais fait une première version qui était très différente, très peu colorée. Roxanne trouvait que l’on perdait le côté un peu féérique du récit. C’est donc plutôt de ce côté-là que j’ai essayé de trouver des choses. C’est aussi parfois la technique qui amène de nouvelles idées. Je n’ai jamais eu conscience que cela puisse être une difficulté ou un frein à la lecture. J’ai surtout essayé d’être juste par rapport à l’histoire. Cela n’a pas dû être un si grand frein que ça puisque le livre a quand même rencontré ses lecteurs.
R.M. : Quand on a regardé les images du Moyen-Âge, on s’est rendu compte qu’il existait une palette de couleurs extrêmement chatoyantes, limite pop. Ce n’est pas parce qu’on est dans une période de l’Histoire qu’on imagine très sombre que l’on ne peut pas jouer avec les couleurs.
C.P. : Il y a aussi quelque chose qui est difficile à expliquer. On a l’histoire d’un côté et les images de l’autre : parfois tout s'accorde vraiment. Et ça a été le cas avec ce choix de couleurs. Ça colle et ça correspond à ce que l’on veut raconter. C’est pour ça que c’est très différent de juste regarder des pages et de les lire. Quand on se plonge dedans, l’ambiance graphique prend le dessus et donne une autre tonalité, d’autres sensations.
C.P. : … sur lesquels existent des compositions très audacieuses.
Qu’en est-il du deuxième tome ?
C.P. : Il est prévu pour mars 2020.
R.M. : On n’avait pas imaginé faire deux tomes au début. L’histoire est donc déjà écrite.
C.P. : On avait l’inquiétude que la première partie ne soit pas assez satisfaisante et ne donne pas envie au lecteur de nous suivre pour la deuxième. Paradoxalement, j’aurais aujourd’hui du mal à imaginer cette histoire en un seul volume.