Difficile après lecture de Dans son ombre de déceler la part autobiographique et la part romancée. Marie-Anne Mohanna raconte une relation, celle de Léa et de son père. Ce dernier, qui aurait l'âge d'être son grand-père, lui rend visite - presque - chaque jour pour lui consacrer quelques instants de sa vie qui sont, pour la fillette, des moments de bonheur et de partage. Ce projet n'aurait sans doute pas été le même sans Wandrille qui l'a accompagné, presque couvé, pendant toute sa conception. Dans son ombre révèle une jeune autrice et confirme qu'il existe encore certains éditeurs qui font du très bon travail.
Comment passe-t-on des études de droit à dessinatrice de BD ?
Marie-Anne Mohanna : C’est très simple. Dans la famille, dessiner ou faire des études d’Arts Appliqués n’est pas ce qu’on peut appeler une voie honorable. J’ai fait des études de Droit car j’étais dans un bon lycée parisien et mon père souhaitait que je fasse des études générales. Il s’est rendu compte après coup que ce n’était pas du tout fait pour moi. Mes parents m’ont dit que si je n’avais pas la moyenne à mes partiels, je pouvais arrêter, et j’ai eu finalement 9,756. J’ai donc arrêté. J’ai toujours aimé dessiner et, de manière générale, tout ce qui avait un lien avec l’Art. À l’époque, je me voyais plus comme commissaire-priseur qu’être moi-même dessinatrice. J’ai donc dit à mes parents que je voulais faire des études graphiques et je suis rentrée dans une école d’Arts Appliqués. Pendant ces cours qui ont duré cinq ans, j’étudiais également le dessin et l’illustration et c’est ce qui me passionnait le plus. En troisième année, j’ai dû faire un stage et j’ai décidé de le faire dans une maison de production. J’ai alors découvert les storyboards, comment raconter des histoires. Je travaillais avec des réalisateurs et les travaux étaient surtout destinés à la publicité. Je trouvais ça génial. Je suis ensuite partie à l’étranger pour mes stages de fin d’étude. J’ai donc voyagé pendant huit mois. J’avais un projet en tête et j’ai commencé à y travailler pendant que j’étais à l’étranger. J’avais des jobs qui étaient assez manuels et à côté de ça, j’avais besoin de dessiner et de me rallier à ce que je savais faire.
Quelle était la forme de ces dessins ? Des carnets de croquis ?
M.-A.M. : Il y avait des carnets de croquis oui, mais surtout mon premier album qui est sorti au mois de novembre 2017 chez Bang Editions. C’est quand j’ai fait une trentaine de pages de ce projet que j’ai rencontré mon éditeur qui m’a proposé de signer chez eux. Ce n’était donc pas ma volonté première de devenir autrice de bande dessinée mais j’avais besoin de raconter cette histoire. Et j’ai trouvé que la bande dessinée était le meilleur moyen de le faire.
Cet album, Infiniment, évoquait également l’histoire d’un deuil…
M.-A.M. : Absolument. J’ai perdu mon papa quand j’avais 19 ans et c’est quelque chose qui m’a énormément marquée. Pendant deux ans, j’ai fait mon deuil et pendant cette période, j’ai ressenti le besoin d’écrire, au début seulement pour moi. Avant de partir en voyage, je suis retombée sur ce que j’avais écrit, et j’ai eu l’impression que je n’étais plus la même personne que celle qui avait à l’époque couché ces quelques lignes. J’ai eu de l’empathie pour celle que j’étais. Je me suis donc mise à crayonner autour de ça et à dessiner des trucs qui me venaient en tête. C’est finalement devenue une bande dessinée.
Comment avez-vous signé chez Warum ?
M.-A.M. : Quand je suis rentrée de voyage, je me suis très vite mise à écrire et à dessiner Dans son ombre. Je connaissais un peu Wandrille et les éditions Warum et Vraoum !, notamment les quelques albums qui étaient déjà sortis chez eux. Je me souviens que l'un des premiers romans graphiques que j'ai lu est La Boucherie de Bastien Vivès. Il était donc évident pour moi d'aller toquer à leur porte. Le lendemain, Wandrille m'a appelé pour me dire qu'il était emballé à l'idée de réaliser ce projet avec moi. J'ai bien sûr envoyé ce projet à d'autres éditeurs mais je les ai sentis moins enthousiastes : l'un me demandait de lui envoyer la fin, l'autre me disait qu'il fallait changer le texte. Je ne savais pas vraiment dans quelle direction je souhaitais aller. J'avais besoin de soutien et Wandrille m'a apporté son aide. Si j'avais eu un autre éditeur, je pense que l'histoire aurait été différente. D'ailleurs, la fin que j'imaginais n'est pas celle présente dans l'album. Wandrille m'a amenée petit à petit, en discutant autour du récit, à la modifier. Il m'a donné confiance et a su débloquer pas mal de choses chez moi. Il a joué le rôle de mentor.
Vous reparlez du deuil dans Dans son ombre...
M.-A.M. : Oui mais ça reste une fiction. Il y a bien sur des éléments autobiographiques dont le principal est la relation que j’ai eue avec mon père. Effectivement je suis un enfant naturel et adultérin. Je voulais montrer que notre relation était simple. J’ai perdu mon père assez brutalement et je me suis retrouvée dans une sorte d’obligation de justifier cette relation « illégitime ». J’avais envie de dire à tout le monde que nos rapports étaient certes peu communs, pas banals mais que c’était quelque chose de très sain et de très simple.
Le plus difficile, c’est le regard des autres ?
M.-A.M. : Avant de parler de mon père, j’ai toujours vécu de façon très normale cette situation. Je ne me cachais pas vraiment puisqu’il était très proche de mes amis. Il était aussi tout le temps présent aux réunions parents-profs. Il venait me voir tous les jours. Je n’ai jamais voulu interférer dans son autre vie mais le fait est, que lorsqu’il est décédé, ces deux parties se sont forcément croisées. Le regard des autres ne m’a donc jamais dérangé parce que j’ai toujours été très claire par rapport à ça.
La meilleure amie de Léa, Sophie, a une mère brésilienne et un père absent. Jade a aussi des parents séparés. Pensez-vous que ce genre de points communs crée des liens quand on est enfant ?
M.-A.M. : Je pense que les liens viennent surtout par le fait que les enfants ont moins besoin d’expliquer les choses. Mes amis les plus proches ont une famille traditionnelle avec un papa et une maman ensemble. Ils n’ont jamais été malveillants, ils ont surtout posé des questions par curiosité. Les autres amis, dont les parents sont divorcés, me posent moins de questions mais ça ne fait pas pour autant des amis plus proches de moi.
Sophie, c'est aussi un peu l'image de votre père enfant avec son côté « parfait"...
M.-A.M. : Oui. J’ai toujours tendance à penser que l’herbe est plus verte ailleurs. Léa grandit simplement avec l’image de son père et de son frère. L’image de son père est d’ailleurs complètement sublimée. Pour Sophie, je me suis inspirée d’une amie que j’ai réellement eue. Léa a grandi d’un côté avec un père très strict et de l’autre une mère beaucoup plus fantaisiste. Elle a envie de montrer à son père qu’elle lui ressemble.
Malgré quelques actes de rébellion, Léa est relativement sage et soumise pour une ado…
M.-A.M. : Oui, bien sûr. Elle a la volonté de ne pas décevoir son père.
À Deauville, Léa dit détester sortir et ne pas encore appartenir à l'espèce des ados. Pensez-vous que c'est son père qui la retenait, même de façon inconsciente, en enfance ?
M.-A.M. : Léa est hyper protégée. Elle est dans une bulle, dans une sorte de cocon dont elle n’a pas forcément envie de sortir.
Le décès de son père va-t-il paradoxalement lui permettre de s’épanouir ?
M.-A.M. : (sourire) C’est la suite de l’histoire que vous souhaitez ! D’une certaine façon, le décès de son père va la faire grandir. Chaque personne grandit à son rythme mais il y a parfois dans la vie quelques coups d’accélérateur.
Finalement, on n'en sait pas beaucoup plus sur la rencontre des parents de Léa... L'objet d'un autre livre ?
M.-A.M. : C’est un choix narratif. J’ai vraiment voulu raconter la vision de Léa, sans parler de la vie de mes parents. L’histoire de mes parents, c’est une autre histoire, ce n’est pas la mienne. Je suis arrivée au moment où deux adultes que tout sépare doivent s’unir pour élever un enfant. Je n’ai voulu traiter que de cette partie là.
La mère, même si elle semble plus effacée que le père, a un rôle essentiel...
M.-A.M. : Bien sûr. On peut penser au début qu'elle n'a pas une importance énorme car le père prend énormément de place. Elle permet à Léa de se poser les bonnes questions.
Qu'est-ce qui vous passionne dans l'égyptologie ? Le fantasme des mystères non élucidés ?
M.-A.M. : Cela fait partie également de mes souvenirs d'enfance. Quand j'étais petite, j'allais très souvent au Musée du Louvre avec mon papa. Il voulait souvent qu'on aille visiter d'autres musées mais c'est vraiment celui-ci, avec son département réservé à l’Égyptologie, qui me passionnait. Je m'imaginais dans des pyramides en train d'explorer et de découvrir des objets. J'étais également fascinée par les momies. C'est toute une mythologie qui continue encore aujourd'hui à me passionner.
Après ce premier album aux éditions Warum, avez-vous d'autres projets ?
M.-A.M. : J'écris beaucoup et je ne sais jamais à l'avance ce que je vais faire de tous ces écrits. J'aimerais évidemment continuer dans la bande dessinée mais c'est encore trop tôt pour le dire.