La collection 1000 Feuilles des éditions Glénat regorge de jeunes talents. Après Timothé Le Boucher et son excellent Ces jours qui disparaissent qui a trusté les prix en début d'année 2018, c'est au tour d'Elizabeth Holleville de se distinguer avec L'Été Fantôme. Les deux auteurs ont élu résidence à Strasbourg. Simple hasard ?
Vous connaissez Timothé Le Boucher qui habite la même ville que vous. Être édité tous les deux dans la collection 1000 Feuilles, simple hasard ?
Elizabeth Holleville : C’est grâce à Timothé que j’ai eu le contact chez Glénat, en l’occurrence Franck Marguin à qui j’ai ensuite envoyé le projet. Je connaissais également un autre ami, Paul Burckel, qui a dessiné La Nuit mange le jour dans la même collection. Théo Calmejane également, qui a réalisé Jeu décisif, fait partie de mes connaissances. Nous savions tous que Franck avait un regard particulier pour tous les anciens d’Angoulême.
Quelle a été votre expérience pour Biscoto ?
E.H. : C’était plus tourné vers la science fiction. Il s’agissait de strips, de posters, de BD’s en trois pages. J’ai fait ensuite des feuilletons qui correspondaient en gros à une BD de 48 CC.
Parlez nous de Trompe-La-Mort…
E.H. : C’est une BD que j’ai faite avec une amie, Iris Pouy, avec laquelle j’ai justement un projet qu’on vient d’envoyer à Franck Marguin. Elle fait partie de trois nouvelles un peu dans le style des Contes de la Crypte qui se déroulent dans un Paris caniculaire. L’une concerne une nana qui rétrécit dans son appartement et l'autre raconte l'histoire d'une femme qui découvre une pièce dans son appartement qui contient toutes les enveloppes charnelles qu’elle aura dans le futur. Les trois histoires se terminent plutôt mal. Les récits sont reliés par une narratrice qui est une vieille fumeuse dans un bar parisien. Quant à la première nouvelle, Trompe-La-Mort, c'est l'histoire d'un jeune homme qui part voir une entreprise aux apparences charlatanesques qui lui annonce quand il va mourir ainsi que les causes de son décès : ce sera après-demain et il va s'étouffer en mangeant. Il décide donc de ne plus manger et de passer le week-end avec son amie en attendant l'échéance.Un thème autour de la mort que l'on retrouve également dans L’Été Fantôme...
E.H. : Oui, c'est un peu une obsession pour moi qui peut être propice à plein d'histoires. Je le vois plus comme un générateur de récits que comme quelque chose de dramatique.
Si vous pouviez choisir de connaître la date de votre mort comme dans Trompe-La-Mort, le feriez-vous ?
E.H. : (sourire) Non, je ne voudrais pas savoir. Ce serait trop déprimant...
Ces vacances d'été entre cousines dans une maison du sud de la France, ça sent le vécu...
E.H. : Oui, il y a une bonne part autobiographique. Après, cette maison n'est pas celle de ma grand-mère, c'est celle d'une amie de ma grand-mère dans laquelle on passait une partie de nos vacances. Il y a des mélanges de plein de choses. D'avoir été la plus petite parmi les grandes cousines, c'est du vécu. Je n'ai en revanche pas rencontré de fantômes.
Qu'apporte au récit la présence du surnaturel ?
E.H. : Je trouve que c'est un bon moyen de créer des métaphores pour parler de quelque chose de très réaliste. Comme le fantôme est une figure un peu figée dans le temps, qui ne vieillit pas, je trouvais intéressant qu'il soit confronté avec une gamine qui se trouve comme suspendue dans un état à mi-chemin entre l'enfance et l'adolescence. Au final, elle se rend compte que grandir n'est pas si mal, même si elle aimerait bien rester comme ça. C'est un peu glauque d'être un fantôme comme sa grand-tante, prisonnière et en train de regarder les autres vivre. C'est un conte finalement assez classique sur le fait de grandir.
Quelles sont les contraintes narratives quand on écrit une histoire avec un fantôme ?
E.H. : J'ai vraiment imaginé ce fantôme comme une entité qui n'apparaît que pour Lisa. On peut imaginer qu'il était là, même les étés précédents, mais qu'il n'apparaissait pas encore car Lisa n'avait pas encore dix ans. C'est l'âge parfait ou ces deux personnages peuvent se rencontrer, jouer... Avant, elle était trop petite.
Le fantôme permet également la création d'objets ou de structures que Lisa est la seule à voir, comme la cabane...
E.H. : Oui, c'est ça. J'aimais bien l'idée que cette cabane ait existé avant. Puis le jardin a été reconstruit. C'est vraiment un espace-temps dans lequel elles accèdent. C'est un peu comme si c'était une ouverture temporelle.
Faire une BD avec uniquement des personnages féminins, c'est une volonté ou un simple hasard ?
E.H. : Ce n'est pas une contrainte que je me suis fixée. Je pense que c'est juste comme ça que je l'ai moi même vécu. Dans ma bande de cousins, on était plutôt que des filles. Les garçons représentaient un autre monde que l'on regardait un peu de loin. J'ai d'ailleurs essayé de mettre dans mon récit des garçons plutôt cool, alors qu'ils ne l'étaient pas forcément en réalité.
Une BD avec seulement des filles, est-ce forcément pour un lectorat féminin ?
E.H. : Je pense que les garçons peuvent aussi s'intéresser à mon album. En tant que lectrice fille, je ne me pose jamais la question de savoir si un album est fait pour moi, même si la majorité des personnages sont des garçons. Ce sont juste des attributs, comme ils pourraient être blonds ou bruns... Tous les garçons ont aussi vécu des étés comme ça, exclus d'un groupe, avec la volonté de ne pas grandir, avec des choses liées à la mort... Je ne pense pas que ce soit une histoire particulièrement destinée aux filles. Après, forcément, étant une fille, je mets des choses que je peux moi-même ressentir, comme des remarques sur l'épilation... Je me souviens très bien de ma sœur regardant mes jambes quand j'avais neuf ans et en train de me demander de m'épiler car elle trouvait mes poils affreux.
Suivant l'âge des lecteurs, les niveaux de lecture peuvent être différents...
E.H. : Oui. Je pense que c'est un album qui peut parler aux petites filles de neuf ou dix ans. Ensuite, je pense que ce sont plutôt les adultes qui vont prendre plaisir à la lecture. Les adolescents à qui j'ai fait lire le bouquin sont en général passés à côté.
Louison, Lydie, Lise dans L’Été Fantôme, Lulu, Lydie, Lucas, Louise dans Lulu... Êtes -vous obsédée par les prénoms qui commencent par "L" ?
E.H. : Oui, c'est marrant... Est-ce volontaire ? Non, je pense que c'est inconscient. C'est peut-être un côté un peu égocentrique puisque mon surnom est "Lisou". (sourire)
Dans Lisou, il y a Lisa et un peu de Louison aussi. Plus proche de l'une ou de l'autre ?
E.H. : C'est un petit côté dédoublement de personnalité. Il y a bien sûr un peu de moi dans les deux personnages mais aucune n'est moi. Je pense me rapprocher un peu plus de Louison la fantômette. Je trouve que Lisa en manque un peu, de personnalité.