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« Heidi au printemps est une histoire d’émancipation »

Entretien avec Marie Spénale

Propos recueillis par S. Salin et L. Cirade Interview 07/11/2017 à 14:23 6817 visiteurs

Premier album de Marie Spénale, Heidi au Printemps donne un sacré coup de jeune, ou de vieux c'est selon, à la figure iconique qui occupait les rêves d'évasion des jeunes têtes blondes aujourd'hui quadras ou quinquas. Rencontre à Saint-Malo dans un cadre qui n'évoque absolument pas les alpes suisses.

Janvier 2015, vous signez chez Delcourt votre premier album intitulé Heidi au printemps qui sort en mai 2017. Entre temps, qu’avez-vous fait (sourire) ?

Marie Spénale : C’est plutôt long de dessiner un album malgré tout (sourire). À la base, je suis illustratrice, je travaille pour l’illustration jeunesse et la presse, la BD étant plutôt une activité en pointillés. Comme vous l’avez dit, il s’agit de ma première bande dessinée et je voulais un scénario qui me plaise et se tienne du début à la fin et ce, sur une bonne centaine de pages. Bizarrement, il y a des scènes que j’avais conçues avant de commencer vraiment l’album et qui se sont retrouvées telles quelles dans le livre. Toutefois, en deux ans, le fil du récit a beaucoup changé. En effet, j’ai beaucoup travaillé sur le rythme et le découpage puisque c’était des choses que je n’avais jamais faites, du moins à cette échelle. Cela m’a donc pris du temps !

Pourquoi avoir travaillé seule ?

M.S. : J’avais une histoire à raconter et ce n’était pas possible pour moi de ne pas la dessiner, car lorsque j’imagine un récit, il y a le visuel qui va avec et même la couleur. Tout vient ensemble, c’est ma manière de raconter. Cela m’aurait paru bizarre qu’il manque l’un des éléments.

Cela représente toutefois un sacré challenge...

M.S. : En tant qu’illustratrice, j’ai déjà illustré nombre de romans ou de livres pour enfants. La vraie nouveauté c’était le scénario.

Qu’est-ce qui vous a fait choisir le thème d’Heidi ?

M.S. : Pour moi c’est une sorte d’icône, l’image de la petite fille éternelle qui vit dans la nature avec son grand-père, dans un monde où tout est figé. C’est parce que personne ne l’imaginait grandir que cela m’intéressait de la choisir pour raconter comment elle pouvait s’émanciper, comment elle devenait adulte. J’ai 25 ans et je n’ai pas grandi avec Heidi mais je me suis rendu compte – à la sortie du livre – que beaucoup de gens possédaient une certaine image d’Heidi. Pour eux, elle est l’image emblématique, iconique, de petite fille éternelle. De fait, une génération a été « choquée » de la voir grandir car c’est une part de leur enfance. Mais finalement, il n’y a rien d’étonnant à voir Heidi devenir une adolescente ! Heidi au printemps est une histoire d’émancipation.

Justement, vous la faites évoluer dans un monde idyllique, mais grandir est-ce parfois difficile ?

M.S. : En effet, c’est déjà beaucoup de grandir et c’est loin, pour elle, d’être idyllique. D’abord, elle s’embête, son univers l’ennuie puis l’angoisse à l’image de cet ours dont on ne sait pas s’il est réel ou imaginaire. Finalement, Heidi est très seule. Il y a un garçon, mais il n’y en a qu’un ! Certes, il est gentil mais il ne lui procure pas ce qu’elle recherche ! Ce qui peut être un univers idyllique pour une enfant, l’est-il pour une adolescente ? Désormais, Heidi recherche autre chose et c’est pour cela qu’elle doit partir.

Techniquement, comment définissez-vous votre dessin ?

M.S. : Initialement, je souhaitais me rapprocher de la ligne claire, avoir un dessin lisible qui ne soit pas trop connoté, qui ne soit pas trop adolescent car mon graphisme est assez jeunesse. En procédant ainsi, je m’éloigne de mon trait naturel beaucoup plus lâché, ce qui est un enfer en dédicace car je suis lente et appliquée. Mais ici, je voulais quelque chose « très ligne claire ».

Pourquoi pas un trait plus rebelle, plus en relation avec la psychologie de l’héroïne ?

M.S. : Je ne voulais pas porter de jugement sur Heidi, je voulais un trait simple car si j’avais eu un trait plus « rebelle » cela n’aurait plus été dans la continuité de la vie d’Heidi. Il n’y avait aucune raison que le graphisme devienne « plus adulte ».

Comment procède-t-on sur un premier album ?

M.S. : Si certaines séquences avaient été définies au tout début, le fait qu’elles se retrouvent dans l’album est fortuit. J’avais travaillé sur des illustrations, des petits crayonnés sur un carnet en m’imaginant ce que devenait Heidi, des petites séquences sans réels liens entre elles : Heidi à 16 ans, à 18 ans... Des idées autour de l’ennui et de l’attente. J’avais déjà imaginé Pierre. Mais du coup, c’était des saynètes emblématiques sur lesquelles il fallait élaborer un fil conducteur, narratif, pour raconter une progression. Passer de Heidi « ado » à Heidi « qui grandit », travailler sur la difficulté à quitter son grand-père, sur la culpabilité à grandir, ce qui était l’essence de mon projet.

Quel était votre rythme de travail ?

M.S. : Je devais composer avec mon métier d’illustratrice qui exige d’être très « présente ». Ensuite, il y a eu un temps de réflexion important, avec des changements, une maturation en arrière-plan pendant 18 mois et en 6 mois tout est venu. Il m’a fallu surtout travailler le découpage, j’en ai plus de quarante versions différentes. C’est très technique et il m’a fallu beaucoup de recherche, tester de nombreuses combinaisons pour obtenir le bon rythme. Le fond, je l’avais mais il fallait techniquement mettre certaines choses au point. J’ai ainsi commencé à travailler en dégradé avec des textures puis je suis passé à l’aplat, simple sans fioritures…

Pas trop d’instants de solitude, de moments de doute ?

M.S. : Effectivement, il m’est arrivé de me poser la question de savoir pourquoi j’étais partie sur ce projet mais une fois les quelques blocages passés, parfois il faut juste attendre, quelle satisfaction de voir ma progression, les solutions que j’apportais. C’était dur sur le scénario, le rythme à trouver, de savoir si ce que je racontais serait bien compris.

Sur ce sujet, votre blog s’est fait la vitrine de vos interrogations. Que redoutiez-vous ?

M.S. : Que personne ne comprenne ce que je voulais dire, que l’allégorie de l’ours ne soit pas justement perçue, mais globalement les gens ont compris ce que je voulais dire ce qui m’a soulagée… Là j’ai compris que mon travail était fini.

En dédicace les réactions sont similaires ?

M.S. : Les personnes qui viennent sont celles qui ont aimé ! Je suis donc un peu protégée. Il y a parfois des situations amusantes : l’autre jour un papa est venu avec son fils et j’étais un peu gênée par rapport au contenu et au sticker, mais par la suite j’ai compris que le père souhaitait se servir du livre comme support de discussion sur la sexualité.

Aujourd’hui comment voyez-vous votre avenir dans la BD ?

M.S. : J’ai un projet de BD jeunesse qui me tient à cœur car il y a longtemps que je travaille dessus, mais sur lequel il faut que je trouve un éditeur. Tout en continuant l’illustration malgré tout, je veux me ménager du temps pour revenir à la BD et lancer de nouveaux chantiers.


Propos recueillis par S. Salin et L. Cirade

Information sur l'album

Heidi au printemps

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