Les réactions après une rupture amoureuse sont aussi diverses qu'imprévisibles. Achille a choisi la fuite, sous forme de road trip en scooter entre Paris et Marseille. Un brin d'aventure, essentiellement humaine, et une quête romantique à travers les routes de France mis en images par Grégory Mardon dans Prends soin de toi.
Évoquer votre travail juste après la sortie d’un album n’est pas votre exercice favori…
Grégory Mardon : C’est vrai. Je trouve que c’est aussi un peu paraphraser les choses si j’essaie d’expliquer ce que j’ai voulu faire. Une fois sorti, le livre m’échappe. Les gens y voient ce qu’ils veulent y voir même si j’espère que ce n’est pas non plus trop éloigné de ce que j’ai voulu raconter. Je trouve aussi que l’auteur est peut-être le plus mal placé pour parler de son travail, je fais parfois des choses de façon inconsciente, sans trop savoir pourquoi. C'est du domaine de l’impulsivité, juste parce que je les vois comme ça, tout en restant dans la lignée de mon récit. Une œuvre d’Art se suffit à elle-même.
L’ancienne relation amoureuse d’Achille est la clé de voûte de l’histoire et pourtant, son ex petite amie reste dans l’ombre…
G.M. : J’ai décidé de raconter ce qui s’est passé après cette relation. Achille en parle sans la voir même s’il parle beaucoup d’elle, des souvenirs qu’il en a. Elle reste le sujet principal, même avec les kilomètres qui défilent lors de son trip.
Achille qui chante sur la route La chanson d’Hélène, est-ce un clin d’œil à Homère ?
G.M. : Le prénom d’Achille était voulu pour la référence au talon. Mais je n’avais pas fait la rapprochement avec La chanson d’Hélène. (sourire) Comme quoi, il y a bien des choses qui se passent sans qu’on les contrôle. J’avais choisi La chanson d’Hélène juste parce que c’est l’une des plus tristes que je connaisse.
Il y a dans l’album quelques pages évoquant le temps qui peuvent presque être lues de façon indépendante…
G.M. : Effectivement… J’avais réalisé cette petite histoire très courte il y a déjà pas mal de temps. Elle figurait dans un carnet et je ne m’en étais jamais servi, tout comme celle d’un gars qui découvre une lettre en faisant des travaux dans son nouvel appartement. À moment donné, tout s’est mis en place dans ma tête et j’ai pu greffer tous ces petits morceaux que j’avais déjà et le voyage m’a permis de tout intégrer. Cette réflexion sur le temps peut donc se lire indépendamment mais c’est aussi typiquement le genre de réflexion que l’on peut avoir quand on voyage en solitaire, quand l’esprit part en roue libre.
Pour avoir le temps de la réflexion, il fallait que le moyen de locomotion ne soit pas trop rapide…
G.M. : Oui. Dans la première version que j’avais du gars qui découvre cette lettre, il devait traverser la France en voiture de nuit. Du coup, l’histoire était trop courte. Je me suis dit qu’Achille était un parisien et qu’il avait juste un scooter, sans aucun besoin de posséder une voiture. Par souci de reconstruction et afin de vraiment faire le vide, il fallait qu’il prenne son temps, qu’il puisse profiter de la nature, de l’espace, des paysages, de ne plus se sentir comme le centre du monde.
Ce voyage en scooter, vous l’avez expérimenté ?
G.M. : Oui. Je l’ai fait pour les besoins du livre. J’avais écrit l’histoire que j’ai finie juste avant l’été. J’ai ensuite pris mon scooter pour faire le trajet de Paris à Marseille, je suis passé par la Bourgogne, le Rhône, le Vercors… Quand on est en scooter, on est en contact direct avec les éléments, contrairement en voiture où l’on a juste la possibilité d’ouvrir une fenêtre.
Comme dans la plupart de vos albums, les pages muettes sont nombreuses. Travaille-t-on différemment sur ce type de planche ?
G.M. : Dans cet album, il y a effectivement beaucoup de pages muettes et c’est plutôt contemplatif sans vraiment de choses racontées. Par contre, dans L’Échappée, qui est entièrement muet, il y a de la narration. Pour moi, c’est très naturel et c’est quelque chose que j’aime bien faire. J’aime aussi beaucoup les mots mais je les trouve parfois superflus dans la bande dessinée. Je les enlève au fur et à mesure et je raconte plus avec le dessin. Depuis que j’ai commencé à faire de la bande dessinée, c’est quelque chose que je fais régulièrement. Je pense avoir été influencé par plusieurs choses, notamment par les mangas. Même si je n’en lisais pas beaucoup, je me suis rendu compte qu’on y découpait le temps de manière différente avec notamment des passages muets. Dans Corto Maltese également, le silence s’imposait de lui-même.
Dans L’Échappée comme dans Prends soin de toi, la fuite d’un homme est le thème principal…
G.M. : Ces deux albums sont intimement liés, c’est un peu la même histoire dans deux genres différents. D’ailleurs, le personnage principal de L’Échappée est également celui de Prends soin de toi. Ce sont des choses qui me parlent beaucoup. Cependant, la fuite n’est pas celle que l’on entend de façon négative, celle qui n’arrange rien. C’est celle qui permet de prendre du recul avec sa situation. Dans Prends soin de toi, Achille revient, contrairement à L’Échappée dans laquelle c’est une course en avant perpétuelle avec l’espoir de trouver une herbe plus verte ailleurs. Achille, lui, a vraiment la volonté de se reconstruire en mettant loin derrière lui tout ce qui lui pèse pour faire le vide.
G.M. : Oui ! Quand les gens partent en week-end, c’est pour cette raison, non ? Bien évidemment, c’est essentiellement pour fuir le stress du quotidien. Mettre de la distance ne va pas résoudre les problèmes. Vous partez avec et quand vous revenez, ils sont toujours là. (sourire) Par contre, cela permet de se mettre dans un état psychologique un peu plus fort, plus détendu, plus positif… Pour Achille, ça met du temps mais ça fonctionne. Il y a aussi une volonté d’aller vers la lumière. L’arrivée en Méditerranée n’est pas anodine. Se lever un matin en bord de mer avec le soleil fait un peu cliché mais il y a aussi une forme de renaissance qui s’opère.
Physiquement, le changement d’Achille est aussi impressionnant…
G.M. : Oui, je l’ai vécu également. J’ai eu de la chance, je me suis mis en short en sortant de Paris et je l’ai gardé deux semaines jusqu’à Marseille. On est à l’air libre, il fait beau, la France est magnifique… Il y a aussi une liberté dingue puisque ça ne va pas vite, et ce n’est pas fatigant comme le vélo. Quand je voyais un village médiéval à visiter sur ma route, je m’y rendais sans problème. La nature a des vertus apaisantes.
Avez-vous suivi également le même mode de logement, en camping ?
G.M. : Oui, j’étais un simple passant. Le soir, je discutais avec les gens autour de moi et je repartais le lendemain. Il y avait des contacts humains mais qui restaient très éphémères. J’ai aussi retrouvé des copains qui étaient en vacances à droite à gauche. Quand on voyage tout seul, on est témoin de beaucoup de chose, un peu comme lorsqu’Achille observe un père qui souhaite apprendre à nager à son fils dans une rivière. On a une vision tout à fait différente que lors d’un voyage en groupes ou quand on a un but précis. Là, le but est la traversée même si à l’arrivée Achille doit retrouver quelqu’un.
Aviez-vous un but quand vous avez entrepris ce trajet ?
G.M. : Non, c’est quelque chose que je voulais faire depuis longtemps et c’est juste bien tombé avec ce projet d’album.
Dans La Vraie Vie réalisé avec Thomas Cadène, un homme se cherche également. Un thème qui vous touche particulièrement ?
G.M. : J’essaie toujours de travailler avec des scénaristes qui m’apportent quelque chose qui me touche et qui me permettent aussi de faire des choses que je ne ferais pas tout seul. En même temps, même si ce sont des registres tout à fait différents comme avec Hervé Bourhis pour Le Teckel, je m’aperçois qu’on est tous de la même famille. Si les thèmes se rejoignent, ce n’est donc pas un hasard.
Comment en êtes-vous arrivé à dessiner le tome trois du Teckel alors que les deux premiers avaient été dessinés par Hervé Bourhis ?
G.M. : Il m’a appelé pour me dire qu’il n’avait plus envie de le dessiner, ayant d’autres projets. C’est tombé au bon moment puisque je n’avais pas d’autres projets en cours.
C’est une pression supplémentaire que de reprendre le flambeau d’un auteur, a fortiori quand c’est également le scénariste ?
G.M. : C’est un exercice pas facile… Il faut à la fois répondre à une demande d’un auteur qui a créé un univers sans trop le trahir et il fallait que je m’y retrouve aussi. Au fur et à mesure, tout en gardant sa technique, j’ai trouvé ma place. Je me suis éclaté également au niveau de la narration.
Travailler pour un scénariste, c’est aussi savoir s’impliquer dans le récit ?
G.M. : La plupart du temps, je ne change rien du tout. Par contre, je demande qu’on me laisse raconter de la manière que je veux le faire. J’essaie de rester fidèle à ce qu’a voulu l’auteur, sans le trahir. Jusqu’à présent, ils sont plutôt contents. (sourire) Sans prétention aucune, les gens qui m’ont contacté connaissent mon travail et ils savent ce que je sais faire.
Dessinateur, auteur complet… mais jamais scénariste pour un autre dessinateur ?
G.M. : Non, je ne parviens pas à finir mes histoires. (sourire) Je mets beaucoup de temps à les écrire et je n’en ai pas des tonnes. Ce sont souvent des prises de notes qui s’étalent sur plusieurs années. J’aimerais bien tenter l’expérience mais pour l’instant je garde ces histoires pour moi.
Des projets ?
G.M. : Je travaille avec La Revue Dessinée et prépare notamment un article sur les Balkany. Je m’intéresse en ce moment au documentaire et j’ai réalisé une bande dessinée sur les français d’origine chinoise à Paris qui a été diffusée sur le site d’Arte. C’est une autre forme de narration.
Et retravailler sur une série comme L’Extravagante comédie du quotidien ?
G.M. : J’ai une idée d’histoire qui traîne depuis pas mal de temps, donc il se peut que ça revienne. Mais ce ne sera pas pour demain. (rires) L’Extravagante comédie du quotidien va ressortir en intégrale en septembre.