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François Villon, un poète qui fait débat

Entretien avec Luigi Critone

Propos recueillis par L. Gianati et L. Cirade Interview 25/11/2016 à 10:26 12623 visiteurs

À l'occasion de la sortie du dernier volet du triptyque Je, François Villon, Luigi Critone évoque sa rencontre, même virtuelle, avec un personnage méconnu de l'Histoire. Une série qui lui aura permis également de faire ses premiers pas en tant qu'auteur complet en attendant une prochaine collaboration avec Gipi qui s'annonce prometteuse.  


Connaissiez-vous François Villon avant de lire le roman de Jean Teulé ?

Luigi Critone : Non, j’ai découvert François Villon et Jean Teulé au même moment. François Villon est français et il est donc quasiment inconnu en Italie, même si j’ai rencontré aussi beaucoup de Français qui ne le connaissaient pas non plus. L’œuvre de François Villon a été pour moi une grande et belle découverte que je continue encore à explorer, certains éléments étant, encore aujourd'hui, difficilement interprétables.

Comment ce roman de Jean Teulé est-il venu entre vos mains ?

L.C. : C’est Elisabeth Haroche (Ancienne éditrice chez Delcourt, NDLR) qui m’avait prêté le roman. Elle m’a demandé de le lire, pensant que j’étais le plus à même d’en faire une adaptation. Je n’avais jamais travaillé en solo, je m’étais toujours adjoint un scénariste. C’est un roman complexe et violent, et je l’ai lu avec beaucoup d’appréhension, ne sachant pas si j’allais être capable d’en faire une bande dessinée. Mais quand je l’ai finalement terminé, je me suis dit que c’était un beau projet et que j’étais prêt à relever le défi.

D’autant que l’adaptation signifiait forcément la réalisation de plusieurs tomes, donc un travail sur plusieurs années…

L.C. : Oui. On a immédiatement pensé à faire trois tomes, le roman comptant environ 450 pages. Maintenant que les trois tomes sont réalisés, je pense qu’il devrait y avoir une intégrale. À la lecture du roman, je l’avais d’ailleurs divisé en trois parties avec des sortes de cliffhangers à la fin de chacune d’elles, ce qui tombait très bien.

Un halo de mystère entoure encore Villon aujourd’hui. Est-ce ce qui vous a attiré dans ce personnage ?

L.C. : Oui. Je considère le « Villon » de Teulé comme un « Villon » possible, sachant qu’il existe plusieurs théories à son sujet. Certains prétendent même que Villon n’aurait jamais existé mais que ce serait un personnage de François de Montcorbier qui aurait créé une sorte d’alter ego dont il aurait raconté la vie. J’ai aimé la version de Teulé que je trouve assez vraisemblable. Il s’est appuyé sur de nombreux documents. Certains éléments sont donc avérés comme certains des crimes que Villon a commis, celui du prêtre assassiné avec une pierre par exemple. Par contre, il existe aussi des grands manques dans sa vie pour lesquels il n’existe pas d’écrits. Pour ça, Teulé a choisi de s’appuyer sur les poèmes de Villon dans lesquels il mentionne les noms de personnes qu’il a côtoyées comme Thibault d’Aussigny. Teulé a ensuite imaginé certains passages de sa vie mais je trouve qu’au final cela donne un personnage complet et probable.

À partir du moment où François Villon est parti de Paris, condamné à dix ans d’exil, on ne sait pratiquement plus rien de lui…

L.C. : Il n’existe à ce moment-là que des légendes. Une fille m’a dit un jour en dédicaces qu’il est enterré dans sa ville mais ce ne sont que des spéculations. Il n’existe pas d’écrits signé par lui depuis qu’il est parti de Paris. Jean Teulé et moi sommes d’accord sur le fait qu’il n’a pas dû vivre très longtemps après son départ. Physiquement, il était très amoindri. Et dans la campagne, en hiver, les conditions étaient très dures.

Dans le troisième tome, après avoir été torturé, Villon a radicalement changé…

L.C. : Oui, il ne correspond plus au personnage qu’il était. C’est une constatation évidente d’après les documents de l’époque. Il était devenu une sorte de légende vivante à Paris. Après son séjour en prison, il est devenu vieux malgré son jeune âge. Il a ensuite voulu vivre une vie plus tranquille mais il était prisonnier de ce personnage qu’il s’était lui-même créé. J’aime bien ce troisième tome qui correspond un peu au crépuscule de sa vie. Il y a des regrets chez Villon, mais sans vraiment de rédemption. Il regarde sa vie avec un peu de mélancolie.

Le rythme de ce troisième tome est aussi plus lent, puisqu’il ne concerne que deux années de la vie de Villon contre trente pour les deux premiers tomes…


L.C. : Oui le rythme est différent et c’est aussi pour ça que j’apprécie particulièrement ce troisième tome. Il y a une atmosphère différente, moins d’action mais l’histoire d’une lente décadence.

Jean Teulé vous a-t-il accompagné pendant la réalisation des albums ?

L.C. : Comme pour toutes ses adaptations, il m’a laissé carte blanche. Il estime que même si je fais un mauvais travail, son livre restera inchangé. Il ne m’a jamais imposé quoique ce soit. Il était parfois d’accord avec mes choix, parfois non. Par exemple, il ne voyait pas du tout le visage de Villon comme je l’ai dessiné. Il a juste de temps en temps effectué quelques corrections très discrètes sur le texte.

Pensez-vous que le fait que Jean Teulé ait déjà fait de la bande dessinée rend ses livres plus faciles pour une adaptation ?

L.C. : Oui, je pense. Même s’il a arrêté de faire de la bande dessinée, il aime beaucoup fréquenter ce milieu, plus que celui de la littérature. Il dit que les écrivains sont moins sympas. (sourire) Quand j’ai lu son roman, je l’ai trouvé très imagé, presque comme un pré-scénario de bande dessinée.

Existe-t-il une description physique précise de François Villon dans le roman ?

L.C. : Non. La seule description présente dans le roman ne concerne que sa maigreur, une précision qui vient de l’un de ses poèmes. Du coup, j’ai eu une totale liberté pour imaginer son visage. On me dit souvent qu’il me ressemble. (sourire) Ce n’est pas du tout voulu même si c’est un peu inévitable.

Faire souffrir son personnage, le marquer physiquement comme dans le troisième tome, c’est un exercice difficile ?


L.C. : C’est difficile, mais en même temps, c’est ce qui fait tout l’intérêt de l’histoire. J’ai de la peine pour lui mais j’avoue aussi m’être bien amusé en le dessinant. C’est très intéressant de le faire évoluer ainsi. Quand je regarde à quoi il ressemblait dans le premier tome, je trouve que même mon dessin a changé. C’est un processus finalement très naturel. L’idée de raconter une vie entière m’a d’emblée fasciné dans ce projet. On commence le récit par sa naissance, on le termine par sa disparition. Ce n’est pas l’histoire d’un héros classique qui ne vieillit jamais, ni une partie de l’existence de quelqu’un. Quand j’ai terminé le troisième tome, j’ai vraiment eu l’impression de refermer définitivement un livre.


L’économie des décors incite-t-elle les lecteurs à se concentrer sur les personnages ?


L.C. : La plupart des scènes se déroulent à Paris qui dispose d’une documentation importante concernant l’époque du Moyen-Âge. Je voulais raconter l’histoire de façon réaliste. Quand je dessine un paysage, je n’ai pas de documentation, je le fais en voulant retranscrire une ambiance. Pour François Villon, j’ai voulu faire la même chose. J’ai dessiné en essayant de donner l’impression d’être sur place à cette époque pour le faire. Je n’ai donc pas souhaité dessiner dans un style didactique. Par exemple, pour Notre-Dame, je l’ai réalisée d’après mes souvenirs, pas dans les détails. Je voulais juste qu’on puisse la reconnaître au premier coup d’œil. Un des plus beaux retours que j’ai eus sur cette série vient d’une personne qui m’a dit : « On a l’impression que c’est vrai. » Si je suis arrivé à provoquer cette réaction chez les lecteurs, c’est gagné.

Une scène présentant Louis XI fantomatique et Villon au contraire en plein lumière met en évidence tout le travail effectué sur les couleurs…

L.C. : J’ai en fait voulu dépeindre le parti pris de Teulé. On ne sait pas si cette scène a vraiment eu lieu. Ce dont on est sûr, c’est que Louis XI a effectivement gracié Villon, comme beaucoup d’autres condamnés quand il a été élu roi. Mais on ne sait pas s’ils se sont vraiment rencontrés. Teulé a donc fait le choix de le raconter en laissant planer le doute sur la véracité : on ne sait pas si c’est un rêve de Villon ou si ça s’est réellement produit. Graphiquement, j’ai trouvé que représenter Louis XI de façon fantomatique marchait très bien pour illustrer cette scène.

Vous avez dessiné auparavant La Rose et La Croix et 7 Missionnaires. Ne craignez-vous pas que l’on vous enferme dans un registre purement historique moyenâgeux ?

L.C. : (sourire) Un peu. C’est vrai qu’on peut avoir l’impression que le Moyen-Âge est ma période préférée alors que ce n’est pas le cas. J’aime bien mais j’aimerais aussi essayer de faire autre chose. Par contre, ce n’est pas gagné… (sourire) Mon prochain projet va être encore très proche de ce thème. Il s’agira d’un Moyen-Âge cette fois réinterprété, un peu à la façon de L’Armée Brancaleone. C’est aussi un Moyen-Âge plus pauvre qui se rapproche un peu plus de l’esprit des 7 Missionnaires. C’est une fiction, avec un peu de fantasy, mais sans les dragons ni magie. C’est difficile à définir. (sourire) C’est un projet que je mène avec Gipi. C’est un auteur que je connais depuis longtemps et quand il m’a proposé qu’on travaille ensemble, je n’ai pas hésité. Ce sera probablement un one-shot.

Travailler avec Gipi, c’est aussi travailler avec un autre dessinateur…

L.C. : Oui, d’autant que j’ai beaucoup d’admiration pour lui. Mais, en ayant travaillé avec lui sur les premiers croquis, je me suis aperçu qu’il y a beaucoup de différences entre nos deux styles. On ne va pas se marcher dessus. Je pense qu’il peut me donner de bons conseils pour le dessin même si lui a une formation de dessin plutôt réaliste. Pour l’instant, on s’entend très bien. Il m’écrit un scénario un peu à la façon d’un scénario de cinéma. Il n’y a aucun découpage, c’est moi qui le fais. C’est un aspect que j’aime beaucoup dans la bande dessinée, celui de la narration, alors que j’ai plus de difficultés à inventer une histoire à partir de rien. Ceci explique le fait que j’ai travaillé pour des scénaristes et réalisé une adaptation. Mais avoir la liberté de choisir comment raconter une histoire, même si elle est déjà écrite, me plait énormément.

Certains travaux présentés sur votre site sont faits en numérique. Une antichambre avant une réalisation en album ?

L.C. : Pour l’instant, je préfère garder ces travaux pour un plaisir annexe. J’aime beaucoup travailler en numérique mais ça me fatigue très vite. Je ne me vois pas pour l’instant passer mes journées devant un écran pour  réaliser un album. Mais on sait jamais… Cet outil est devenu tellement  puissant que l’on peut aussi gagner en rapidité d’exécution. Je ne suis  pas très rapide pour réaliser mes albums donc… pourquoi pas.

Voilà déjà quelques années que vous habitez en France. Avez-vous envisagé de réaliser un album réservé aux lecteurs italiens ?

L.C. : Justement, le projet avec Gipi s’inscrit dans cette intention. 7 Missionnaires a été traduit en italien, Villon non, le projet n’est pas suffisamment porteur pour le marché italien. Du coup, paradoxalement, je ne suis pas très connu en Italie. Ce projet avec Gipi me permet de remettre un pied en Italie pour y être publié. Travailler en italien est quelque chose qui ne me déplait pas, surtout après m'être penché sur les textes de Villon, ce qui m’a demandé un grand effort, certains de ses poèmes étant encore aujourd’hui complètement hermétiques. 



Propos recueillis par L. Gianati et L. Cirade

Bibliographie sélective

Je, François Villon
3. Je crie à toutes gens merci

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Sept
4. Sept missionnaires

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La rose et la Croix
1. La confrérie

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