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« Faire un album comme dans les années 70, ce n'est plus possible »

Entretien avec Romain Hugault

Propos recueillis par S. Salin Interview 08/11/2016 à 10:07 16122 visiteurs

La sortie du dernier album d’Angel Wings est l’occasion de revenir avec Romain Hugault sur l’héroïne de la série, pilote d’avion et espionne à une époque où les femmes se voyaient cantonnées à d’autres tâches.

Angel Wings est-elle, sous une apparence que certains trouveront machiste, une série qui rend hommage aux femmes qui se sont engagées pendant la Seconde Guerre mondiale ?

Romain Hugault : Angel Wings n’est pas une série machiste, bien au contraire ! Le personnage principal est une femme forte qui évolue dans un milieu d’hommes, mais qui en même temps se montre fragile, avec ses sentiments et ses peines. Une bimbo à gros nichons aurait été machiste alors que là, au contraire, l’héroïne, même si elle possède des formes - grand bien lui fasse -, est une fille avec du caractère et qui le montre.

Un hommage donc ?

R.H. : Angel Wings rend hommage à ces femmes pilotes qui ont activement participé à l’effort de guerre et qui, aux premiers retours de leurs homologues masculins en décembre 44, ont été gentiment remerciées. Elles qui ont risqué leur vie en convoyant des avions dans n’importe quelles conditions, elles qui se sont tapées le sale boulot n’ont reçu les honneurs militaires qu’en 2009. Alors oui, il y a des avions, des canons, mais c’est avant tout l’histoire de ces femmes, qui a l’image de Jinx, une vraie championne, sont allées faire le job en Birmanie ou maintenir le moral des troupes. Il ne faut pas oublier que ces pilotes, la plupart du temps très jeunes, supportaient une pression psychologique   énorme. Pour eux, la pin-up sur le nez de leur P-40 était un talisman ! Tout ce qui touche à l’avion prenait un sens particulier pour ces hommes dans la mesure où leur machine pouvait les sauver comme être leur tombeau.

Lorsqu’elles sont dans la jungle, Angela et Jinx sont beaucoup moins glamour. Cela n’a pas été difficile de les dessiner ainsi ?

R.H. : Si justement ! Cela a été compliqué, parce que ce sont deux filles super-charmantes à dessiner et que j’ai été obligé de les faire en guenilles, en train de manger des sangsues, mais c’était ça aussi le job.

Vous cassez le mythe ?

R.H. : Ce qui est intéressant, surtout sur ces séquences, c’est de sortir des codes. Par exemple, dans les BD d’aviation, normalement, il n’y a pas d’érotisme. Il y est surtout question de héros sans peur et sans reproche, d’histoires de missiles, de radars et de machins techniques. Avec Angel Wings, nous avons une histoire plus « classique ». Certes, elle se situe dans un environnement aéronautique, mais notre but était d’avoir des personnages qui doutent, font des erreurs, sont parfois un peu bêtes, bref qui soient humains. Nous voulions sortir du carcan aéronautique qui peut devenir hyper-technique et lassant. Ainsi, en dédicaces, j’ai des demandes de dames qui me disent « Je veux tel avion », ce à quoi je réponds « c’est pour votre mari ? », et la plupart me disent «Non, c’est pour moi ! Je n’y connais rien en avions, mais j’adore l’histoire ». Pour moi, c’est valorisant car je sors la BD aéronautique de la technicité dans laquelle elle s’enferme. Ceci est rendu possible grâce à Yann qui me fait un scénario à la fois hyper documenté et très précis mais qui est, en même temps, une vraie histoire et bonne histoire de BD.

 Vivian Eddy

Et qui prend comme héroïne une WASP (Woman Airforce Service Pilot) qui plus est membre de l’OSS (Office of Strategic Services) ! Il y a réellement eu des femmes dans l’OSS pendant la Seconde Guerre mondiale ?

R.H. : Oui. Les WASP étaient le sujet que nous voulions traiter même si elles convoyaient des avions de guerre et n’étaient (pour une fois) pas cantonnées à la cuisine et derrière les casseroles. Elles ne pouvaient cependant pas - sur décisions de l’état-major - sortir du territoire américain. Le problème est que nous voulions leur faire vivre d’autres aventures. Puis, Yann a trouvé une nana qui était membre de l’OSS et qui ainsi se baladait partout. Nous sommes partis de cette source pour créer Angela, un personnage qui, grâce à son statut au sein de l’OSS, peut aller et venir là où nous voulons dans le monde.

Vos albums se déroulent souvent sur des zones de combats qui sont peu connues. Est-ce une volonté délibérée ?

R.H. : Tout à fait. La BD aéronautique se cantonne trop souvent au débarquement de Normandie, aux Rafales, à la bataille d’Angleterre, aux Têtes brûlées… En fait, l’Histoire de l’aviation est beaucoup plus riche que cela comme avec les Burma Banshees qui peignaient des têtes de morts géantes sur le capot de leurs Warhawk. Visuellement, pour un album, nous avions là une vraie matière. Et puis dessiner la jungle permet de rendre des ambiances de crasse, de chaleur, de mousson qui sont intéressantes.

Nous sommes loin de l’image hollywoodienne du héros sans peur et sans reproche ?

R.H. : C’est le but ! Je suis fan de Buck Danny, c’est ce qui m’a fait aimer la BD, mais à l’heure actuelle faire un album comme dans les années 70, ce n’est plus possible. Dans cette série, même s’il y a un côté vintage, nous utilisons les codes actuels : il y a de l’érotisme, un petit peu, mais assumé, parce qu’à l’époque, c’était comme cela que cela se passait. Dernièrement, je discutais avec un ancien pilote de la Deuxième Guerre qui me disait avoir vu tous ses copains mourir un par un. Immanquablement, sachant que demain pouvait être leur dernier jour, les pilotes en profitaient et vivaient dans l’instant présent, mais pas seulement eux. Comme pour la première fois, les civils ont également beaucoup souffert, les hommes et les femmes étaient sous cette pression de la mort imminente et se sont libérés sexuellement. Alors, les filles un petit peu sexy, les scènes glamour, restent dans le contexte et ne relèvent pas du marketing éditorial.

Est-ce que vous seriez capable de développer des aventures aéronautiques sur d’autres hémisphères moins conflictuels ?

R.H. : Je l’ai déjà fait avec Au-delà des nuages. Mais je suis un passionné d’Histoire et les Première et Seconde Guerres mondiales restent des bouillons, des chaudrons d’histoires hallucinantes. Lors de nos recherches, nous sommes tombés sur des pépites, des choses que nous n’aurions pas pu inventer, comme ce mec qui se fait bouffer vivant parce qu’il a rampé sur une fourmilière ou le fait de devoir sucer des sangsues pour survivre.

Certaines scènes aéronautiques sont saisissantes de réalisme. Comment construisez-vous ces séquences ?

R.H. : Je dois toujours me renouveler car un combat aérien reste un combat aérien ! Cela fait dix ans que je dessine des avions et je sais que le mouvement que je veux insuffler passe beaucoup par le placement de la caméra.

Justement comment travaillez-vous ?

R.H. : J’essaie de me représenter la scène comme si je la voyais en film, de définir si c’est l’avion qui bouge ou, inversement, si c’est la caméra qui suit l’avion. Selon l’option choisie, le rendu diffère. Pour moi, le challenge est de pouvoir rendre compte sur une case de 5x10 cm de la puissance d’un combat aérien, de l’altitude, de la vitesse… Parallèlement, je suis un fou d’aviation et, depuis tout petit, je réalise des maquettes d’avions, cela me permet de pouvoir les dessiner sous toutes leurs facettes. Ainsi, je place ma caméra comme je veux, avec l’angle que je souhaite, la focale que je désire... Dans certains albums, les avions sont juste décalqués. Cela se voit immédiatement par rapport à l’angle de vue, aux perspectives qui ne sont pas raccord avec le décor. L’avion est parfait, mais il est comme épinglé, il n’y a pas de sensation de mouvement.

C’est le pilote qui parle plus que le dessinateur ?

R.H. : Oui. Je pilote donc je connais les sensations. Quand vous faites un virage, vous êtes écrasé au fond du siège donc impossible de tourner la tête et de faire « alors mon radar machin… ». Vous êtes en train d’encaisser l’accélération et vous serrez les abdominaux… C’est intéressant d’essayer de rendre cela aussi.

Sur cette série, Yann fait un gros travail de recherches. Souhaitiez-vous coller à l’Histoire ou simplement être crédibles ?

R.H. : Avec Yann, nous avons toujours le même cap, la même ligne de conduite. Tant que cela ne gêne pas le récit, nous faisons au plus proche avec les vraies escadrilles, les véritables pilotes, les environnements exacts. Internet est un outil extraordinaire qui vous offre de multiples possibilités. Ainsi, certains détails trouvés sur le Web sont incrustés dans le récit. D’une manière générale, le scénario s’écrit à quatre mains. Yann, qui est un très bon raconteur d’histoires, est aussi fan d’avions et se repose sur moi pour les scènes d’aviation. Comme il se documente beaucoup, nous échangeons énormément, ce qui donne la bonne approche pour une BD grand public. Toutefois, le fan pourra compter les boulons, c’est pour eux que je suis entouré d’historiens lorsque que je fais un album.

Vous tendez donc vers une certaine véracité historique ?

R.H. : J’aime bien dessiner les choses de la manière la plus réaliste possible. Même pour les casques de pilote, je me renseigne auprès d’un spécialiste des équipements de l’armée américaine. Le détail sera repéré par seulement trois personnes, mais je le fais pour eux, mais aussi pour moi car je déteste les BD où la véracité technique est prise à la légère. Le but est que les détails soient immersifs et permettent au lecteur, même sans s’en rendre compte, de s’imprégner de l’ambiance, de l’atmosphère dans laquelle évoluent nos deux héroïnes.

Pour conclure, sur la dernière planche, d’aucuns pourraient croire qu’Angela devient commandant de bord sur la Panam ?

R.H. : En fait, elle n’est que passagère et c’est une annonce pour la prochaine trilogie qui se déroulera, non plus en Birmanie, mais dans le Pacifique. Le but était de clore cette trilogie et d’ouvrir sur un autre cycle qui pourra se lire indépendamment.







Propos recueillis par S. Salin

Bibliographie sélective

Angel Wings
3. Objectif Broadway

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Le pilote à l'Edelweiss
3. Walburga

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Au-delà des nuages

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Note: 4.4/5 (11 votes)

Le dernier Envol

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