Quand sur une Terre peuplée de robots, un bébé humain apparaît au beau milieu d'un champ de bataille, forcément ça met un peu le "botson". Dans le premier tome de Bots, Aurélien Ducoudray et Steve Baker dévoilent un univers futuriste bourré d'humour mais non dénué de quelques piques adressé en particulier à notre société contemporaine. Prévue en trois albums, cette nouvelle série éditée par Ankama carbure déjà au Super !
Aurélien, après l'Histoire (Amère Russie, Mobutu dans l'espace), le Polar (The Grocery), l'Aventure (Bob Morane - Renaissance) et l'Anticipation Fantastique (Leviathan), vous vous lancez dans la Science Fiction…
Aurélien Ducoudray : La Science Fiction est bien souvent un vernis pour parler de l'actualité, c'est aussi une bonne excuse pour prendre un des maux de la société, le pousser à l'extrême, à la limite de la parodie... ; et s'apercevoir ensuite que la réalité n'est pas si éloignée que ça... Les vaisseaux et autres robots ne sont que des métaphores, qui nous permettent sans danger d'aller explorer le coté obscur (ce qui est dommage d'ailleurs, une SF gaie et optimiste ça changerait un peu!!!)
Comment vous est venue l’idée du scénario de Bots ?
A.D. : Même si cela ne se voit pas du premier coup d’œil, Bots ne parle que d'humains et de l'arrivée d'un enfant, petite chose inconnue. Je suis papa depuis 4 ans maintenant d'un petit garçon, et toutes mes questions d'avant et depuis sa naissance sont le moteur de Bots : qu'est ce que c'est que ce truc sorti du ventre de mon amoureuse ?? Comment on s'en sert ? Quelle relation ai-je par rapport a lui ? Qu'est ce que je vais bien pouvoir en faire ? Comment communiquer avec lui ? Etc. etc. Toutes les questions, angoisses, bonheurs, trouilles d'un jeune papa en fait !!
Une guerre éternelle dont on a oublié jusqu’à son origine et ses causes, c’est triste mais c’est aussi un joli pied de nez à l’actualité…
A.D. : Bah le plus vieux métier du monde a mon avis ce n'est pas prostituée, c'est bien assassin ! On a eu Caïn avant Marie-Madeleine, donc, c'est sans fin... C'était surtout l'absurdité de la cause de départ qui m'intéressait... Ça fait tellement longtemps que ça dure qu'on ne sait même plus pourquoi ! Un bon reformatage mondial serait quand même bien utile ! On vide la corbeille du syndrome guerrier et on appuie sur reset !
Ce n’est pas la seule façon avec laquelle vous égratignez le monde moderne : prédominance de multinationales, éducation formatée, dérives de la société de consommation… Finalement, Bots est une bande dessinée « règlement de comptes » ? (sourire)
A.D. : Pas du tout, on est encore là dans l'absurdité des relations humaines, on détermine des modes de fonctionnement qui ne nous conviennent pas, mais on finit par s'adapter. L'adaptation est la plus grande qualité humaine, mais c'est à double tranchant !! On s'habitue et on finit par ne plus questionner les problèmes. Dans Bots, nos deux robots découvrent la question : qu'est-ce que c'est que ce p'tit truc rose qui couine, et ça dévie rapidement sur « que sommes nous ? » L'homme est tellement vaniteux qu'il ne se pose plus la question depuis longtemps...
Dans Bots, il y a l’histoire mais aussi un jeu permanent avec les lecteurs pour rechercher toutes les références parsemées dans l’album. Est-ce un exercice jubilatoire pour un scénariste ?
A.D. : Ah oui c'est amusant, mais il ne faut pas que ça prenne le pas sur l'histoire elle même. J'adore quand un petit décalage souligne le thème de l'histoire, mais il faut y aller avec précaution sinon on risque de rapidement sortir le lecteur de l'histoire... Steve est très fort pour en planquer partout !!
Steve Baker : Là où c'est très intéressant en BD, c'est quand l'image parle plus qu'un discours géopolitique. Avec une publicité bien placée, détournée, on peut donner des indices simples et efficaces sur comment fonctionne le monde dans lequel on évolue. À coté de ça, il y a du plus trivial mais je trouve que ça nourrit l'univers, lui donne de la cohérence et de la consistance.
Certains lecteurs se demandent comment le bébé peut-il bien être nourri… (sourire)
A.D. : C'est War-hol qui le nourrit ! Il a des tétons et un système de synthétisation de ce que l'enfant a besoin comme nourriture. War-hol est une nounou et une bonne nounou a toujours un ptit pot dans sa poche !!!
S.B. : (Tout bas pour ne pas qu'Aurélien entende) Mais voyons très cher lecteur, on le sait ça comment il est nourri ce petit mouflet, je me poserais plus la question de ce qu'il fait là, comment il y est arrivé, comment il a survécu dans ce ventre de robot si j'étais à ta place... mais bon, comme je veux garder ma place de dessinateur (et préserver l'histoire) je n'aborde même pas le sujet ici (n'hésitez pas à envoyer vos dons sur mon compte paypal, je vous réponds par mail. (sourire)
Bots est prévu en trois tomes. Vous laissez-vous une porte ouverte pour éventuellement développer cet univers ?
A.D. : On ne peut jamais dire non. Si on en fait plus, il faudra vraiment que l'on ait quelque chose de plus que ce qui est déjà prévu dans ces trois tomes à raconter !! Mais pourquoi pas des spin off comme dans le Grocery 0, avec des persos secondaires, ça serait amusant !!
S.B. : Je ne vois pas comment je pourrais dire non. Mais la perspective des trois tomes est rassurante : on sait où on va et à chaque fois qu'on en parle je retrouve mon œil émerveillé de lecteur. Ce projet est terriblement excitant. Travailler avec Aurélien c'est un régal, il est à l'écoute, il s'adapte, il anticipe, modifie mais il a de vraies envies et des idées sur lesquelles travailler, me laisse une vraie liberté mais donne aussi une direction artistique étonnante et efficace sur le projet. On discute pas mal des scènes (et des personnages) quand elle sont story-boardées et on met tout ça en forme à deux. Et j'ai bien l'impression qu'on est sur la même longueur d'ondes, ça se fait facilement. Si Aurélien me propose autre chose, après Bots, je le suis sans hésiter !
Aurélien, comment votre expérience de journaliste influe-t-elle votre façon de raconter des histoires ?
A.D. : Surtout sur la recherche et la documentation en fait, et la fiction me permet de traiter de tout ce que l'on ne peut pas faire en journalisme... Peut-être aussi d'avoir l'exigence d'une vision toujours à hauteur d'homme (ou de robot) !!!
Vous retrouver tous les deux sur Bots a été une évidence dès le début du projet ?
A.D. : Je lui avait proposé un autre projet, mais les essais ne collaient pas du tout, du coup je suis retourné fouiner sur son blog car je ne comprenais pas pourquoi avec son talent on n'arrivait pas à s'accorder... Puis j'ai vu dans un post un p'tit robot... c'était gagné ! C'était à moi d'aller sur son terrain !!!
S.B. : Aurélien avait vu des pages d'Inoxydable, m'a envoyé un scénario mais mes tests n'étaient pas convaincants. Dans la mesure où l'on voulait quand même collaborer (j'étais hyper fan de son travail sur The Grocery déjà) il m'a dit qu'il avait remarqué mes robots et m'a demandé si un « road movie » avec des robots pourrait m'emballer... C'est parti comme ça. Que demander de mieux qu'un scénario sur mesure ? De l'aventure, du social, de l'épique, de l'action, des sentiments, du suspense... Aurélien me donne tous les ingrédients que je voulais et voilà Bots.
Jouer avec les codes du comics et les multiples références aux supers héros ou aux films cultes, c’est plutôt un challenge ou une expérience amusante ?
S.B. : C'est tout à la fois. J'ai été nourri par tout ça. Je ne suis pas du tout un grand dessinateur mais j'essaie de transformer ce handicap en atout. C'est ce qui fait je pense la « personnalité » de mon travail. Trouver des astuces aussi simples qu'efficaces pour accentuer les choses, tenter de les raconter comme il faut, c'est mon quotidien. Moins ça à l'air laborieux, plus ça coule de source et plus le pari est réussi. Voir le monde, le digérer et l'exprimer. Bricoler un monde qui se tienne.
Vous aviez déjà croqué des robots dans Inoxydable. Avez-vous abordé graphiquement Bots de la même façon ?
S.B. : Non. Dans Bots, les robots sont le cœur de l'histoire, des robots très humains, les robots que nous sommes devenus. Ils sont parfois très fonctionnels, parfois moins, plus référencés, c'est en fonction des besoins, des envies. C'est à ça que mon expérience dans la BD d'humour me sert. Le métal est vivant, mon dessin le permet, les yeux bougent, les traits se contorsionnent, il y a du cartoon là dedans. Je mets peu de détails mais à chaque fois c'est pour une raison : fonctionnelle ou référentielle. Prenons l'exemple de « l'oxydé » dans l 'album : j'ai dissimulé une moustache d'Hitler qu'on ne voit pas consciemment comme telle et un monocle, une forme de crâne assez hautaine... ça définit pas mal le personnage. J'ai dû en designer des centaines comme ça (je pourrais vous faire une fiche avec documentation à la clé pour tous). Et a contrario, rester sobre sur les personnages secondaires qu'on ne voit qu'une fois pour ne pas qu'on se focalise trop dessus. Mon dessin permet aussi de raconter des trucs sacrément durs et de les faire passer assez facilement. Remplacez tous les robots par des humains et vous vous rendrez compte que vous ne laisseriez pas cet album entre les mains d'un enfant...
Avez-vous été surpris par certains dessins présentés dans le fanarts en fin d’album ?
A.D. : Pas surpris !! Émerveillé ! J'aurais envie de raconter des histoires de Bots avec chacun des dessinateurs tellement leur travail colle parfaitement à Bots ! Steve tu as du souci a te faire !!
S.B. : Ha Ha c'est tellement vrai, que de talents réunis, ils dessinent mes personnages tellement mieux que moi (bouhouhouhouh... ) Je les aime autant que je les déteste !
Aurélien et Steve, un tour d’horizon de vos prochaines sorties ?
A.D. : L'anniversaire de Kim jong ill avec Mélanie Allag chez Delcourt, l'histoire d'un petit nord coréen né le même jour que son dictateur, sortie prévue le 24 août. À coucher dehors avec Anlor (ma complice d'Amère Russie), l'histoire de trois clochards héritant d'une maison (une comédie à l'italienne pourtant bien française!!) à la mi septembre. Mort aux vaches, un polar audiardesque avec François Ravard, un groupe de braqueurs après un casse se mettent au vert à la campagne. Sauf que l'on est en pleine crise de la vache folle et qu'il y a 50 flics au mètre carré autour de leur planque !! Sortie prévue aussi début septembre. Et le tome 2 de Bob Morane avec Armand et Brunschwig en octobre.
S.B. : Bots 2 !!!, le plus gros chantier, sortie prévue l'année prochaine. Une histoire courte pour le magazine GROOM encore, chez Dupuis, avec Olivier Bocquet au scénario. Une histoire courte pour Axolot Tome 3 chez Delcourt avec Patrick Baud au scénario.
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