Pour son deuxième album, Néjib montre dans Stupor Mundi une maîtrise narrative étonnante. Gros pavé édité chez Gallimard, ce "thriller religieux et scientifique" qui n'est pas sans rappeler Le Nom de La Rose d'Umberto Eco, se lit avec une facilité déconcertante et, surtout, avec un plaisir qui ne cesse de croître au fil des pages. Rencontre avec un auteur dont on n'a certainement pas fini de parler.
Comment passe-t-on d’Haddon Hall à Stupor Mundi ?
Néjib : C’est le mystère des idées qui vous attrapent et vous séduisent. L’idée de Stupor Mundi était devenue si obsédante que je me devais de la développer. Pour Haddon Hall, ça s’est passé de la même manière… J’ai l’impression que ce sont les idées qui me choisissent et non pas l’inverse.
Dans ces deux albums, le « lieu » revêt une importance majeure…
N. : Oui, je me rends compte que c’est le même principe que pour Haddon Hall : le lieu est une parenthèse spatiale et temporelle. L’Événement va s’y produire… ou pas !
Votre travail a-t-il été influencé par les récents événements en Europe et notamment les idées relatives à l’obscurantisme religieux ?
N. : Oui et non. Disons que ces questions sont au centre de nos débats politiques depuis des années. Mais je me pose ces questions sur le statut de l’image en Islam et dans la religion en général depuis au moins dix ans. On voit que ces questions sont plus que jamais centrales aujourd’hui.
Quelle est la part d’authenticité du récit ?
N. : C’est une fiction avant tout, comme Le Nom de la Rose, mais j’aime me réapproprier des éléments historiques. Frédéric II a bien existé, le château aussi, Fibonacci également. Frédéric II était aussi un grand protecteur des savants de l’époque. C’est cette base historique qui m’a servi pour ancrer mon récit.
Effectivement, Stupor Mundi est souvent comparé au Nom de La Rose, notamment pour son thème proche du « thriller religieux et ésotérique ». Qu’en pensez-vous ?
N. : Il y a un lien clair. « Thriller religieux et scientifique » je dirais. Il n’ y a pas d’ésotérisme dans Stupor Mundi. J’ai puisé aussi dans les mêmes influences : comme Guillaume de Baskerville, Hannibal est dans la tradition des « héros » hyper-rationnels et supérieurement intelligents : le plus connu étant Holmes, l’original étant le Chevalier Dupin d’Edgar Poe.
Un récit de 280 pages, un lieu unique, peu de personnages et pourtant une narration extrêmement fluide. Comment avez-vous abordé cet album ?
N. : Le récit s’est imposé de lui-même, avec sa propre logique. J’ai d’abord storyboardé 300 pages. J’ai peaufiné, corrigé, éliminé le superflu.
Si l’on vous dit que l’image est le thème principal de l’album : la peinture, la photographie, les livres, les souvenirs enfouis… qu’en pensez-vous ?
N. : Je ne peux que souscrire ! Je dirais même que le thème du livre est une question : « qu’est-ce qu’une image ? ». Je ne donne que quelques réponses évidemment, mais c’est mettre cette question à l’épreuve du récit qui est intéressante. De mon point de vue, tout bon récit est la mise à l’épreuve d’une question. Par exemple, Tintin au Tibet n’est rien d’autre pour moi que « Qu’est-ce que l’amitié ? »
D’ailleurs, parler d’aveuglement et d’obscurantisme quand on évoque l’image, c’est un joli paradoxe… (sourire)
N. : Oui, en même temps, c’est le paradoxe de l’image. C’est à la fois un révélateur (l’image présente quelque chose, l’isole, le met en valeur) et un écran (elle masque le reste, ce qui est hors cadre, ce qui est avant et après). L’image est ambivalente dans son essence même.
Jouer avec l’Histoire, notamment les origines du Saint Suaire ou celles de la psychanalyse, c’est un exercice amusant ?
N. : Oh oui, c’est jubilatoire. Je dois m’amuser en écrivant et ce plaisir doit être communicatif. J’espère que le lecteur l’a ressenti.
Comment avez-vous abordé graphiquement cet album ?
N. : C’est le récit qui détermine l’écriture graphique. Il me fallait être efficace et fluide pour ne jamais perdre le lecteur. C’est pour ça que contrairement à Haddon Hall, j’ai formalisé des cases et utilisé un gaufrier très strict.
Les décors très épurés permettent-ils de se concentrer plus particulièrement sur les personnages ?
N. : Je voulais que le château soit plus un concept qu’un décor : c’est le lieu de la pensée, des idées. C’est presque un lieu abstrait dans lequel les idées, incarnées par les personnages, vont se confronter les unes aux autres.
Le personnage de Khannefousse semble presque familier. Qui vous l’a inspiré ?
N. : C’est étrange car beaucoup de gens ont cette impression de « déjà vu ». Il doit convoquer quelque chose dans l’inconscient des gens. Je me suis inspiré d’une gravure aperçue sur le site Bibliodyssey, un site de bibliophilie. Une libraire m’a assuré qu’elle avait trouvé la source exacte de cette image. J’ai hâte de voir ça.
Quels sont vos projets ?
N. : Je travaille sur un projet de feuilleton sur les impressionnistes et sur un récit intitulé « Geekocracy », un récit d’anticipation : Paris est devenue une dictature dirigée par un Geek…
- NDLR : Vous pouvez retrouver les origines de Khannefousse ici : Les songes drolatiques de Pantagruel