Au terme des deux tours du vote électronique organisé par le Festival international de la bande dessinée d’Angoulême au cours du mois de janvier 2016, la communauté des auteur(e)s professionnel(le)s de bande dessinée a accordé la majorité de ses suffrages à Hermann, couronnant ainsi l’une des œuvres les plus emblématiques de la bande dessinée franco-belge tous publics et l’un des parcours d’auteur les plus prolifiques du 9e art européen.
De son vrai nom Hermann Huppen, Hermann est né en Belgique à Bévercé, petit village des Ardennes proche de Liège et de la frontière allemande, le 17 juillet 1938. Dessinateur et scénariste autodidacte, il se lance dans la bande dessinée au milieu des années 60 en intégrant le studio Greg, où il réalise quelques récits courts dont un épisode des Belles histoires de l’Oncle Paul. Assez rapidement, en tandem avec Greg au scénario, il conçoit à partir de 1966 la série d’aventures Bernard Prince pour l’hebdomadaire Tintin, périodique dont on a un peu oublié aujourd’hui la dimension à la fois populaire, moderne et souvent novatrice.
D’emblée, Hermann pose dans cette série réaliste les bases de ce qui s’imposera bientôt comme son style, sa marque : une bande dessinée physique et intense, parfois presque violente, un sens consommé des ambiances, un talent peu commun pour suggérer les matières, une énergie omniprésente. La vitalité d’Hermann devient le signe distinctif de l’empreinte, éminemment personnelle, qui le distinguera pour toujours du reste de ses confrères.
Dès lors, installé dans la faveur des lecteurs de tous âges grâce au succès immédiat de Bernard Prince (une douzaine d’albums égrenés au fil des années 70 aux éditions du Lombard), Hermann s’essaie tour à tour à presque tous les registres, tous les sujets, avec un appétit boulimique et un égal bonheur. L’Histoire antique avec le scénariste Jean-Luc Vernal dans Jugurtha ou plus tard médiévale et en solo dans Les Tours de Bois-Maury (dix volumes chez Glénat), le western à nouveau en tandem avec Greg dans le remarquable Comanche (une dizaine de titres également au Lombard), sans oublier la science-fiction, incontournable dans la bande dessinée des années 70 et 80, avec ce qui reste peut-être sa série fétiche dans l’esprit d’innombrables lecteurs : Jeremiah. Seul aux commandes de cette œuvre fleuve (près de 35 volumes successivement parus chez Fleurus, Hachette, Novedi et Dupuis, et aujourd’hui tous repris chez Dupuis), Hermann déploie une peinture saisissante et pessimiste d’une Amérique du futur dévastée, cruelle, où des personnages sauvages souvent dénués de toute morale s’affrontent, sans but, dans les décombres d’un monde en déréliction.
Sur le plan technique, une transition importante s’opère lorsque Hermann délaisse la plume pour l’aquarelle. Il développe dès lors une esthétique différente, où la hachure et l’épaisseur du trait cèdent le pas aux masses de couleur et où le travail de lumière, auparavant sculpté avec des rehauts de plume, va se retrouver désormais porté par l’intensité de l’aquarelle.
Définitivement consacré comme une valeur majeure de la bande dessinée réaliste d’aventures et d’action, et toujours habité par la fièvre de dessiner sans relâche, Hermann privilégie à partir des années 90 les one shot (Missié Vandisandi, Sarajevo Tango, On a tué Wild Bill, parmi beaucoup d’autres, pour la plupart publiés chez Dupuis et au Lombard), de plus en plus souvent en tandem avec son fils Yves H., qui prend désormais en charge de nombreux scénarios. Leur collaboration ne fera que se renforcer au fil des années puis des décennies, permettant à Hermann de nourrir sa curiosité en explorant sans relâche de nouveaux univers, du thriller aux intrigues géopolitiques en passant par le fantastique, la piraterie, les figures historiques ou les évocations du XXeNourri de la fidélité de ses lecteurs comme de ses éditeurs de toujours, son parcours exceptionnellement fécond se poursuit encore aujourd’hui.